À 300 mètres sous le niveau de la mer, on parle “d’équipe et d’équipage” , précise l’Amiral François Dupont. “Il faut considérer chaque marin comme un être à part entière avec ses compétences, et pas forcément techniques” . Pour devenir sous-marinier, la première case à cocher est " d'être volontaire " puis de réussir " des tests psychologiques " , explique l’Amiral. Des tests qui servent à vérifier si les marins ont les épaules assez solides pour supporter la promiscuité, l’éloignement de leurs proches mais aussi la lourde responsabilité qui leur incombe pendant les missions. Le second point important est de posséder une expertise, “un métier qui va vous occuper pendant toute la patrouille” car, nous le savons tous désormais, il n’y a rien de pire que l’ennui.
Le caractère du candidat est également passé au crible pour s’assurer que celui-ci pourra s’intégrer et trouver sa place au sein de l’équipage.
Finalement, l’intégration d’un nouveau sous-marinier ressemble au recrutement d’un nouveau collaborateur au sein d’une entreprise. Aujourd'hui, la simple lecture des compétences sur un CV ne suffit plus et les soft skills doivent se mêler au talent.
La bienveillance au centre du collectif
Pour entretenir la cohésion au sein de l’équipage, des exercices de simulation sont réalisés avant le début de la mission ainsi que des sorties en famille. Ces dernières “font partie de la mission” , explique l’Amiral. Tout comme le commandant construit la cohésion de son équipe, l’entrepreneur cultive les valeurs de son entreprise avec ses salariés. L’organisation de team building et de séminaires à la campagne se multiplient dans les petites entreprises, notamment les startups où chacun doit, en plus de son travail, participer au développement de la société. Cet esprit d’équipe est primordial pour appréhender les difficultés extérieures à la mission qui peuvent survenir et permettre aux marins de veiller les uns sur les autres.
Au sein d’un sous-marin, le confinement n’est pas seulement une question d’espace mais aussi de lien avec l’extérieur. “En cas de décès, le commandant réunit les proches du marin et le médecin pour discuter de la suite à donner à cette nouvelle. Nous pouvons lui annoncer immédiatement si nous pensons qu’il a les épaules pour l’accuser et poursuivre sa mission. Dans le cas contraire, nous attendons la veille du déconfinement” , explique l’Amiral. La bienveillance est au coeur de ce processus, l’idée est de “prendre soin de l’autre” pour l’informer au moment le moins déstabilisant pour lui.
Autorité et responsabilité étroitement liées
“L’ego n’a pas sa place ici et n’a aucun intérêt. La seule chose qui compte est la hiérarchie car elle permet de savoir où est sa place” , poursuit l’Amiral. Ce positionnement dans la pyramide des grades, des attributions et des rôles renvoie à la notion de responsabilité. Si le commandant dirige et gère d’une main de maître le sous-marin et les marins qui y vivent, “il en connaît moins que les experts dans leur domaine” , reconnaît l’Amiral. Lui-même a mis 25 ans avant d’arriver à la tête d’un sous-marin et il avoue que “l’expertise et la responsabilité de chacun est aussi importante que la sienne” . En tant qu’expert dans son domaine, chaque marin est responsable de ce qu’il fait et toutes ses décisions sont frappées de ce sceau.
Il en est finalement de même au sein de l’entreprise où chaque collaborateur doit assumer le travail qu’il réalise, rendre des comptes sur la réussite ou non de ses objectifs, défendre ses choix si besoin et accepter la sentence inhérente à ses erreurs. “Patron et salariés ne doivent pas se poser de questions et remettre l’autorité en question. Il faut reconnaître la place de chacun et se demander ce que je peux apporter” , estime l’Amiral. La contestation est possible à condition qu’elle soit positive et constructive, c’est-à-dire, qu’elle fasse avancer l’entreprise grâce à un nouveau produit, une nouvelle solution ou un meilleur process. “Les jeunes générations ont beaucoup d’idées, les changements viennent de la base, pas du haut” . Un bon manager ou dirigeant est donc celui capable d’écouter, d’entendre et de trancher.
Refaire surface après la crise
Les missions dans un sous-marin durent en général entre 60 et 70 jours. Durant cette période, les marins sont donc coupés du monde et loin des considérations du quotidien. Si l’envie est forte de retrouver leurs proches, ils doivent “se réinsérer avec élégance” , explique l’Amiral. “L’épouse a souvent été le maître à bord pendant deux mois, son mari ne va pas arriver et tout diriger d’un coup” . Au-delà de ces considérations logistiques et pratiques, “un temps de réadaptation est nécessaire avant un retour à la vie normale”. C’est pourquoi les marins vont souvent passer quelques jours ensemble, à l’air libre, avant de retrouver leurs familles respectives.
L’Amiral fait clairement le parallèle avec le déconfinement dans lequel nous tentons de nous projeter, chacun à notre échelle. Il faut “utiliser au maximum le temps dont nous disposons pour savoir comment nous reprendrons notre activité. Nous devons préparer ce retour en nous demandant ce que nous allons garder et faire” , explique t-il. Il ne faut surtout pas se précipiter mais plutôt tirer profit de toutes ces heures pour “réfléchir à la manière de s’organiser de manière commune”. Tout le monde doit être impliqué et mis autour de la table pour simuler les sorties de crise possibles et partager les risques.
Une fois les premières décisions prises comme la conservation du télétravail, par exemple, il “faut confier à chacune des équipes une responsabilité particulière sur un point précis”. Les nouveaux engagements pris peuvent et doivent être écrits, cela facilitera leur compréhension, leur acception et leur mise en application par tous. Si nous ne sommes pas tous dans le même sous-marin, nous sommes clairement tous dans le même bateau pour faire face à cette crise sans précédent.
L'intervention de l'Amiral François Dupont a eu lieu dans le cadre des MoHo Talks, un cycle de conférences organisées par le tiers-lieu caennais MoHo.