La pandémie de Covid-19 qui sévit, a obligé les entreprises à adopter de nouvelles façons de travailler et de fournir des services à leurs clients. Le confinement imposé mi-mars a notamment permis de pointer les limites de la digitalisation des banques françaises : équipes connectées au réseau par intermittence pour ne pas le saturer, banquiers obligés de se rendre en agence pour traiter les demandes de leurs clients, ou encore le passage obligé des clients par la Poste pour récupérer un mot de passe perdu ou décaler des échéances de prêts. Une des pistes pour régler ces problèmes, déjà bien explorée par les banques françaises, sera de renforcer la collaboration avec les startups pour mettre en place les briques numériques qui manquent à leur édifice. Dans ce cadre, quelles sont les actions à mener pour s’assurer de la réussite de cette collaboration entre des banques françaises souvent structurées avec de lourds processus et des startups habituées à la flexibilité ?
Banques et Open Innovation : une collaboration par l’incubation
Depuis une dizaine d’années, pour faire face à l’émergence des banques en ligne et autres fintechs, tous les acteurs bancaires traditionnels ont lancé leurs incubateurs : BNP avec les lieux d’accélérations We Are Innovation (WAI), Société Générale via le Plateau, la Banque Postale avec Platform58. Au Crédit Agricole, le lancement de la Fabrique by CA en 2019 est venu compléter le dispositif déjà existant avec un objectif fort : celui de construire des propositions de valeur focalisées sur la banque et ses spécificités. Pendant longtemps, ces incubateurs ont surtout servi des plans de communication et se voulaient des sources d’inspiration. A présent, pour tous ces acteurs du paysage bancaire français, l’ambition est claire : la co-construction de nouveaux produits et services par la mise en relation ciblée des directions des banques avec les startups incubées. De nombreux partenariats ont ainsi émergé : pour ne citer qu’un exemple parmi de nombreux autres, en 2019 la startup Yapla incubée à la Fabrique, a déployé pour les clients du Crédit Agricole, son système de plateforme de paiements et de gestion tout-en-un dédiée aux associations. Le Groupe concrétise ainsi sa stratégie de création de plateformes de services bancaires et extrabancaires.
Un environnement de plus en plus favorable
Ce phénomène de prolifération des partenariats entre banques et startups est soutenu par l’évolution du contexte réglementaire Français et Européen. Avec la mise en place de l’Open Banking, permise par la Directive sur les Services de Paiements (DSP2), les banques ont été contraintes d’ouvrir leurs systèmes d’information et de partager leurs données clients via leurs Application Programming Interfaces (API). La modernisation des systèmes de paiements a également favorisé l’émergence de nouveaux produits et services, souvent impulsés par des acteurs innovants de type startups. Par ailleurs, des changements technologiques profonds accompagnent aussi ces nouveaux partenariats, plus particulièrement l’utilisation du cloud. Plusieurs acteurs bancaires ont commencé à y migrer prudemment leurs données, tout en conservant du stockage local, selon le caractère sensible des données. Cette migration facilite la collaboration avec les startups qui travaillent essentiellement sur le cloud, leur permettant notamment plus d’agilité en termes de développements et de lancements de nouveaux produits.
Un assouplissement administratif nécessaire
Pourtant, de nombreux freins subsistent, notamment dans les processus internes des banques. Du département Achats au Juridique en passant par les Directions SI (Systèmes d’Informations), les démarches sont compliquées et les formalités administratives souvent longues et périlleuses. Il n’est pas rare que deux années s’écoulent entre un projet à l’état de POC (Proof of Concept) et un déploiement du nouveau produit ou service. Habituées à fonctionner en mode agile, les startups sont régulièrement découragées par ce parcours du combattant. Ainsi, c’est l’ensemble du " parcours collaboration " qui doit être adapté pour répondre aux exigences des startups. Par ailleurs, si les banques commencent à s’attacher à la diffusion d’une culture digitale, c’est une réelle acculturation à l’innovation et à "l’esprit startup" qu’il s’agit d’entreprendre en interne, sur toute l’échelle hiérarchique. Dans cet objectif, elles ont déjà mis en place de nombreux programmes d’intrapreneuriat, concours de pitch et startup day, lab innovants et autres ateliers de co-création, qui portent leurs fruits. Cependant, l’ancrage de la culture bancaire traditionnelle est encore profond et l’évolution, indispensable, des mentalités se fera dans le temps.
Ainsi, pour combler les retards numériques identifiés quotidiennement et pendant la période de confinement, il s’agit de développer rapidement pour les banques françaises de nouvelles collaborations et de renforcer les liens existants avec les startups. Il est important de poursuivre les efforts engagés pour créer un environnement toujours plus favorable, tant du point de vue des conditions de travail et la migration des données sur le cloud, que de l’assouplissement des démarches administratives en interne, et peut être, par la création d’un " parcours startup " dédié, qui réduirait notamment le temps de signature d’un partenariat. La diffusion de la culture startup, l’agilité et l’innovation, seront également des facteurs clés de succès. Alors que le concept d’attractivité était jusqu’à présent réservé au recrutement, concentré sur l’embauche des collaborateurs les plus talentueux, un virage s’opère : il ne s’agit plus seulement d’attirer les jeunes cerveaux dans ses effectifs, il faut également se rendre attractif auprès des startups pour espérer collaborer avec les plus prometteuses.
Jennifer Habbouba Attal est consultante chez Square