Par Nicolas Guyon
10.04.25 — 09h00
L’intelligence artificielle générative est en passe de bouleverser l’éducation
Son hyper personnalisation permet de proposer un apprentissage enfin taillé sur mesure, libéré du carcan du « cours unique pour tous ». Cette promesse séduit : au Texas, des outils d’IA corrigent déjà les copies et ciblent précisément les lacunes de chaque élève. Anthropic, avec « Claude for Education », vise à approfondir la réflexion grâce à une approche socratique. Des chiffres récents indiquent que 86 % des étudiants de 16 pays (dont la France) utilisent déjà l’IA, et les prévisions tablent sur un marché mondial de l’éducation dopé par l’IA à plus de 30 milliards de dollars dès 2029.
Une école privée d’Austin a remodelé tout son modèle autour d’un tuteur virtuel : à l’Alpha School, les élèves passent deux heures par jour avec une IA et décrochent des résultats scolaires hors norme, figurant parmi les 2 % des meilleurs élèves au niveau national. Le reste du temps est dédié à l’oral, au sport ou à la créativité – des domaines où l’IA n’intervient pas. En parallèle, de grands noms de la tech investissent le terrain : Khan Academy expérimente depuis plus de deux ans un assistant baptisé Khanmigo, conçu pour guider l’élève pas à pas sans fournir la réponse toute faite.
Les avantages sont nombreux. La personnalisation de l’apprentissage, graal des pédagogues, devient accessible à grande échelle : rythme modulé, détection précoce des difficultés, exercices adaptés. L'IA offre un feedback immédiat que même l'enseignant le plus dévoué ne peut fournir à 30 élèves simultanément.
Mais cette médaille a un revers. Selon une étude Microsoft-Carnegie Mellon, l’usage intensif de l’IA entraînerait un affaiblissement des capacités de pensée critique, symptôme d’une « délégation cognitive » où l’on se repose systématiquement sur la machine. L’effort, pourtant indispensable pour ancrer durablement le savoir, risque de passer au second plan. Les chercheurs redoutent que cette automatisation de la réflexion n’atrophie notre goût du raisonnement complexe. Cependant, une enseignante californienne résume l’état d’esprit ambiant : « Les emplois du futur, dans un monde où l’IA existe, vont exiger des compétences que nous n’imaginons pas encore. Nous devons outiller nos élèves pour ce futur plutôt que les en priver ».
La France tente d’anticiper. Dès la rentrée 2025, les classes de 4ᵉ et de 2de intégreront un module obligatoire sur l’IA. Une charte d’usage doit paraître au printemps afin de fixer des règles claires. Cette prudence rappelle celle de nombreux pays qui redoutent que l’autonomie intellectuelle, déjà malmenée par la multiplication des écrans, ne s’étiole encore.
Le nœud du débat tient dans la place de l’effort et de l’erreur dans l’apprentissage. Un chatbot peut résoudre des équations en un instant, mais ne peut comprendre ou raisonner à notre place. Des outils tels que Stewdy, conçus pour interroger l’élève au lieu de lui répondre, offrent une piste : utiliser l’IA pour soutenir la pensée critique plutôt que la remplacer. L’enseignant, dans ce contexte, devient le chef d’orchestre de l’intelligence collective en classe : il valide l’information, stimule la discussion, donne du sens. L’IA ne se substitue pas au professeur, elle l’assiste.
Les voix des grands patrons sont partagées. Elon Musk alerte sur la passivité induite par ces systèmes, citant le risque d’une génération en permanence « éduquée » par des algorithmes. Bill Gates, à l’inverse, imagine qu’un tutorat de haut niveau pourrait bientôt être accessible à tous, démocratisant un soutien scolaire aujourd’hui réservé à quelques privilégiés. Sam Altman, co-fondateur et CEO d’OpenAI, prône la maîtrise des outils d’IA ainsi que l’adaptabilité et la résilience.
L’essentiel est là : l’IA éducative, déjà présente dans les cartables, ne disparaîtra pas. La question n’est plus de savoir s’il faut l’introduire, mais comment l’exploiter sans abdiquer l’intelligence humaine. L’IA peut personnaliser l’apprentissage comme jamais auparavant, mais sans vigilance, elle peut aussi en saper les fondations cognitives.
Une école véritablement augmentée ne délègue pas la pensée : elle invite chacun à s’emparer de l’outil pour aller plus loin. Veillons donc à ce que cette révolution se fasse au service du développement mental, et non à son détriment. Car si l’IA sait donner des réponses, il nous appartient de continuer à poser les bonnes questions. Il y va de l’avenir intellectuel de toute une génération – un enjeu qui mérite bien plus qu’un effet de mode.
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