Le développement fulgurant de l’économie collaborative, en particulier grâce à l’émergence d’un écosystème de startups particulièrement dynamiques en France, n’est pas sans poser de nombreuses questions juridiques... Ces questions juridiques et règlementaires sont clés dans les business models de l’économie collaborative. Analyse du sujet par les avocats de Droit du partage (Loic Jourdain, Michel Leclerc et Arthur Millerand).
Pour s’en convaincre, il suffit d’évoquer les crispations des hôteliers face à la concurrence d’Airbnb, les rodomontades des pouvoirs publics face à Uber Pop et, plus largement, la question du statut juridique de la plateforme mettant en relation les utilisateurs entre eux par le biais d’un site Internet et/ou d’une application mobile dédiée.
Il ne faut pas être alarmiste sur les risques juridiques liés au développement de ces nouvelles pratiques économiques mais plutôt faire un état des lieux des principaux risques juridiques liés à ces modèles collaboratifs et apprécier les perspectives d'évolution du cadre juridique en France dans le but d'évoquer l'approche la plus pertinente pour les entrepreneurs.
Etat des lieux des risques juridiques dans l’économie collaborative
Sans nul doute, l’économie collaborative brouille les pistes et chamboule les repères classiques. Le propriétaire d’un véhicule s’en sert comme une source de revenu, le locataire d’un appartement optimise l’occupation de celui-ci ou encore l’utilisateur de ces services est bien souvent également celui qui endosse aussi le rôle de prestataire. Les catégories juridiques traditionnelles, symbolisées en France par le Code civil, se trouvent face à un phénomène difficile à appréhender.
Quel que soit le domaine d’activité d’une startup dans l’économie collaborative, les thèmes juridiques suivants doivent faire l’objet d’une vive attention pour déterminer l’étendue de ses responsabilités :
- la fiscalité avec notamment la déclaration des revenus des prestataires renseignés sur la plateforme,
- les obligations en matière d’assurance de la plateforme ainsi que celles de ses prestataires,
- en droit du travail, le statut choisi par ses prestataires avec notamment l’épineuse question de lien de subordination de ceux-ci pour ne pas risquer une requalification en contrat de salarié,
- les obligations en matière de protection des consommateurs utilisant les services proposés, à ce titre les conditions générales d’utilisation et de vente sont incontournables,
- le traitement des données personnelles au sens de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés modifiée par la loi du 6 août 2004 relative à la protection des personnes physiques à l'égard des traitements de données à caractère personnel.
Au delà de cette liste non exhaustive, le secteur dans lequel la startup opère doit naturellement faire l’objet d’une analyse attentive afin de répertorier les obligations particulières à chaque secteur. C’est en particulier le cas lorsque les activités sur ce secteur sont règlementées. On peut citer à cet égard le transport, l’alimentation ou la finance par exemple.
Perspectives d’évolution du cadre juridique en France
Ce constat témoigne d'un retard du droit par rapport à l’extrême rapidité d'évolution de l'économie. Plusieurs approches s'offrent pour appréhender ces nouvelles réalités juridiques.
En premier lieu, une approche sectorielle peut être adoptée pour réglementer une activité qui s’est largement développée et que le législateur souhaite encadrer juridiquement.
C’est le cas notamment en matière de la réforme juridique du financement participatif. Le crowdfunding, à travers l’ordonnance n°2014-559 du 30 mai 2014 relative au financement participatif dont l’entrée en vigueur le 1er octobre 2014, s’est doté de nouvelles règles qui ont été vivement commentées. Celle-ci a introduit des modifications du Code monétaire et financier ainsi que du Règlement général de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) qui sont les deux textes principaux applicables en la matière.
En second lieu, la jurisprudence pose des règles là où cela s'avère nécessaire. En l’absence de réponse par la loi à de nouvelles questions posées par les services proposés par les acteurs de l’économie, le juge peut se prononcer à partir de textes existants.
En matière d’hébergement par exemple, on peut citer le cas d’un litige autour de la sous-location d’un appartement dans lequel un locataire, assigné par son bailleur, a été condamné en première instance par le Tribunal d’Instance du 9ème arrondissement à payer 2 000 euros pour avoir accueilli ponctuellement des locataires de courte durée. Ce n’est pas la première fois qu’un litige en matière de sous-location location existe mais cette fois ci, la plateforme la plus connue en la matière était citée par le jugement.
En troisième lieu, le législateur peut intervenir pour fixer un cadre général. C'est ainsi que l'ambition d’Axelle Lemaire, secrétaire d’Etat en charge du numérique, est affichée puisqu’elle entend créer une « République du numérique » grâce à une loi audacieuse incluant des dispositions sur l’Open Data, sur la protection des données personnelles et sur l’innovation. Ce dernier volet se décline, d’une part, en l'instauration de règles favorisant le développement de l’entreprenariat en France et, d’autre part, en la fixation de règles encadrant l’économie collaborative.
Cette approche consiste à prendre acte du développement de l’économie collaborative et à adopter des règles juridiques générales pour sécuriser les relations entre ceux qui y participent. Cette volonté louable nécessite de se concentrer sur les éléments communs à toutes ces nouvelles activités, par exemple la responsabilité de la plateforme mettant en relations les utilisateurs ou encore l’application du droit de la consommation. Le projet de loi en préparation permettra de connaître l’approche retenue par le gouvernement.
Face à ces multiples possibilités et l’évolution constante du cadre juridique, il est important de prendre en compte la dimension juridique en compte lorsque, comme entrepreneur, on développe son activité.
L'attitude recommandée aux entrepreneurs
La prise en compte de la dimension juridique par les entrepreneurs ne doit pas se faire au détriment des initiatives. L'existence de risques, fussent ils juridiques, est une donnée normale de la vie des entrepreneurs qui ne doit pas entraîner la paralysie.
Pour cela une approche raisonnée est recommandable. Si les problématiques juridiques ne figurent pas a priori parmi les premières préoccupations de l'entrepreneur, il faut néanmoins les déterminer afin de pouvoir les anticiper pour agir le moment voulu. En toute hypothèse, ces questions se poseront nécessairement lors d'une levée de fond ou d'une cession car régulièrement le business model entier de la startup collaborative dépend de ces sujets.
Les avocats de leurs côtés sont souvent perçus comme de empêcheurs de tourner en rond identifiant systématiquement des risques limitant l'entrepreneur dans ses initiatives. Aux côtés de jeunes entreprises particulièrement, il lui faut tenir compte des contraintes de l’entrepreneur et s'adapter, tout en lui fournissant un conseil de qualité. En tant qu’accompagnateurs, il incombe à l’avocat de mettre en lumière certains risques et les évaluer pour permettre à l'entreprise de prendre des décisions éclairées.
En conclusion, si le droit doit s'adapter aux innovations entrepreneuriales pour permettre un épanouissement de leurs entreprises, en particulier dans le domaine de l'économie collaborative, l'entrepreneur doit de son côté nécessairement prendre en compte ses obligations juridiques, notamment en matière de protection du consommateur. C’est d’ailleurs le meilleur moyen dont il dispose pour sécuriser son activité.
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