Entrepreneur·euse·s et investisseur·euse·s ont l’habitude de dire qu’un investissement est une forme de mariage. Certains filent en effet le parfait amour, en parfaite symbiose, présentant une confiance à rendre jaloux ceux qui n’ont pas la chance de connaître cet état de grâce. D’autres peuvent au contraire s’unir pour de mauvaises raisons et voir leur relation minée par l’incompréhension voire les mensonges, jusqu’à l’inévitable divorce. Entre ces deux extrêmes, il existe tout un tas de couples qui composent avec les compromis, s’accommodent parfois de demi-vérités arrangeantes et apprennent à s’aimer au quotidien. Une métaphore qui sied bien aux relations entre startups et investisseurs, d’autant plus en période de forte incertitude comme celle que l’on connaît depuis le début de la crise.
Car c’est finalement en pleine tempête que la solidité de l’attelage peut le mieux être éprouvée. Et que la confiance que l’on place dans son partenaire prend toute son importance. Si l’on risque le naufrage, il faut pouvoir compter sur toutes les forces vives pour redresser la barre. Et si l’on a le vent dans le dos, une équipe solide permet de ne pas chavirer sous le coup d’une accélération trop intense. À ce titre, la crise du Covid a durement éprouvé les liens entre startups et investisseurs mais a également permis de remettre quelques pendules à l’heure.
Pour que la confiance règne, la transparence doit primer
"Les temps ont effectivement changé avec la crise du Covid et c’est autant le travail de l’investisseur que de l’entrepreneur.se de maintenir un certain niveau de confiance ", estime ainsi Emmanuel Cassimatis, partner au sein du SAP.io Fund. À chacun son rôle : "C’est celui de l’investisseur de demander un certain nombre de données pour suivre au mieux ses participations ou évaluer une entreprise du deal-flow et c’est celui du startupper de les fournir en toute transparence" . Des pré-requis souvent implicites mais fondamentaux à partir du moment où une entreprise compte des actionnaires. "L’entrepreneur compte sur mon aide. Mais en contrepartie de ma confiance, j’attends que la sienne se matérialise par une transparence absolue. C’est la condition pour que la relation ne se dégrade pas."
Une transparence que les derniers mois ont mise à mal, sous un effet combiné de l’incertitude économique et d’une abondance de capitaux sur le marché. "Cela a eu pour effet de polariser les investisseurs autour des meilleures entreprises, qui sont très courtisées. Aujourd’hui, les startups les plus prisées peuvent recevoir jusque 10 à 12 term-sheets. La relation s’est quelque peu inversée par rapport à quelques années ", constate Emmanuel Cassimatis. De quoi faire tourner la tête de certain·e·s entrepreneur·se·s qui s’affranchissent d’autant plus facilement de leur devoir de transparence qu’ils savent qu’ils trouveront une oreille attentive ailleurs. "Certains essaient de maquiller un peu les choses pour rendre la société plus attractive, d’autres attendent parfois plusieurs rendez-vous voire même le début des négociations exclusives avant de fournir certaines données" , mentionne l’investisseur.
Parler le même langage
Syndrome d’hubris, volonté malveillante ou simple incompréhension ? Chaque situation est évidemment différente mais l’évolution fulgurante de l’écosystème tricolore ces dernières années rappelle aussi que les entrepreneur·se·s sont pour certains encore peu habitué·e·s aux responsabilités qu’implique la maturité. "Toute entreprise connaît des seuils de professionnalisation de son activité qui impliquent une relation différente avec les investisseurs" , constate Franck Boniface, qui après avoir travaillé pour les pépites du Next 40 Vestiaire Collective puis Shadow a rejoint l’équipe d’e-sport Team Vitality en tant que COO. "Il faut leur fournir davantage d’informations sur les fondamentaux du marché, leur donner de la visibilité à plus long terme et leur indiquer où se trouve l’entreprise par rapport au plan prévu…"
Autant de demandes qui peuvent être mal perçues par les startuppeurs peu rompus aux usages des VCs. L’enjeu pour les COO ou CFO est donc aussi de "minimiser les écarts de perception" entre les deux parties. "La règle est de commencer par bien comprendre les investisseurs, leur personnalité, leurs attentes pour les gérer au mieux. Trop d’entrepreneurs pensent que la transparence consiste à envoyer des tonnes de fichiers alors que les investisseurs attendent qu’on en sorte les points majeurs à discuter, par exemple" , illustre Franck Boniface. "Il faut donc d’un côté donner du sens à ce que l’on fait auprès de l’investisseur mais aussi faire comprendre en interne le rôle de l’investisseur. Il s’agit de faire bouger les lignes de part et d’autre pour arriver à un point de convergence."
Transmettre moins de données mais des chiffres pertinents, c’est aussi pour cela que les investisseurs se sont dotés d’outils technologiques afin de structurer leurs demandes et de les rendre plus facilement compréhensibles par les entrepreneurs. Discuter sur le base de quelques chiffres-clés - le burn rate, le churn ou encore les bénéfices attendus - permet non seulement de partir d’un constat commun mais aussi de rationaliser la discussion qui en découle. "Les outils d’extraction de données rendent le suivi plus simple, témoigne Emmanuel Cassimatis. Nous avons la chance en France d’être dans un marché très intermédié où les leveurs et les banques d’affaires s’occupent de récupérer et vérifier les données. Mais, au final, même si nous avons besoin de systèmes informatiques, cela reste un sujet humain" . Si l’on peut faire confiance les yeux fermés à un algorithme qui récupère les données, la transparence, elle, reste l’apanage de ceux qui consentent à les fournir !
S'adapter au contexte
Si les entrepreneur·euse·s doivent apprendre à répondre à certaines exigences des investisseurs, a contrario la crise a mis crûment en lumière les différences de positionnement entre les différents types d’actionnaires. "Avec le Covid, on a vu certaines dynamiques émerger, reconnaît Emmanuel Cassimatis. Des fonds avaient de trop fortes attentes vis-à-vis de certaines entreprises étant donné le contexte de crise, les plaçant dans des scénarios risqués en cas de crise prolongée."
Charge alors aux investisseurs de s’assurer que la relation continue de créer de la valeur sans générer de tensions. Mais aussi aux entrepreneurs de "rationaliser le degré de délivrabilité ", explique Franck Boniface. "C’est une vraie problématique de gestion de l’ambition : avant de parler d’objectifs, il faut qu’on soit certains de comprendre notre environnement de marché de la même manière. Il faut donc savoir entendre l’ambition des investisseurs tout en se mettant dans une position de répondre à leurs attentes, parce que ça ne sert à rien d’accepter des objectifs que l’on sait ne pas pouvoir atteindre."
Une fois ces - nombreux - écueils surmontés, la relation startup-investisseur peut alors démontrer son plein potentiel. "Les investisseurs doivent être considérés comme des partenaires business, pas comme des organes de contrôle, souligne le COO de Team Vitality. Ils ont de l’expérience et il faut savoir l’utiliser à bon escient."
Un rôle que de plus en plus d’investisseurs ont plaisir à endosser pour porter leurs participations à leur potentiel maximal. "La confiance se construit aussi en réalisant les objectifs donnés" , atteste ainsi Franck Boniface. "Nous sommes dans un environnement instable qui ne nécessite une agilité extrême tant sur le fond que la forme" qui n’est pas toujours évidente à trouver… mais qui reste pourtant la clé pour jouer dans la cour des grands. "Une fois que l'on a trouvé la bonne manière de communiquer, les équipes se sentent portées et les investisseurs en confiance" , résume le COO de Team Vitality.
Maddyness, partenaire média de SAP