Notifications qui s'accumulent, sms en attente, mails non lus. Il nous est tous arrivé de ne pas répondre à certaines sollicitations. Et à l’inverse, nous avons tous envoyé des messages qui n’ont jamais reçu de réponse en retour. “Désolé·e, je suis sous l’eau / je n’avais plus de batterie / j’étais malade” sont autant d’excuses que nous utilisons, dans la sphère privée comme professionnelle pour justifier notre manque de “réactivité” .
Car il s’agit bel et bien de ça : l'injonction aujourd'hui c'est de répondre et plus vite que ça s'il vous plait. Selon une étude menée par Occurrence auprès de 3000 personnes dans le monde, 50% des gens estiment qu’un retour doit être effectué dans les trois heures. Pour les Danois et les Sud-Coréens, il doit même être immédiat. En somme, pendant son temps de travail, le premier rôle d’un·e salarié·e est de répondre aux sollicitations qu’il ou qu'elle reçoit. Une étude menée par Adobe en 2015 (et la situation n'a pas franchement dû évoluer depuis) soulignait que les cadres américains passaient en moyenne 6 heures par jour à traiter des mails. On comprend alors aisément que certains mails passent à la trappe.
C’est sur ce phénomène du ghosting professionnel (emprunté au ghosting plus privé qui peut notamment se jouer dans la vie amoureuse) qu’a souhaité aborder Malene Rydahl dans son ouvrage “Je te réponds...moins non plus” . En se basant sur l’étude d’Occurence, l'auteure et conférencière spécialiste du bien-être s’est interrogée sur les raisons des “non-réponses” et surtout sur leurs conséquences.
Un jugement négatif à ne pas minimiser
Dans son ouvrage, Malene Rydahl relate une discussion avec un homme d’affaire qui n’avait pas répondu à un message du président de la République. Preuve que personne, même les plus grands de ce monde, n’est épargné par le phénomène. En effet, 72% des gens admettent ne pas avoir répondu à un mail professionnel. Mais est-ce vraiment grave, au fond ?
À vous de juger si ça l'est ou pas (surtout qu'au vu du contexte, on peut peut-être relativiser) mais cette attitude renvoie une image négative voire très négative des ces “non répondants” pour 8 personnes sur 10. Les termes d’"arrogant" , "égoïste" , "mal élevé" et même "peu fiable" sont employés pour les qualifier. Or, la réputation joue un rôle primordial, notamment chez les entrepreneurs et les startups où de nombreuses opportunités sont créées par le bouche à oreille. À l’inverse, “les dirigeants qui répondent bénéficient tous d’un énorme capital sympathie” , souligne Malene Rydahl.
Et cette absence de réponse n’influence pas uniquement le destinataire du message mais aussi son auteur. Suite à l’envoi d’une kyrielle de CV, sans réponse, de nombreux demandeurs d’emploi développent une image négative d’eux-mêmes. Il faut dire que dès lors qu’il n’a pas d’explication, le cerveau cherche a combler un vide et imagine alors des scénarios pour jouer ce rôle. C’est sans doute pourquoi 80% des gens préfèrent recevoir une réponse négative qu’aucune réponse. Une manière de faire le deuil, comme dans toute relation.
Au fond, la question de la non-réponse renvoie surtout à une autre question : “quel est le temps et les conséquences de ce geste sur mes relations avec autrui” . Dans bien des cas, cette absence d’échange peut conduire à des malentendus et à des interprétations, dans le cadre professionnel comme personnel, et mettre à mal une relation.
Une notion du temps qui diffère
Dans le secteur des startups et de la tech, “il faut apporter une réponse en 6 heures sinon, on manque un contrat alors qu’à l’inverse, aux États-Unis, il faut attendre au moins une journée pour ne pas passer pour un mort de faim” , explique l'auteure. Pour réussir à mieux vivre ces échanges, il faut avant tout prendre du recul sur soi, son mode de fonctionnement et faire preuve d’empathie en se mettant à la place des autres. Malene Rydahl insiste ainsi sur le besoin d’établir des règles de communication dès le départ comme indiquer le meilleur moment pour être contacté, le canal le plus adéquat, souligner qu’une absence de réponse est simplement un oubli et qu’il ne faut pas hésiter à effectuer une petite relance.
"Se connaître c'est aussi accepter de prioriser ses besoins et donner la bonne place au travail" , comme l’indique Jean de la Rochebrochard, partner chez Kima dans l’ouvrage de Malene Rydahl. Prendre le temps de répondre est une question de respect mais aussi de temps. C’est ce que nomme Malene Rydahl “la règle du temps qu’ils ont pris” . Un message long demande une réponse réfléchie et un peu d’organisation.
Très sollicité, Jean de la Rochebrochard, accorde des entretiens de 45 minutes, “évitant ainsi les 15 minutes de banalité que confèrent ceux d’une heure” et hiérarchise ses mails. Les messages “verts” nécessitent une réponse simple effectuée en 5 minutes (une date), les oranges seront traités dès qu’il aura un instant de libre et les rouges, les moins urgents demandant de la réflexion, un peu plus tard encore. “Il faut vivre comme des humains et s’organiser comme des machines” , explique t-il. La technologie est-elle notre sauveur?
La technologie, notre allié ?
Avant WhatsApp, Snapchat, Twitter, Slack et les innombrables applications qui nous permettent aujourd'hui de communiquer instantanément, il fallait attendre des heures voire des jours pour obtenir une réponse. La frustration était alors simple : le temps long. Désormais, elle vient d’autre chose : une sollicitude constante. “Nous sommes supposément joignables” , indique Malene Rydahl dans son ouvrage, ce qui crée inévitablement une sorte de charge mentale et de culpabilité pour la personne qui ne répond pas. Et les messageries ne font que renforcer ce sentiment en ajoutant des fonctionnalités de “surveillance mutuelle” comme les trois petits points quand une personne écrit, une croix si le message a été lu, une notification en cas de photo postée…
Ce phénomène est renforcé par le multitasking, qui consiste à pouvoir réaliser plusieurs tâches en même temps, “à plonger dans une autre réalité virtuelle et enclencher la machine à conversation” , dès qu’un moment d’impatience ou d’ennui survient. Mais le revers n’est jamais loin car “si je parle, je dois répondre” .
Loin de libérer, la technologie maintient dans une certaine servitude qui “affaiblit notre capacité à nous concentrer, diminue notre productivité et crée du stress” . Malgré ces écueils, Malene Rydahl souligne qu’à ses yeux, “les bienfaits restent bien supérieurs” . Tout est une question d’équilibre à laquelle les entreprises tentent de répondre par un droit à la déconnexion, encore en panne. Espérons tout de même que cette période de confinement nous permettra de nous libérer du poids des notifications et des sollicitations perpétuelles.