La dernière fois que le World Electronics Forum avait décidé de s'établir en Europe, c'était en 2005, à Londres. Depuis, l'événement qu'on appelle communément le "Davos de l'électronique" s'était surtout concentré sur l'Asie et les États-Unis. Un choix qui se ressent à la vue des disparités entre les 24 délégations représentées en 2017 en France mais qui a permis à la ville d'Angers de démontrer, notamment à la Chine et sa trentaine de représentants de haut vol, tout le savoir-faire des entreprises de l'Ouest.
Car si l'agglomération angevine jouit d'une reconnaissance non négligeable depuis sa labellisation French Tech en juin 2015, elle semble surtout avoir fait un choix judicieux quant à son positionnement dans l'écosystème français, face à ses voisines Nantes et Saint Nazaire : miser sur l'IoT et le manufacturing. Pourquoi ? Grâce à son important passé industriel dans l'électronique et l'informatique. D'abord, avec Thomson (Technicolor), dans les années 50, puis avec l'arrivée de l’usine Bull, inaugurée en 1963 (et rachetée par Atos en 2014) et plus tard Motorola et Selco (Eolane). En 1985, ce sont ainsi 10% des Français de la filière électronique qui se concentrent dans la région angevine.
De l'âge d'or de l'électronique aux prémices de l'IoT
Pourtant, la crise des années 2000 aura presque eu raison de l'électronique angevin. Les grosses usines décident de délocaliser en Asie pour réduire les coûts, tandis que la main d'oeuvre, aussi compétente soit-elle, reste sur le territoire. Au total, ce sont près de 6000 emplois qui sont perdus à cette époque. "Le Grand Ouest a souffert de l’effondrement des télécoms qui étaient un moteur pour la région. Le département a subi deux vagues de mondialisation", explique Michel Perrinet, délégué territorial d'Angers French Tech, avant d'ajouter "qu'aujourd’hui, il faut 900 petites entreprises pour réunir le nombre d’emplois qu’on avait avec seulement deux il y a quelques années".
La région se retrouve donc confrontée à un défi de masse : se reconstruire et opérer un tournant vers l'électronique de pointe, pour glisser doucement vers l'IoT : "On a raisonné comme un entrepreneur, qui dans son garage aurait voulu lancer un projet. On s’est dit : "sur quoi on peut miser ?" Un peu de Family Money, un peu de force de persuasion, et le fait qu’à un moment on aura trois minutes pour pitcher notre projet et convaincre des personnalités qui nous aideront à réaliser nos objectifs", précise Christophe Béchu, maire d'Angers.
En s'appuyant sur sa filière électronique, qui rassemble à ce jour près de 25 000 emplois, 3900 étudiants en formation initiale et 250 chercheurs, les politiques de la région se sont ainsi attelés à redynamiser l’emploi et attirer les talents dans les Pays de Loire. Un défi de masse, qui a débuté par le développement de nouveaux projets de recherche et développement d’envergure européenne : "On est allé voir l'ensemble des établissements de recherche du territoire (1100 chercheurs) pour leur demander : "Et vous, dans votre spécialité, les défis de l'objet connecté, c'est quoi ?". En retour on a eu 18 sujets de recherche et d'enseignement qui ont été proposés au mécénat pour financer des chaires de recherche".
"On n'a pas voulu s'interdire de voir loin"
Et depuis 2015, date de sa labellisation French Tech, l'agglomération angevine multiplie les actions pour accueillir les entrepreneurs et les projets innovants, mais aussi les accompagner au mieux dans leur développement. "Le pari, c’est de se dire : il y a un potentiel dans la création de richesse, un intérêt qui tient au fait qu’il y a de la production et qu’on peut fournir des emplois à des gens qui n’ont pas forcément de bagage universitaire", explique Christophe Béchu. Un élément déterminant dans la création, notamment, de la Cité de l’Objet Connecté, un accélérateur industriel porté par un consortium de 18 entreprises, et qui permet aux entreprises innovantes de l’IoT de passer en quelques mois du concept à la production de pré-séries. "Si, déjà, on fait du prototypage et des petites séries avant mise sur le marché, c’est des gisements qui peuvent se compter en centaines d’emplois sur le territoire", se réjouit le maire.
La ville, qui a également lancé "Imagine Angers", un appel à projets urbains et architecturaux dans plusieurs lieux stratégiques de son agglomération afin de transformer des dents creuses ou des espaces bâtis en nouveaux espaces de travail, d'accompagnement, ou de rencontre, se prépare également à créer un fonds local. "La vision d'Angers French Tech ça n'est pas seulement d'accompagner les startups dans leur recherche de financement, mais plutôt de proposer une vision de l'avenir du développement économique du territoire autour de l'objet connecté. Un avenir qui passera par la transformation de l'usage, en montrant par exemple aux acteurs de l'économie traditionnelle que les objets connectés vont pouvoir apporter des réponses à certaines de leurs problématiques", commente Michel Perrinet.
Et ça marche. Plusieurs pépites locales participent aujourd'hui à la renommée de la région, Qowisio en tête, et les structures d'accompagnement externes commencent à s'implanter sur le territoire, à l'image du Village By CA qui annonçait en juillet dernier son arrivée dans la région, appelant les jeunes pousses locales à le rejoindre. NUMA, de son côté, lance NUMA Angers IoT, un accélérateur dédié aux startups des objets connectés.
Pour vivre heureux, vivons cachés ?
Mais alors pourquoi Angers ne rayonne pour le moment pas autant que Nantes, sa voisine, ville-modèle du numérique et des startups ? Outre la différence de taille entre les deux villes, Angers n’a, depuis 15 ans, mené aucune stratégie de communication dédiée à attirer de nouveaux talents en son sein. Au contraire. "Mes prédécesseurs assumaient, même médiatiquement, le fait qu’il fallait vivre cachés pour vivre heureux", explique Christophe Béchu. La population angevine, qui évolue dans l’une des premières villes française ou il fait bon vivre, peine à prendre conscience des richesses de leur environnement : "on y est tellement bien que les gens ne vont pas voir ailleurs ce qu’il se passe. Il y a un vrai déficit de fierté locale et pour convaincre les gens d’être des ambassadeurs, ça n'est pas simple", précise le maire.
Pourtant, les responsables de la French Tech Angers s'accordent à dire que ce qui est bon pour Nantes l’est aussi pour Angers, et ce qui est bon pour Angers le sera demain pour Nantes. En somme : le sujet n’est pas Nantes contre Angers, mais bien de quelle manière convaincre les investisseurs étrangers d'investir en France plutôt qu'autre part. "On a tout intérêt à ce que notre écosystème global se développe", insiste Michel Perrinet. Et pour que ce dernier puisse rayonner, c'est aux villes, et surtout à leurs acteurs, de s'investir.
"On a un défaut de taille qui est un avantage. On a une taille où l'on peut encore à peu près tout suivre : on est suffisamment grand pour relever de belles problématiques, pour intéresser potentiellement des groupes, et suffisamment petit pour mettre tout le monde autour de la table et prendre des décisions rapidement", explique Christophe Béchu. Si l'objectif des pouvoirs publics ces prochaines années sera bien de valoriser leur écosystème dans le monde entier, comme l'a rappelé le premier ministre Edouard Philippe ce vendredi au WEF, Angers a toutes les cartes en main pour faire rayonner son propre territoire, en accélérant avant tout dans l'accueil et la création d'entreprises. "En braquant les projecteurs sur Angers, on est en train de montrer qu’il s’y passe des choses, et ça relance tout un écosystème", conclut le maire.