En France, la tech semble avoir succombé au même écueil que la finance : l'homogénéité des profils. Force est de constater que les photos d'équipe des startups laissent peu de place à la diversité (qu’elle soit culturelle, géographique, religieuse...) sans parler des dirigeants. "Les sociétés ne représentent pas la société comme nous la voyons dans le métro” , regrette Cédric Sadai, co-fondateur de plusieurs entreprises et investisseur, qui reconnaît avoir lui-même subi des discriminations.
Les startups doivent se regarder dans le miroir
Pour l'entrepreneur, né de parents immigrés "sans un sou" pour reprendre ses mots, les entreprises peinent encore à comprendre la richesse qu’engendre la diversité de points de vue, de vécus, de parcours et de manière de penser. Pourtant plusieurs études comme celle de Deloitte, réalisée en novembre 2019, révèle que les entreprises incarnant la diversité réalisent 30% de chiffre d'affaires supplémentaire. Cédric Sadai se demande sincèrement si les "dirigeants en ont conscience" et si leur lucidité "ne disparaît pas lorsqu’ils délèguent leur fonction RH” . Aujourd’hui encore, les startups parisiennes ont un réflexe de recruter des candidat·e·s provenant des mêmes écoles, issus du même réseau et possédant les mêmes codes.
"Sans aller dans la diversité culturelle, on peut observer des discriminations de la province vers Paris car les codes n’y sont pas les mêmes" , observe de son côté Paul Lê, fondateur de La Belle vie, un site e-commerce de livraison de produits frais en une heure, basé à Vitry-sur-Seine dans le Val-de-Marne. Cela passe par un code vestimentaire mais aussi une manière de parler et de se présenter. Ces biais qui paraissent insignifiants peuvent facilement mettre à l’écart d'éventuel·le·s candidat·e·s pourtant très qualifié·e·s. Les équipes RH doivent donc réussir à creuser au-delà du diplôme et du langage.
Pour éviter de tomber dans le piège de ces biais, Cédric Sadai imagine la mise en place d'audit des entreprises. Et pourquoi pas ne pas prendre exemple sur les États-Unis en mettant en place des responsables de la diversité au coeur des entreprises, garde-fous des pôles RH.
Combattre ces premiers biais liés à la culture d'entreprise peut aussi passer par des actions simples. "Si on inscrit que la bière fait partie de la culture d'entreprise ou qu'on joue aux jeux vidéo pendant les pauses, cela peut déstabiliser certains candidats" , renchérit Cédric Sadai.
Les quotas, un petit pas pour la diversité
Mi-septembre, le fonds britannique Atomico s'engageait sur des chiffres pour accroître la diversité de son portefeuille. Si l'engagement est louable, ses conséquences peuvent être à double tranchant. A-t-on été choisi·e pour son projet ou pour entrer dans la case quota de la société ? Pour défendre ce point de vue, Cédric Sadai fait une analogie avec les sportifs. "Aucun joueur n’a envie de participer à un match truqué". En réalité, "ce n’est bon ni pour le marché, ni pour le business car le marché est un juge impitoyable qui ne s’intéresse pas à qui vous êtes et d’où vous venez” . Finalement, cela revient un peu à défaire un biais pour le remplacer par un autre. Paul Lê est un peu plus nuancé et y voit une solution parmi d’autres même si elle n’est pas idéale. En réalité, c'est plutôt en amont qu’il faudrait travailler pour briser ces freins.
"Les jeunes au lycée et en province n’ont pas connaissance du potentiel de la tech et de ses opportunités” , reconnaissent volontiers Cédric Sadai et Paul Lê. C'est la raison pour laquelle il est primordial que les entrepreneurs·euse·s, encore plus ceux issu·e·s de la diversité, discutent avec les jeunes étudiant·e·s. L'éducation a un immense rôle à jouer dans l'ouverture de la tech à la diversité. D'autant plus qu'il est possible de se former facilement sur internet, sans forcément dépenser énormément d'argent.
En montrant que "ce n’est pas réservé aux autres, les roles models pourraient susciter des vocations" , imagine Idir Ait Si Amer, fondateur de Tracktor SAS qui estime que ces personnalités doivent davantage "communiquer sur leurs parcours, leurs entreprises, leurs idées”.
Prouver sa valeur par la création
Si les solutions présentées précédemment sont bonnes à prendre, elles mettront sans doute du temps à porter leur fruit et à créer une véritable fracture dans les entreprises dans laquelle la diversité pourra s'engouffrer. Peut-être faudra t-il même attendre une prochaine génération de dirigeants, pour qui la diversité serait une norme plus qu'un objectif. En attendant, le meilleur moyen de "prouver" sa valeur sans être contesté·e reste encore la création. "Si vous pouvez montrer ce que vous avez déjà réalisé, personne ne pourra le contester” , détaille Cédric Sadai.
Certains entrepreneur·euse·s choisissent aussi de se tourner vers la création de leur propre entreprise pour couper court aux discriminations directes et insidieuses. "Je sais que, dans certaines entreprises, je n’aurais pas pu évoluer comme je le souhaitais” , reconnaît Paul Lê. Certaines idées ne sont pas toujours entendues... alors autant les développer soi-même ?
Pour Paul Lê, le manque de diversité culturelle dans les portefeuilles des VCs proviendrait surtout du manque de deal flow et d’entreprises créés par des entrepreneur·euse·s issus·e·s de la diversité. Mais c'est le serpent qui se mord la queue tant qu'on ne donne pas à tous et toutes les mêmes armes pour gravir la montagne de l'entrepreneuriat. Reste que certains s'attèlent à apporter un peu plus d'équilibre dans l'écosystème, à l'image du programme French Tech Tremplin qui permet à celles et ceux qui le suivent d'accéder à un réseau qu'ils n'ont pas et à des financements auxquels ils n'auraient pas osé prétendre. Un petit pas en attendant de grandes avancées ?
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