Et si l'entreprise avait le pouvoir de changer notre société ? Après avoir nourri de grands espoirs, la startup nation est aujourd'hui décriée pour n'avoir pas réussi à "rendre le monde meilleur". Mais attention à ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain : ce n'est pas parce que ses premières représentantes ont privilégié la croissance à l'impact que les suivantes feront la même erreur. "L'entreprise a pris une telle place dans la société qu'il est désormais peu concevable qu'elle s'arrête au seul bénéfice de ses associés, comme le stipule pourtant le code Napoléon", sourit Laurence Méhaignerie, cofondatrice de Citizen Capital.
C'est justement parce que les fonds ont trop longtemps vu l'investissement par le seul prisme financier que l'investisseure a lancé, en 2008, avec deux associés, ce fonds à impact. À l'époque, le terme d'impact investing n'est pas encore popularisé en France, qui connaît alors les répliques de la crise des subprimes. "L'impact était encore très en marge des modèles économiques des entreprises, cantonné à la RSE", se rappelle l'investisseure. Et pourtant, douze ans plus tard, l'investissement à impact a pris du galon, sous l'effet combiné d'une limitation progressive des pouvoirs de l'État et de la prise de conscience des citoyens sur l'urgence climatique, économique ou sociale.
Concilier rentabilité et impact
Pour autant, pas question de jouer les philanthropes ou de prendre la place, déjà peu évidente, des associations. Les entreprises ont leur propre rôle à jouer dans cette révolution silencieuse. À elles de trouver ce savant équilibre entre rentabilité et effet positif sur leur environnement. "Il n'y a plus d'arbitrage à faire entre le rendement financier et l'impact, veut croire Laurence Méhaignerie. Les entreprises qui ont une vision de leur utilité sociale, dont le modèle économique est au service d'une mission, sont les plus belles sociétés de demain."
Mais ces entreprises-là ne clignotent pas telles des enseignes de casino à Las Vegas. Certaines ont pleinement conscience de leur impact mais elles sont rares. La plupart sont des ESS qui s'ignorent ! "De nombreux entrepreneurs n'ont pas conscience que leur modèle économie leur permet d'avoir un tel impact sur la société. Elles n'ont pas forcément la vision associée à ce potentiel de croissance." Pourtant, il suffit parfois d'adapter leur produit ou service pour le mettre au service d'une mission et de faire alors d'une pierre deux coups : adresser un véritable besoin tout en créant un modèle économique vertueux, à l'instar d'OpenClassrooms que Citizen Capital accompagne depuis de longues années.
Structurer l'impact
Le fonds accompagne ainsi les entreprises dans la structuration de leur stratégie grâce à des outils de pilotage de l'impact, de la même manière qu'elles gardent un oeil sur leurs métriques financières. Gare à ne pas sacrifier l'impact sur l'autel de la réussite financière, d'autant que celui-ci a des effets vertueux insoupçonnés : "c'est un levier d'attractivité et de rétention des talents mais aussi un puissant levier commercial", souligne Laurence Méhaignerie.
Pas de risque néanmoins que les entreprises du portefeuille de Citizen Capital dérapent : un business plan d'impact est annexé au pacte d'actionnaires et les startups se doivent de le respecter autant que le business plan financier. Celui-ci liste à la fois la mission que s'est donnée l'entreprise, les moyens alloués à cette mission, les indicateurs pour suivre sa performance en la matière ainsi que la gouvernance qui contribuera à entourer les entrepreneur·e·s dans leur rôle.
"C'est bien que les entrepreneurs aient de l'ambition en matière d'impact mais celle-ci doit être quantifiable"
Pour accompagner les sociétés à impact dans leur croissance, Citizen Capital participe et bien souvent mène leurs tours de table, de l'amorçage au capital développement. Pour cela, le fonds déploie un panel d'outils d'investissement, du private equity aux obligations convertibles. En matière de capital-risque, il dispose de deux enveloppes distinctes : la première de 18 millions d'euros - qui a vocation à grimper jusqu'à 25 millions d'euros - permet de financer les tours d'amorçage et de série A, pour des tickets jusqu'à 1,5 million d'euros ; la seconde de 43 millions d'euros est dédiée aux séries B et au capital-développement, avec des tickets jusqu'à 4,5 millions d'euros.
La société se lancera cette année dans la levée de son troisième fonds, avec l'objectif de réunir 80 millions d'euros minimum. Elle envisage en outre de diversifier ses activités vers l'immobilier social, notamment. " Nous nous intéressons également à d’autres classes d’actifs comme l’immobilier social ou des projets dont l’impact sera créateur de valeur à plus long terme ", anticipe la cofondatrice du fonds.
Valoriser l'impact
Pour maximiser l'impact de ces sociétés pas comme les autres, le mariage avec le fonds doit-il être indissoluble ? Sans surprise, non. Un fonds à impact songe, comme les autres, à la sortie de ses participations. "Quand on entre dans une société, c'est avec l'idée que l'impact soit créateur de valeur et que les futurs acheteurs valoriseront cela : les talents que la mission a attirés, la fidélisation des clients, la marque qu'elle a contribué à créer..."
Aucune sortie du fonds II n'a pour l'instant eu lieu mais les investissements devraient se poursuivre dans les prochains mois et les exits ne devraient pas tarder. "Il y a de plus en plus d'opportunités, les entreprises mûrissent, sont plus engagées, l'impact fait désormais partie des marques. Les entrepreneurs sont visionnaires et nous devons partager cette vision", s'enthousiame Laurence Méhaignerie.