En 2018, plus de 70 millions de personnes avaient été déplacées de force sur le globe, dont près de 26 millions sous le statut de réfugiées. Un nombre qui ne devrait malheureusement qu’aller croissant : le GIEC, dans un projet de rapport pour l’Onu, estimait que 280 millions d’humains pourraient être forcés à fuir leur logement ces prochaines décennies à cause du réchauffement climatique.
Plusieurs structures françaises, qu’elles soient TPE, association ou startup, proposent chacune à leur manière des solution innovantes pour mettre à l’abri rapidement, durablement et à moindre coût les populations déplacées.
Parmi celles-ci, CutWork, un studio d’architecture “focalisé sur les nouvelles manières d’habiter, de travailler et de produire”. Si celui-ci est derrière le design du nouvel espace de colocation de Station F, Flatmates, il vient aussi de sortir des cartons le “Cortex Shelter”, pour un tout autre type de public : les réfugiés.
Le béton textile réhydraté
La matière première de cet abri est développée par Cortex Composites, une entreprise californienne de matériaux de construction. C’est une sorte de béton textile, roulé comme un tapis, qui une fois déroulé et hydraté - même avec de l’eau insalubre - se transforme en dalle de béton. “Notre client Cortex nous a demandé de trouver des applications architecturales à son matériau”, explique Antonin Maeno, fondateur et architecte chez CutWork.
Il se trouve qu’Antonin Maeno a développé pendant ses études aux Arts et métiers un procédé breveté permettant de plier des tubes métalliques à la main grâce à des entailles. Bingo, l’alliance des deux donne le Cortex Shelter, une maison en kit très peu chère, facile à transporter et à fabriquer. A tel point que deux personnes inexpérimentées peuvent l’assembler en 24h. Une grosse couche d’isolant, qui sert de finition intérieure - et est lavable - vient compléter le tout pour un abri durable.
L’installation dans le temps est l’un des points-clés de la vision de CutWork. “On pense toujours qu’un camp de réfugiés est temporaire. Les solutions généralement utilisées sont des tentes, qu’il est facile de couper à coup de cutter ou de brûler. C’est à la fois terriblement humainement et économiquement, car elles sont remplacées tous les 9 mois”, rappelle Antonin Maeno.
“Or, des gens peuvent rester jusqu’à 30 ans dans un camp de réfugiés. Nous, quand on pense un habitat, un camp, on pense très clairement à l’installation d’une ville à long terme, avec des abris solides”, insiste-t-il.
Une installation à long terme qui a bien souvent une résonance politique en fonction des territoires où atterrissent les personnes déplacées. Avant même l’accueil des personnes réfugiées, la mise à disposition de terrains pour les gens du voyage ou l’ouverture de centres pour les sans-abris n’ont pas manqué de faire polémique.
La tiny house pré-fabriquée
“C’est plus facile avec certaines communes que d’autres”, concède de son côté l’association Quatorze, qui promeut une architecture sociale et solidaire. Leur but est de “trouver de nouvelles solutions face à des situations de précarité urbaine”.
A travers le programme “In my backyard”, ils ont par exemple installé deux petites maisons (des tiny houses) à Montreuil, en Île-de-France. La première a été en service fin 2017, la deuxième début septembre dernier. Trois sont également en cours de réalisation : deux à Montreuil toujours, une à Issy-les-Moulineaux et une à Fontenay-sous-Bois. Le temps de construction dépend du modèle, et du terrain sur lequel elles ont vocation à être installées.
“Certaines sont pré-construites en atelier par un charpentier et achevées en chantier participatif sur place. La structure est réalisée avec une fraiseuse numérique et montants sont assemblés sur site”
Maïté Pinchon, chargée de projet à l’association
Cela permet ainsi d’avoir accès à des jardins qui n’ont pas de contact direct avec la rue. S’ils en ont un, les tiny houses peuvent être déposées entières. Ces petites maisons sont installées dans le jardin de particuliers volontaires, dans lesquelles des réfugiés vont vivre entre 3 et 12 mois, selon ce que définit la Direction interministérielle de l’habitat et du logement (Dihal).
Une “grande évaluation” après 5 abris construits
Quatorze a un contrat de deux ans avec les accueillants : la tiny house est donc mobile, et l’autre modèle est démontable. L’association estime pourtant à une dizaine d’années la durabilité de ces abris. “Après en avoir construit cinq, on fera une grande évaluation pour voir ce qui est faisable dans d’autres régions”, explique l’association.
Si elle peut compter quand même sur de nombreux partenaires, parmi lesquels les mairies de Paris et de Montreuil, OuiShare, le Secours catholique, le Samu social ou encore les Compagnons bâtisseurs d’Île-de-France, Quatorze se heurte comme d’autres entreprises au PLU, le plan local d’urbanisme. “Une commune n’interdit jamais la construction en bois, mais à cause des restrictions dans le PLU ce n’est parfois pas possible de construire”, témoigne Jean-Claude Escriva, PDG de Sofrinnov. Ce dernier a inventé le procédé constructif Sylcat, qu’il applique à ses abris en bois Rescooz. Il explique :
“Une palette, c’est comme un parpaing en bois. Le Sylcat remplace le ciment. C’est même plus simple de poser un parpaing en bois qu’un parpaing en ciment, qui nécessite tout un mélange. C’est comme des Lego : vous posez la palette, puis la palette suivante.”
La solidité du bois, la simplicité des Lego
Une technique qui allie simplicité (il démontre dans une vidéo comment en 8h il monte un abri, tout seul) et solidité du bois. “Vous n’avez qu’à voir le quartier victorien de San Francisco, c’est en bois et ça tient depuis des décennies”, lance-t-il. Pourtant, il peine à faire entendre l’argument de la solidité des palettes. “Il y a une cinquantaine de constructions qui ne sont pas démontées. Peut-être qu’à un moment on arrêtera de se poser la question de si ça va tenir dans le temps”, soupire Jean-Claude Escriva.
Les régulations exigent de s’interroger sur la destination finale du matériau. “Quand on démarre avec une palette, c’est catastrophique. Il faut ensuite prouver, faire voir des notes de calcul. Sauf que la palette n’existe pas dans le logiciel, il faut tout faire à la main”, déplore-t-il. Une logistique lourde pour une TPE de deux personnes, surtout quand il faut personnaliser pour chaque client la structure de base Rescooz.
Paradoxalement aux exigences de durabilité, Sofrinnov est lui aussi aussi confronté à la frilosité de certains acteurs face à l’installation dans le temps d’abris pour les populations isolées. “Le fait est qu’on a pu prouver l’hiver dernier qu’on ne laissait pas du tout de traces”, fait valoir le PDG de l’entreprise. “La mairie de Toulouse avait demandé quatre chambres pour isoler les femmes sans abri dans un gymnase. On a mis ça en place avec Unity Cube, et une fois le programme terminé, on a mis une journée pour tout enlever.”
Sinon, la TPE travaille “principalement avec des associations” comme Unity Cube, qui insère des hébergements d’urgence dans des bureaux vacants.
“On n’arrive pas à capter des grandes ONG et à les décider de partir sur ce mode constructif. Le marché de l’humanitaire est un véritable business, ce n’est pas évident quand on est un nouvel acteur”
Jean-Claude Escriva
Quand le PLU est un peu trop rigide, c’est parfois la loi qui vient d’elle-même assouplir les règles. Au regard d’initiatives comme celles d’Unity Cube, la loi Elan du 23 novembre 2018 est venue “instituer, sur l’ensemble du territoire et à titre expérimental, un dispositif visant à assurer la protection et la préservation de locaux vacants par l'occupation de résidents temporaires”.