De nouveaux modes de consommation du luxe et de la mode sont en train d'émerger. Les marques bousculent leur communication traditionnelle et renforcent leur volonté de séduire un public jeune, issu de la génération Y, futur porteur du pouvoir d'achat. A leurs côtés, les startups réinventent, ou plutôt hackent ce luxe, secteur resté trop longtemps poussiéreux. Un article proposé par Geoffrey Bruyère et Florian Deveaux de BonneGueule.


Everlane et le marketing de l’anti-marketing

Everlane est une marque de prêt-à-porter qui s’oppose de manière frontale aux labels de luxe classiques en communiquant sur son modèle économique verticalement intégré, sans boutiques, sans campagnes de pubs dispendieuses, et sans distributeurs.

Everlane justifie ainsi le fait de proposer des produits réalisés dans les mêmes ateliers que ceux des marques de luxe, mais à des prix finaux imbattables. Il y a aussi un côté rebelle : ils disent tout fort ce que beaucoup de consommateurs pensaient d’un luxe intouchable.

Everlane communique également sur sa structure de marge, et investit beaucoup en content marketing avec des reportages chez ses fournisseurs : filateurs, tisserands, façonniers…

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L’infographie Everlane qui a énormément tourné sur Internet.

Les codes graphiques restent cependant ceux du luxe, tout comme la communication épurée et le soin important porté au site Web et au packaging.

Bien entendu, l’approche « anti-système » de Everlane est également une forme de marketing, et produire des contenus a également un coup. Mais l’approche start up et le modèle économique raisonné permettent à la marque de satisfaire amplement ses consommateurs tout en créant un buzz très fort.

L’avenir nous dira si un marketing purement basé sur un positionnement d’outsider contestataire du luxe est capable de grandir sans se trahir.

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Beautiful classics, radical transparency, no middlemen : Everlane annonce tout de suite la couleur.

Gustin et le financement collaboratif

Gustin est une jeune marque de jeans, fondée à la base via un projet KickStarter de financement collaboratif, pour produire des jeans haut-de-gamme et les vendre au prix de gros, aux backers de la campagne.

La startup a ensuite mûri en créant son site, intégrant lui-même des campagnes de financement collaboratif pour chaque produit. 

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Le store Gustin avec les jauges de financement des différents produits.

Chaque semaine, des projets de jeans sont proposés aux internautes, qui passent des précommandes. Quand un modèle potentiel de jean enregistre suffisamment de précommandes, il est alors produit et expédié quelques semaines plus tard aux clients.

Le modèle du financement collaboratif permet à Gustin de ne prendre aucun risque sur la production : tous les jeans sont vendus avant d’être produits. Et l’approche « zéro stock » permet à Gustin de croître rapidement avec des besoins de financement faibles.

C’est également un modèle d’intégration verticale, puisque la startup s’est établie directement à San Francisco, là où sont les grossistes de jeans et les petits ateliers de confection, pour produire ses pièces en masse avec des coûts de transport, de production et d’expédition hyper maîtrisés, combinés à une très forte réactivité.

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Les startups du luxe ont en commun de déconstruire totalement le modèle économique classique du luxe : on est clairement sur de l’innovation de rupture. 

Warby Parker et l’économie solidaire

Warby Parker est une marque d’optique américaine. Son credo ? “Buy a pair, give a pair” : Warby Parker oeuvre pour un monde meilleur.

A chaque paire achetée, une paire est offerte aux personnes dans le besoin (35 pays différents à ce jour). La marque a donc une portée caritative qui a séduit près de 100 000 personnes un an après sa création en 2010. Mais ce n’est pas uniquement cet ADN caritatif qui fait le succès de la marque, c’est surtout son business model.

Uniquement Pure Player à ses débuts, à l’instar d’Everlane ou de Gustin, elle maîtrise avec adresse ses coûts : pas d’intermédiaires, peu de fournisseurs, économies d’échelle, uniquement des lunettes en propre qui allient l’aspect esthétique et un très bon rapport d’un très bon rapport qualité / prix (72 € verres compris en moyenne contre 200 € chez les opticiens traditionnels).

On assiste à une réinterprétation (à son avantage) des codes du luxe :

- La rareté : la marque cassent les coûts tout en jouant sur les codes du luxe traditionnel comme le phénomène de rareté (27 modèles produits en série limitée).

- Un imaginaire de marque directement lié à une cause noble et engageante : un partenariat est effectif avec la plus importante association à but non lucratif dans le domaine caritatif de la lunetterie : Vision Spring. En 2012, la marque s’est fait connaître en allant à la rencontre des personnes (un bus scolaire transformé en showroom itinérant sillonnant les Etats-Unis pendant un an) pour créer un engagement solidaire et de faire le buzz autour des relais : presse, personnalités, médias.

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Une stratégie de communication multicanale qui a crée le buzz autour de la marque. Cette opération de street marketing de grande envergure couplée à la sphère digitale (relais et partages sur les réseaux sociaux de l’expérience vécue par les utilisateurs) a positionné la marque comme révolutionnaire dans la manière de se présenter mais aussi de vendre ses produits.

- Des lunettes qui plaisent à un large public : un design à la fois sobre, élégant et stylé qui surfe sur la tendance du néo-vintage.

- Utilisation d’une charte graphique épurée et efficace : la personnalité de la marque passe avant tout dans son engagement caritatif. L’utilisation du bleu n’est pas dû au hasard (la couleur du rêve, de la sagesse, de la loyauté et de la fraîcheur).

- Une distribution et des services innovants orientés clients : chaque maillon de la chaîne de valeur est maîtrisé. De la relation client personnalisée, à l’expérience d’achat facilitée en ligne (essayage en ligne), envoi des lunettes à la maison avant d’acheter, en passant par service gratuit d’essai à domicile sur 5 montures au choix.

Et depuis peu, l’expérience (et la distribution) est crosscanal : 5 points et 8 showrooms dans les principales villes des Etats-Unis ont vu le jour. Encore une fois, on voit l’importance d’une supply chain performante.

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Résultat, une ascension fulgurante : de 100 000 paires vendues en 2011 à 1 000 000 de paires vendues en 2014 (et le même nombre des paires distribuées aux personnes dans le besoin.)

Les services transcendent l’écosystème du produit et le produit transcende la marque. Le produit et l’image de marque ne suffisent plus à vendre, c’est un véritable écosystème qui gravite autour de celle-ci lui ajoutant de la valeur : l’innovation technologique (et sa notion de mobilité) permet de créer des services utiles, facilitateurs dans l’achat et capable de se transformer en catalyseur d’une expérience client à 360° positive.

Au-delà des valeurs véhiculées par cet opticien 2.0, Warby Parker a su développer son écosystème à son avantage. La marque transforme positivement sa vocation, sa raison d'être, en contenu marketing (brand content) transparent et fédérateur.

Est-ce que ce type d’économie continuera à s’intensifier ces prochaines années ? Warby Parker est un bel exemple à suivre : une entreprise basée sur l’économie solidaire avec de vrais fondements (no bullshit).

Plus globalement on pourrait se demander si la raison d’être (découlant de la personnalité du dirigeant) n’est-elle pas la clé de voute pour développer des business florissants ? 

Suit Supply : l’art tailleur 2.0

Suit Supply est une marque néerlandaise de prêt-à-porter spécialisée dans les costumes et accessoires. Peu connue en France, c’est une marque qui a révolutionné la façon de vendre le costume. Elle atteint tout de même un chiffre d’affaires de plus de 100 millions d’euros.

La force de Supply, c’est d’avoir dépoussiéré l’art tailleur reposant sur un concept simple et efficace :

- Un très bon produit au bon prix, on en a pour son argent : en proposant des costumes modernes (coupes contemporaines et belles matières), avec un rapport qualité / prix imbattable sur le marché du moyen et haut de gamme. Un costume à partir de 300 euros alors que les autres marques de costumes les proposent entre 500 et 700 euros (pour une qualité inférieure parfois). C’est l’assurance d’avoir du style dans un costume !

- Une expérience client focalisée sur les produits : tout est fait pour que votre expérience d’achat et post achat soit positive. Sur leur site internet, les descriptions sont pragmatiques (détails des matières, vidéos explicatives sur la coupe du costume, infographie explicative sur les détails et bénéfices de la veste). Et bien sûr, ils ont un service client performant.

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Ils enlèvent tout le superflu et ils vont à l’essentiel : une description objective du produit qu’on achète. Fini le temps où le vendeur cherche à tout prix à vous vendre ce qu’il a en stock. 

- Des services premium d’un vrai tailleur : il existe également un service de costumes entièrement sur mesure, un service de retouches personnalisées (on peut tout faire ou presque)

- Un maillage de boutiques international pour développer la croissance (et capter une nouvelle clientèle réfractaire à l’achat en ligne) : Suit Supply a ouvert 50 magasins en 7 ans dans 11 pays différents sur des marchés de poids comme les Etats-Unis, une partie de l’Europe centrale, la Chine ou encore la Russie.

Et depuis quelques années, Suit Supply ne travaille pas uniquement en BtoC. Elle offre un service aux entreprises pour leur donner la possibilité d’habiller leurs salariés. Une extension de clientèle intelligente qui assoit leur volonté de régner sur ce marché.

Vous l’avez compris, rien de très révolutionnaire dans le marketing, simplement des bons produits, du bon sens, de la transparence sur les produits et un personnel de contact qualifié suffisent pour créer un concept hybride de Pure Player (au début de l’aventure dans les années 2000) et de distributeur classique avec le réseau de boutiques. Un ensemble de moyens matériels et (surtout) humain qui véhicule un esprit tailleur de quartier du 19ème siècle (plus répandu que les Grands Magasins à Paris par exemple) modernisé à la sauce 2.0 à grande échelle.

Pour conclure : les grands enseignements de ces nouveaux business modèles

Etre orienté client n’est plus un avantage concurrentiel mais une nécessité : la relation marque / consommateur s’est inversée et une marque doit être performante dans son offre de services pour fidéliser ses clients (qui n’ont aucun scrupule à aller voir ailleurs si leur expérience n’est pas concluante).

Des produits au bon prix : la transparence est parfois poussée à l’extrême (comme Everlane) pour justifier le rapport qualité / prix compétitif, voir imbattable.

Des écosystèmes riches et dynamiques : les Pure Players ayant rencontrés le succès sur le digital n’ont pas hésité à repousser les limites de leur business modèles (et de leur territoire de marque) pour imaginer des modèles économiques hybrides (digital et physique), rentables et synergiques.

L’économie de la confiance comme dénominateur commun : toutes ces startups ont un point commun dans leur business modèles : la création de valeur générée par une relation basée sur la transparence et l’éthique, les services, l’affinité et la réciprocité. En d’autres termes, une recherche perpétuelle de gagner la confiance du consommateur.

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