Republication du 11 février 2020
Durant les soldes, le salon d’Audrey prend des allures de showroom. " Je commande un peu tout ce qui me plait en plusieurs tailles, et j’essaye pour voir ce qui me va ", témoigne la brune trentenaire habitant en banlieue strasbourgeoise. " Au final je ne garde parfois qu’un ou deux articles parmi une trentaine commandés ", avoue-t-elle. Un comportement loin d’être isolé. Selon Narvar, une société qui gère le suivi des livraisons et des retours, 41% des consommateurs achètent plusieurs versions d’un produit pour l’essayer avec l’intention de le renvoyer. Certains commandent même des produits juste le temps de se prendre en photo avec et de poser sur Instagram. " Selon les secteurs, le taux de retour varie de 10% à 40%, voire plus dans la mode et les chaussures " , confirme Marie Chaudy, responsable Marketing chez Reversio, une startup spécialisée dans la " reverse logistic " (logistique inversée), ou gestion des retours produits.
Des politiques de retour de plus en plus laxistes
Il faut dire que les e-commerçants font tout pour faciliter les retours : transport gratuit, étiquettes pré-imprimées, délais de rétraction étendus, programme " essayer avant d’acheter " (le client ne paye qu’après un éventuel retour produit)…. " Les services proposés par les géants du e-commerce ont un impact direct sur le niveau d’exigence des clients qui ne cesse de s’élever " , soupire Fabien Derinck, co-fondateur de Reversys, une autre solution de logistique inversée. Une tendance qui semble malheureusement inexorable, d’autant plus que les client les plus versatiles sont aussi les plus dépensiers. " Nos meilleurs clients sont ceux avec les plus forts taux de retour " , témoigne ainsi Craig Adkins, le directeur des services de Zappos. Les acheteurs des produits les plus coûteux renvoient ainsi plus de la moitié des marchandises commandées.
Le dernier kilomètre, un coût environnemental disproportionné
Véritable casse-tête logistique pour les e-commerçants, les retours sont aussi un fléau environnemental. Contrairement aux livraisons classiques, qui peuvent être centralisées pour optimiser la distribution, les retours s’effectuent individuellement et multiplient les trajets. " Les retours génèrent beaucoup de transport additionnel " , corrobore confirme Marie Chaudy. " Pour un iPhone cassé par exemple, le produit est d’abord renvoyé dans l’entrepôt, puis au réparateur, puis à nouveau renvoyé vers l’entrepôt avant de repartir chez le client " . Or, ces kilomètres additionnels génèrent une énorme pollution. Selon le comité d’analyse stratégique, le "dernier kilomètre" pèse environ 20% du trafic en France, occupe 30% de la voirie et représente 25% des émissions de gaz à effet de serre. Rien qu’à Paris, on estime qu’un véhicule sur cinq en circulation livre des marchandises. Et cela ne vas pas en s’arrangeant : le World Economic Forum estime ainsi que les émissions de CO2 liées à la livraison vont augmenter de 32% d’ici 2030, soit 6 millions de tonnes de carbone additionnelles.
Des invendus "oubliés" ou jetés à a poubelle
L’impact écologique des retours ne s’arrête pas là. Car la majorité d’entre eux ne sont en réalité jamais remis en rayon. Selon la startup Optoro, leader de la logistique inversée, à peine 10% de la marchandise retournée via son programme est effectivement remise en vente, le reste étant bradé à des déstockeurs, donné à des associations de charité voire tout simplement jeté à la poubelle. Une enquête de Capital diffusée en janvier 2019 avait montré qu’Amazon a détruit 3,2 millions d’objets neufs en 2018. " Une commode dont on a enlevé tout le polystyrène et qui revient emballée n’importe comment est irrevendable en l’état " , justifie Marie Chaudy. De nombreux colis retournés sont eux tous simplement "oubliés" et s’entassent sur les étagères, ce qui accroît l’espace de stockage et donc l’empreinte au sol.
Mais alors, que faire ? D’abord, réduire au maximum l’impact écologique du transport. De nombreuses startups se sont spécialisées dans la livraison à vélo, en camionnette électrique, ou le covoiturage de colis. Les grandes enseignes encouragent le retour en point relais ou en magasin afin de limiter les trajets. Les startups de logistique inversée comme Reversio, Reversys ou ShopRunback proposent elles de centraliser les étapes de retour afin d’optimiser les flux des paquets.
Adapter sa politique de retour
Moduler les politiques de retour permettait également de réduire le phénomène. Une méta-étude de 2016 révèle par exemple qu’allonger la durée de rétractation diminue paradoxalement le nombre de retours. " Cela peut s’expliquer par un effet d’attachement : plus longtemps le consommateur possède le produit, plus il va s’y attacher et sera donc moins enclin à le renvoyer " , explique Ryan Freling, professeur de marketing à l’université de Dallas et co-auteur de l’étude. À l’inverse, offrir le retour gratuit systématique ou faciliter le renvoi du colis (étiquettes pré-imprimées, pas de demande de facture…) augmente le taux de retour.
" Il est tout à fait possible d’éduquer le consommateur " , appuie Marie Chaudy, " par exemple en mentionnant dans les politiques de retour, qui sont très lues, l’empreinte carbone générée par le renvoi du produit " . On peut aussi limiter le nombre d’articles retournés pour une commande, ou imposer le retour en magasin. À l’inverse, pour les biens de faible valeur, il est plus rentable de rembourser un article qui ne convient pas… même sans exiger son renvoi. " Il y a certes quelques abus, mais ça reste plus rentable et écologique que de gérer le retour " , atteste Marie Chaudy.
Soigner la présentation pour éviter les déceptions
Offrir davantage de détails sur le produit permet également de limiter les retours. Dans le secteur de l’électronique, 65% des retours sont liés au fait que les clients les trouvent trop complexes à installer ou à utiliser. Dans la mode, les retours sont principalement dus à une erreur de taille ou parce que l’article ne correspond pas à la photo présentée. " On propose trop souvent aux consommateurs un moyen de retourner leurs produits sans même comprendre leur problème : le retour pouvait-il être évité ? Peut-on envoyer le colis directement au fournisseur ? Doit-on modifier la description du produit pour éviter de nouvelles erreurs ? ", regrette Marie Chaudy. Proposer une présentation du produit en vidéo ou un essayage virtuel des vêtements, ou encourager les avis clients permet ainsi de limiter les déceptions et donc les retours. Selon une étude Bazaarvoice, les produits affichant plus de 50 avis clients ont ainsi un taux de retour inférieur de 135%.
Les retours, une nouvelle forme d’économie circulaire ?
Les invendus, eux, connaissent une seconde naissance grâce à internet. Plutôt que de renvoyer leurs produits qui ne leur plaisent pas, de plus en plus de consommateurs et consommatrices les revendent sur des places de marché de seconde main, comme Vinted, Vestiaire collective ou Le Bon Coin. De nombreuses startups comme Smaaart, Back Market ou Recommerce se sont spécialisées dans la revente de téléphones et produits high tech déballés et reconditionnés. Place 2 swap offre, elle, une plateforme de gestion des invendus afin de leur trouver un nouveau canal de distribution.
Chez une certaine catégorie de clients, on n’évitera pas les comportements de "retours compulsifs" et de wardrobing. Mais dans un contexte de prise de conscience des problématiques environnementales, on peut espérer que la majorité des consommateurs et consommatrices vont finir par se rendre compte que leur petite robe commandée 15 euros, livrée en 24 heures dans un gros colis à moitié vide et renvoyée 10 jours plus tard n’est pas un achat responsable.