Dans la lignée des articles présentant des sujets de prospective, la rédaction de Maddyness a sollicité Cécile Clicquot de Mentque, rédactrice en chef de Green News Techno, pour répondre à nos questions et en savoir plus sur les grandes tendances de l'éco-innovation: les technologies seraient celles qui contribueront à consommer au plus juste et à diversifier les approvisionnements (substituts, recyclage) et celles enfin qui permettront des traitements plus affutés pour préserver les milieux.[hr]
Comment est né le projet de Green News Techno et quelle est sa mission ?
Green News Techno est une newsletter créée mi-2010 pour suivre exclusivement les stratégies et évolutions technologiques du secteur de l'environnement. Il s'agit donc d'un outil de veille technologique, très factuel, qui met en valeur les éco-innovations, les projets de recherche, les brevets mais aussi les stratégies des startups et permet de dégager les tendances technologiques qui font et feront les marchés de la croissance verte.
La spécificité de cette newsletter est autant son angle délibérément orienté sur les technologies (et l'approfondissement de ces informations) que son caractère multidisciplinaire (eau, air, sol, déchets, énergies nouvelles, chimie verte et technologies propres, mesure et analyse..). Ce regard global a pour vocation de susciter des synergies entre les acteurs, les domaines de l'environnement étant depuis quelques années très interconnectés. Ce projet de lettre est le prolongement d'un travail réalisé pendant vingt ans auparavant dans la presse professionnelle, notamment à la direction de La lettre de l'environnement avant qu'elle soit arrêtée par son éditeur.
La notion de développement durable est-elle dépassée ?
Quand une expression ou un terme devient une référence, comme cela l'a été pour le "développement durable", je crains toujours qu'il soit rapidement galvaudé. Et c'est vrai qu'il est agaçant de voir le développement durable mis à toutes les sauces, comme c'est d'ailleurs le cas aujourd'hui avec la transition écologique ou l'économie circulaire, au risque d'en perdre le sens réel. Cela dit, je pense que la notion de "développement durable" a plus que jamais du sens si on revient à son fondement, à savoir concilier l'économie, l'environnement et le social.
Alors qu'il y a encore quelques années, les exigences environnementales pouvaient apparaître uniquement comme une source de contraintes ou de coût, elles sont de plus en plus porteuses, notamment grâce aux évolutions technologiques, de développement économique et de compétitivité dans le respect des personnes. C'est sans doute l'évolution principale des dernières années : le développement durable est passé d'un concept à une réalité économique et ceci, grâce à l'innovation.
Comment se positionne la France sur le secteur des GreenTech ?
Il y a un double visage de la France des éco-technologies et éco-services. Suivre au quotidien depuis 25 ans les innovations de ces secteurs m'a appris tout d'abord que la France était incontestablement un vivier très fourni d'éco-innovations et en permanence renouvelé. Les laboratoires et les entreprises, notamment les plus petites, regorgent d'idées novatrices et sont très créatives, sortant souvent des sentiers battus, donc sources de sauts technologiques.
En outre, ce qui marque, c'est la diversité très large des éco-innovations, positionnant la France sur tous les fronts avec de vrais atouts. Cela dit, il semble évident que nous souffrons encore d'une faiblesse dans l'accompagnement à maturité et industrialisation des idées. Il y a beaucoup de dispositifs qui vont dans le bon sens pour tenter de mieux couvrir toute la chaîne de valeur entre l'idée initiale et l'industrialisation et la montée en puissance commerciale. Mais il reste toujours un gap difficile à franchir pour beaucoup de petites structures, entre les premiers soutiens (qui ne sont pas toujours faciles à trouver quand on n'est pas dans l'air du temps) et l'industrialisation massive.
Les technologies les moins capitalistiques sont souvent les plus favorisées, et les montants de soutien semblent rester globalement plus modestes que dans d'autres pays occidentaux. On parle aujourd'hui de concentrer les efforts sur les plus gros projets : c'est sans doute une bonne chose de penser à doper les soutiens dans des secteurs très capitalistiques (comme la chimie verte), mais la structuration de la croissance verte se fera aussi avec de multitudes initiatives de TPE et PME. Il ne faudra pas les oublier.
À quelles innovations majeures devons-nous nous attendre dans les prochaines années ?
Faire de la prospective est toujours compliqué et je ne serai pas très originale sur les axes forts qui se distinguent. Globalement cependant, je pense que ce qui crée la dynamique, c'est la notion d'optimisation de la gestion des ressources qui se raréfient ou se fragilisent.
Les technologies de demain seront celles qui contribueront à consommer au plus juste (l'eau, l'énergie, les matières), à diversifier les approvisionnements (substituts, recyclage) et celles enfin qui permettront des traitements plus affûtés pour préserver les milieux.
Dans ce contexte, je crois beaucoup dans la chimie verte et/ou du végétal, qui est une vraie opportunité de pérennité pour la chimie sur le territoire et à l'export, mais aussi pour les potentiels fournisseurs et utilisateurs de cette filière. C'est un secteur prolifique, déjà très diversifié car touchant autant les molécules que les matériaux, et surtout enthousiasmant.
Autre exemple d'une filière prometteuse, l'électronique organique. Nous avons déjà des pépites dans cette filière en devenir. Impossible aussi d'oublier l'énergie et je vois en particulier toutes les technologies visant à promouvoir un usage efficace de l'énergie : les moyens intelligents de gestion (smart grid et smart home systems), associés à des enjeux forts de gestion des données (donc en lien avec les TIC), aux défis du stockage, transformation et de la récupération d'énergie décentralisée (multiples technologies possibles), aux technologies peu énergivores (éclairages LED, variation de vitesse, micro-systèmes de production etc.) et bien sûr aux exigences de diversification des approvisionnements. Il faudra aussi dans l'avenir compter avec toutes les innovations dans le domaine agricole au sens large, avec en particulier une montée en puissance des technologies de biocontrôle (pour réduire les usages de phytosanitaires).
Enfin, après quelques années en retrait, le secteur des déchets est en train de voir émerger une nouvelle génération de technologies pour permettre un recyclage à valeur ajoutée, aller chercher des matières là où on ne pouvait pas avant, tant techniquement qu'économiquement. Cette approche vaut d'ailleurs aussi pour le CO2 pour lequel on voit émerger des solutions pertinentes de recyclage matière (en énergie ou en process industriel) et non en stockage. La liste des tendances est ainsi trop longue à poursuivre tant les enjeux environnementaux sont diversifiés et tout aussi importants les uns des autres.
On peut simplement encore noter la synergie forte entre les domaines qui imposent des gestions originales des ressources disponibles . Typiquement, c'est le cas avec la station d'épuration qui ne sera bientôt plus seulement un système de traitement visant à protéger le milieu récepteur, mais plutôt une source d'eau recyclée, de matières premières à valeur ajoutée (engrais mais aussi molécules d'intérêt, minéraux et..) et un moyen de production d'énergie.
Des idées de startups qui ont tout compris ?
Le fait est que certaines PME ont réussi à convaincre et à se positionner très avantageusement sur les marchés nationaux et internationaux. En chimie verte, il suffit de citer Global Bioénergies ou Déinove, considérées sans aucun doute comme des références en biotechnologies et qui doivent maintenant monter en puissance, mais il existe tout un environnement prometteur en extraction de molécules, en formulation ou en étapes préparatoires de la biomasse par exemple (à l'exemple d'Ecoat dans la formulation d'alkydes biosourcés pour les peintures).
Autre exemple dans l'énergie avec Lucibel qui fabrique des dispositifs d'éclairage à LED, auquel il faudrait associer le potentiel de la startup Aledia qui vise avec un procédé issu du CEA à produire les LED selon un procédé novateur qui permettra de casser les coûts de production des diodes et donc d'élargir le marché d'usage. En stockage d'énergie, l'exemple de Mcphy dans le stockage d'hydrogène s'impose aujourd'hui, mais il faut suivre aussi les acteurs de l'ORC (qui permet de transformer de la chaleur en électricité), le savoir-faire dans les matériaux à changement de phase et les positions dans les nouveaux dispositifs de batteries (notamment les supercondensateurs - voir Nawa Technologies).
Dans l'électronique organique, des sociétés telles que Disasolar ou Sunpartner sortent du lot mais sont accompagnées par un éco-système stratégique français très intéressant (imprimantes jet d'encre, producteurs d'encres conductrices etc.). Quant aux secteurs de l'air ou de l'eau, on y voit émerger des solutions d'oxydation avancée diverses, combinant des savoir-faire en photocatalyse, en oxydation UV, en plasma froid, sans compter des compétences avancées dans l'analyse, avec des processus de plus grande sensibilité et très grande rapidité (à l'image des startups AP2E, Alyxan, Apix Technology, Klearia ...).
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