Les startups de la consommation collaborative fleurissent depuis quelques années: tout semble aujourd'hui pouvoir se partager, s’échanger ou se louer entre particuliers. Le bouleversement des secteurs traditionnels est réel, moins par effet de mode que par nécessité de s’adapter à ces transformations économiques et sociales. Article proposé par Aurélie Daniel, COO Cookening et blogueuse En 20 lignes.[hr]
Plus encore, les acteurs traditionnels ont désormais bien compris que ces plus ou moins jeunes pousses portaient bien leur nom de startups, loin de l’association à but non lucratif.
Il s’agit avant tout de startups du web
Crise sans précédent, explosion d’internet et évolution des habitudes de consommation ont mené à un avènement de l’usage, primant de plus en plus sur la seule propriété*. Les startups de la consommation collaborative permettent ainsi à leurs usagers de privilégier l’accès à des biens et services (partage, échange, troc, revente, échange, location, don…) plutôt que leur possession ou simple acquisition.
Plus précisément, ces startups, proposant leurs services sous forme de plateformes en ligne de mise en relation, permettent à leurs utilisateurs d’optimiser des ressources jusqu'à lors sous-utilisées (exemple-type de l’autopartage ou de la location entre particuliers), de redistribuer des produits dont ils n’ont plus l’utilité (places de marché de revente, troc et dons, allant d’Ebay à Vide-Dressing et Freecycle ou encore Sharewizz), ou encore de partager ou échanger services, temps, savoir-faire.
En mettant en relation des inconnus à ces fins diverses, les acteurs de la consommation collaborative permettent certes de recréer du lien social tout en optimisant des ressources. Il n’en reste pas moins que ces acteurs sont avant tout des start-ups du web.
Leur cœur de métier est l’intermédiation
Cette intermédiation se matérialise par la construction puis l’amélioration continue d’une plateforme web et l’élaboration d’une stratégie autorisant
- d’une part l’acquisition d’une masse suffisante d’utilisateurs, nécessaire au fonctionnement même du modèle, puis à son développement ;
- et d’autre part la sécurisation des échanges voire des transactions entre leurs utilisateurs : niveau de détails des profils voire système de certification, messagerie en ligne ou non, système de paiement sécurisé, systèmes de notation et de recommandation augmentant la confiance et la transparence...
Dès lors, même dans les cas où il s’agit d’entreprises sociales et solidaires, peu d’éléments, sur le fond et en particulier sur les moyens de devenir rentables, diffèrent d’autres startups. En effet, elles ont besoin d’un investissement important pour financer leur croissance, leur fort potentiel de développement reposant sur leur capacité à convaincre et mobiliser une communauté de plus en plus importante et à favoriser suffisamment sa confiance pour la rendre la plus active possible (utilisateurs puis ambassadeurs). En bref, il s’agit d’offrir une position plus que centrale au "consommateur usager".
Quel que soit le modèle économique, le growth hacking et plus simplement le volume, dans cette perspective, sont des points fondamentaux, en témoignent les courbes exponentielles de croissance d'Airbnb et Blablacar ici présentées sous forme d’infographies.
Si les grandes marques (co-voiturage proposé par Ikea et Castorama, auto-partage proposé par Peugeot et Citroen avec Mu By Peugeot et Multicity, associations voire prises de participations entre banques et plateformes de crowdfunding, etc.) épousent le mouvement, identifié de plus en plus unanimement comme durable, il ne s’agit pas simplement d’une démarche visant à susciter la sympathie de leurs prospects.
La plateforme, quel que soit le service, joue le rôle d’un intermédiaire : ce rôle correspond à la source de ses revenus, directement grâce à un modèle marchand et/ou indirectement grâce à un modèle publicitaire.
Leur modèle économique est marchand, publicitaire ou mixte
Qu’ils se présentent ou non à l’origine comme à but lucratif, les acteurs de la consommation collaborative réalisent très vite que l’existence même de leur service est menacée sans monétisation du service.
Cette monétisation peut s’effectuer de plusieurs manières.
Le modèle le plus répandu est un modèle marchand, lorsque le service d’intermédiation le permet. Concrètement, ce modèle ne peut en principe être mis en œuvre que lorsqu’il existe une transaction financière en ligne, permettant à la plateforme de percevoir une commission fixée à un certain pourcentage des montants versés de particulier à particulier sur la plateforme. On se souvient des vives réactions suscitées par l’introduction de ce modèle chez Blablacar, encore appelé Covoiturage.fr à l’époque…jusqu’à ce que ses utilisateurs comprennent que le maintien et les améliorations d’un service de qualité en dépendaient.
Dans certains cas, les plateformes proposent aussi un abonnement payant, ou un tarif fixe, parfois même en l’absence de transactions en ligne, facturant ainsi l’accès au service. La facturation de services complémentaires est également de plus en plus répandue (exemple-type de l’assurance).
Lorsque le service d’intermédiation proposé par la plateforme ne le permet pas (cas du don ou du troc, par exemple), la règle demeure : "si c’est gratuit, vous êtes le produit".
La plateforme reposera sur un modèle publicitaire, vendant de l’audience à des annonceurs. Peu étonnant dès lors que Couchsurfing, qui ne facture pas (encore) ses services d’intermédiation à ses utilisateurs, ait déclenché leur colère en alignant ses conditions d’utilisations sur celles de Twitter et Facebook concernant la collecte et le partage de données à caractère personnel. Couchsurfing cherche encore son modèle économique en étant parfaitement conscient que monétiser la mise en relation, alors qu’il repose sur des échanges gratuits, est difficilement envisageable malgré le coût du maintien de ce service.
Ce modèle publicitaire est plus largement relativement risqué pour les start-ups de la consommation collaborative dans la mesure où la plateforme est sensée avoir une certaine neutralité du point de vue de ses utilisateurs, afin de placer ces derniers au premier plan, ne jouant que le rôle de l’intermédiaire de sécurité et de confiance.
Un juste équilibre est par conséquent à trouver, lors de placements de produits et partenariats, entre la volonté des marques traditionnelles de s’inscrire dans le mouvement de la consommation collaborative et le développement d’une communauté active sur la plateforme.
Enfin, ce modèle publicitaire n’est envisageable qu’à partir d’un certain volume d’utilisateurs, lui-même conditionné par l’effet de levier permis le cas échéant par un investissement de départ important. Or sans perspective de monétisation à moyen terme, ce que permet plus facilement un modèle marchand, les investisseurs potentiels sont plus difficiles à convaincre.
Les modèles mixtes, alliant modèle marchand et modèle publicitaire, paraissent ainsi les plus opportuns tant du point des attentes de l’utilisateur vis-à-vis de la plateforme que du développement de cette dernière. Faible commission ou prix fixe combiné à des placements de produits ou partenariats auprès d’une audience nombreuse et très fortement qualifiée semblent les plus respectueux de l’état d’esprit du mouvement et plus prosaïquement, les plus pertinents pour assurer la rentabilité de ces startups.
En tout état de cause, soyez assuré qu’une plateforme web apportant une valeur ajoutée à ses utilisateurs gagnera de l’argent, qu’il s’agisse ou non de consommation collaborative. Innovation d’usage certes, bouleversement des méthodes de rentabilité et de profitabilité, rien n’est moins sûr.[hr]
*Pour en savoir plus, consultez le magazine du collectif OuiShare, le blog de la consommation collaborative, le site du think tank Without Model et le livre blanc d’Edouard Dumortier.
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