Republication du 2 octobre 2020
Certaines entreprises françaises, qui avaient exilé leur production tech à l'étranger, réfléchiraient sérieusement à la rapatrier en France, à l'instar de Lunii et sa fabrique à histoires. Si dès le départ, les quatre fondateurs (Maëlle Chassard, Eric Le Bot, Igor et Thomas Krinbarg) désiraient ancrer leur production en France, le peu de soutien apporté par le pays et les prix prohibitifs des usines françaises ont rapidement douché leurs ambitions. Encore une fois, c’est la Chine qui a raflé la fabrication de ce petit boîtier. Plus forte et plus capée, la startup française est en train de ramener sa production en terre natale. Retour sur cette expérience.
La Chine, une terre promise pour les petites startups françaises
Après des mois de R&D, c’est enfin le moment de passer au fameux "golden prototype” censé être la référence pour passer à la phase industrielle et lancer sa production. Mais tout n'est pas si simple et l'excitation laisse rapidement place à la déception pour les fondateurs de Lunii. "Notre démarche était un peu bancal, nous sommes allés frapper à la porte de plusieurs bureaux d’étude et d’usines mais les entretiens duraient 10 minutes" , se rappelle Maëlle Chassard. C'était le temps suffisant pour indiquer un tarif et... remercier les jeunes entrepreneurs qui n'avaient pas encore les finances requises. "Pour notre seul prototype, on nous demandait 200 000 euros, un prix totalement déconnecté de la réalité des petites entreprises alors qu'il était trois à quatre fois moindre en Chine" , révèle Igor Krinbarg. Difficile de rivaliser avec l'Asie dans ces cas-là. Malgré sa détermination, la seule aide que reçoit la startup est une "subvention de l’État pour réaliser une preuve de son concept (POC)” , ajoute Maëlle Chassard. Mais ce soutien financier, aussi bénéfique fut-il, n’a pas été suffisant pour retenir la production sur le sol français.
En Chine, les choses ont été plus flexibles et la main d'oeuvre y est moins chère. Mais c'est surtout le caractère humain de la fabrication qui a fait la différence aux débuts de Lunii. "Nous avons fait produire dans une petite usine familiale où tout est fabriqué à la main, ce qui permet de changer une ligne de production rapidement” alors qu'en France l'entreprise avait constaté que l'industrie était trop automatisée pour leur projet de l'époque.
Mais ces avantages chinois ont aussi trouvé leurs limites. "Ce n'est pas la même culture ni les mêmes méthodes de travail. Chez eux, tout n'est pas écrit noir sur blanc. Il faut être vigilant et être sur place pour vérifier que tout se passe bien” , reconnaît Igor Krinbarg. En y repensant, la complexité française a finalement un côté rassurant pour les quatre fondateurs car "en cas de problème, vous êtes assurés" .
Du Made in China au Made in France, la route est longue
L'envie de revenir en France a toujours trotté dans leur tête mais c’est en 2018 que l’idée a pu se concrétiser. "Plutôt que d'ajouter de nouvelles fonctionnalités qui n’apporteraient rien à la V2, nous avons décidé d’essayer de revenir en France” , détaille Maëlle Chassard. Déjà en relation avec le cabinet d’étude Kickmaker pour le design de cette deuxième version de leur enceinte intelligente, Lunii en a profité pour leur demander des analyses de coûts et "sourcer" des usines françaises susceptibles de réaliser leur produit. C’est finalement BMS All Circuits qui fabriquera le coeur de la fabrique à histoire, sa carte électronique, à Bayonne.
Pour revenir sur le territoire français, pas de subvention non plus. "Nos banques et Bpifrance nous ont aidé grâce à des prêts. Nous visions aussi une subvention mais elle se limitait à l'Île-de-France et notre ligne de fabrication est à Bayonne” , regrette Maëlle. Afin d'assurer la continuité de leur production, Lunii a "continué à produire sa V1 en Chine tout en débutant en parallèle la fabrication en France".
Si Lunii a pu revenir dans l'Hexagone, c’est parce qu’elle bénéfice d’une ligne automatisée élaborée uniquement pour elle, ce qui permet de réduire la main d’oeuvre. En contrepartie, l'entreprise a dû revoir légèrement le design interne. La startup gagne aussi sur le coût de transport même si, au final, les tarifs restent "un peu plus élevés", ce qui obligent les fondateurs à rogner sur leurs marges. Notons cependant que la fabrication de son casque audio reste en Chine pour le moment même si l'objectif est également de le rapatrier en France.
Au final, "faire fabriquer en France est possible malgré les démarches administratives et les coûts à condition d'avoir un certain volume (100 000 pièces) à produire et un business model vertueux" , conclut Maëlle Chassard, "ce qui n'est pas le cas de toutes les startups françaises".