Quel·le entrepreneur·e n’a jamais redouté se retrouver devant un tribunal de commerce ? Quand on créé son entreprise, on a pourtant de fortes “chances” d’y passer, surtout si on a l’ambition de catapulter une entreprise innovante à forte croissance.
La première étude " David avec Goliath " qui analysait en 2015 ce qui freinait ou favorisait le développement des startups en France, faisait ainsi état d’un taux de mortalité de 50% dans les cinq ans suivant la création de la société. En 2016, l’Insee estimait dans son rapport que 90% des startups françaises avaient été confrontées à la faillite. Un taux d’échec bien plus important que pour les entreprises traditionnelles qu’il s’agirait de ne plus mettre sous le tapis. D’août 2018 à août 2019, plus de 52 000 défaillances de PME ont été recensées en France (pour 500 000 créations de sociétés sur les 8 premiers mois de l’année). Seulement 38 défaillances d’ETI ou de grande entreprise ont été décomptées dans ce même laps de temps. La preuve, s’il en fallait une, que les premières années de vie d’une entreprise sont particulièrement fragiles.
Mais, si cette issue est quasi-certaine, pourquoi les entrepreneur·e·s y sont-ils aussi peu préparé·e·s ? Et comment donner à voir que, derrière le redressement ou la liquidation, se cachent la possibilité de repartir de zéro et de faire mieux ?
Quand la liquidation assure la survie du produit
Peut-être connaissez-vous l’histoire de Leka. En avril, nous vous racontions comment après une levée de fonds qui n’a jamais abouti, Ladislas de Toldi, fondateur de cette société qui commercialisait un robot d’apprentissage pour les enfants autistes, a fermé ses portes fin 2018. Sans pour autant emmener par 500 mètres de fond l’espoir des parents qui avaient trouvé en Leka un support et un outil pédagogique important pour leurs enfants handicapés.
Et c’est en demandant son redressement judiciaire, qui a finalement mené à la liquidation de l’entreprise et à son rachat par l’association APF France Handicap que le fondateur a sauvé son produit et assuré la pérennité de celui-ci.
Tout commence (et se termine) par une histoire de trésorerie. Les caisses sont vides et l’argent ne rentre pas assez vite. Ladislas fait la tournée des fonds depuis un an et demi, sans succès, quand il décide de se placer sous la protection du tribunal de commerce. “Nous n’avions plus d’argent, nous ne pouvions plus payer les dettes que l’on avait, mais nous pouvions encore payer les salaires. Voulant éviter la faute de gestion, on s’est dit qu’il ne fallait pas attendre de ne plus pouvoir les payer pour se déclarer en cessation des paiements.”
"Le premier point important c’est la temporalité, il faut savoir aller au tribunal de commerce au bon moment. Leka illustre particulièrement bien le moment où un redressement peut être une opportunité. "
Vincent Fillol, avocat
Deux choix s’offrent alors au cofondateur : demander le redressement et tout tenter pour sauver sa société, ou demander la liquidation et passer à autre chose. Le redressement ce sera. "Le Tribunal de commerce est souvent vu comme une chambre d’enregistrement de la mort clinique d’une entreprise, estime Vincent Fillola, l’avocat qui a notamment suivi et géré la liquidation de Leka. En réalité on y trouve aussi des personnes qui ont réellement envie de sauver les entreprises, mais il faut que les entreprise donnent envie d’être sauvées et que l’on montre qu’il n’y a eu aucune mauvaise volonté dans la gestion de l’entreprise et de ses difficultés."
De mauvaise volonté, les dirigeants de Leka n’en n’ont visiblement pas fait preuve puisque le tribunal décide, après l’étude du dossier, de geler toutes les dettes de la société pour lui donner l’opportunité de rebondir et de se relever.
"Le tribunal doit être saisi par l’entreprise, dans les 45 jours qui suivent la date de cessation des paiements. Elle est alors placée sous sa protection pendant le temps nécessaire à son redressement ou à sa liquidation. "
Vincent Fillola
“Nous pouvions faire face à nos dépenses courantes et payer le loyer et les salaires grâce à quelques ventes de robots”, explique Ladislas, qui a dû, dès la procédure de sauvegarde validée, passer la main de sa société à un administrateur et à un mandataire. Leur objectif ? Evaluer les actifs, leur valorisation et la meilleure porte de sortie pour la société. Pour Leka, c’est la cession qui est visée. Commence alors un marathon pour trouver un repreneur. “Le commissaire priseur a fait l’état des lieux des actifs. Nous n’avions pas de brevets, juste notre sueur et nos avancées”, se rappelle Ladislas. Résultat, le fondateur sait que si la société est rachetée, toutes ses années de travail ne lui rapporteront rien.
“En redressement il n‘y a plus de discussion sur la valorisation, et tu as fait une croix sur le fait que tu vas devenir riche un jour dès tu sais que tu ne pourras bientôt plus payer tes employés”. Ladislas de Todli
S’il ne s’enrichira pas personnellement, son produit, au moins, aura une chance d’être industrialisé. Après quelques semaines de “roadshow de survie”, un repreneur sort du lot : l’association APF, qui dispose de moyens de production, qui souhaite développer un produit en propre et qui s’engage à livrer les robots aux personnes qui ont soutenu une campagne de crowdfunding sur Indiegogo quelques mois plus tôt et qui n’ont pas encore reçu le produit. Pour l’association, l’investissement est raisonnable (environ 30 000 euros) et pour l’entrepreneur, cette issue est l’assurance que son produit continuera à être développé. Après une première audience pour valider le repreneur, une deuxième audience a lieu pour transformer le redressement en liquidation judiciaire. “Une fois que tu as cédé les actifs, il ne reste plus que le passif, on liquide donc la société. On regarde ensuite quels créanciers sont prioritaires, et la somme déboursée par le repreneur s’additionne à la trésorerie restante pour payer ces créanciers prioritaires.”
Passées toutes ces étapes administratives, Ladislas est embauché par l’APF en tant que chef de projet Leka. “Je suis salarié et je gère tout l’aspect technique, l’industrialisation, le développement informatique, je suis également consulté sur l’aspect stratégique et sur le développement des activités éducatives.” Si l’aventure entrepreneuriale est finie, Ladislas et pour autant ravi que tout son travail n’ait pas été balayé d’un revers de main. “Mon objectif principal était que Leka continue avec ou sans moi, aujourd’hui j’ai les moyens des ambitions que j’avais pour le produit et je n’aurais pas pu rêver mieux.” Les backers de la campagne Indiegogo non plus puisque malgré la liquidation, le robot leur sera livré fin 2020.
Bien sûr, l’entrepreneuriat “manque un peu”. “J’avais la possibilité d’aller vite quand j’étais le patron mais même si j’ai perdu cet aspect, j’ai plus de moyens financiers pour aller là où on souhaite aller”, se réjouit l’ancien entrepreneur. Quant aux mauvais côtés de l’entrepreneuriat, il est ravi de les avoir laissés de côté pour “une vie plus tranquille”. Et à la question “si c’était à refaire ?” La réponse ne laisse aucun doute “Si c’était à refaire je pense qu’on essaierait de vendre notre produit plus tôt, on a mis trop de temps à vendre un prototype et on aurait du faire plus de chiffre d’affaires, mais aujourd’hui, tout va pour le mieux pour dans le meilleur des mondes.” Si la demande de mise en redressement lui a fait peur, Ladislas a beaucoup été rassuré par le témoignage de Mathieu-Jeanne Beylot, cofondateur de Mutum, qui est passé par là et qui a, lui aussi, assuré la survie de son service… en donnant le coup de grâce à son entreprise, aussi paradoxal que cela puisse paraitre.
Liquider pour mieux reprendre l’activité
Du côté de Mutum, ce n’est dopnc pas tout à fait la même histoire, même si, là aussi, tout commence (et se termine bis) par une histoire de liquidités. Deux ans après une première levée, Mutum se retrouve à court de cash et accumule plus de 100 000 euros de dettes. Alors qu’il fait le tour des business angels, Mathieu Jeanne-Beylot, le cofondateur de la startup, annonce honnêtement qu’une partie du tour de table servira à éponger les dettes. L’un des business angels lui propose de lancer une procédure de liquidation et de remonter la boite ensuite. “Ca permet de redynamiser l’activité, explique l’ancien entrepreneur, et ça nous paraissait la seule solution pour sauver l'entreprise”. Alors que la liquidation semble souvent être la pire épreuve pour un entrepreneur, avec tout ce que cela véhicule de tensions et d’appréhension, Mathieu, qui l’a vécue, estime que cette expérience a “démystifié la liquidation”, qui n’est pas forcément un mauvais moment à passer mais qui peut aussi être la promesse d’un nouveau départ. A condition de mettre derrière soi son égo. “Nous avions une valorisation à 3,5 millions d’euros et quelques mois plus tard nous nous sommes fait racheter pour quelques dizaines de milliers d'euros”. Mathieu, qui détenait 36% de la société a vu ses parts partir en fumée, “ce n’est pas facile mais c’est la vie”. Et dans la vie d’entrepreneur en particulier, mieux vaut avoir un fort potentiel de résilience. “La liquidation est souvent vue comme quelque chose qui fait peur, qui est horrible, qui est un échec mais j’ai pu apprendre pas mal de choses et je suis content de l’avoir vécue, estime-t-il. Ce n’est pas un moment facile parce qu’on perd tout et que le regard des gens est compliqué : si tu as liquidé, c’est que tu n’as pas réussi, mais ce regard évolue de plus en plus et on peut parfaitement repartir derrière.”
Et Mathieu est justement reparti, mais pas avec les clés de la société. Dans le bureau du liquidateur, la société est passé de ses mains à celle du nouveau propriétaire. La startup a donc été liquidée puis rachetée. Du côté des utilisateurs et utilisatrices, le service n’a pas changé, et le site a toujours été maintenu, même quand l’avenir était incertain. “Nous avons payé les serveurs, même quand la société n’appartenait plus à personne”. Communiquer sur la liquidation ? Pas si cela “fait plus peur à nos utilisateurs et utilisatrices qu’autre chose”, pense Mathieu, surtout quand ça “ne change pas grand chose et que c’est juste structurel”. Sans compter qu’annoncer à tous ses utilisateurs que l'entreprise va mal n'est pas “une chose facile quand on est en train de gérer une liquidation et des actionnaires. Nous avions aussi réfléchi à leur dire sur nos réseaux sociaux ou dans une newsletter, mais il faut vraiment du courage pour dire publiquement " on est dans la merde, aidez-nous "”.
Finalement rachetée par le business angel, la société a été dirigée pendant un an par son créateur initial, avant que le passage d’entrepreneur à salarié commence à trop peser. “Je n’étais plus le fondateur, nous n'avions plus la même équipe, plus la même dynamique et je me suis vite essoufflé”, regrette Mathieu. Aujourd’hui consultant, il ne regrette rien de cette expérience : “Quelqu’un qui liquide sa boite et pour qu’il il n’y a rien derrière c’est un échec, mais moi j’ai vécu ça plus comme une forte résilience que comme un échec. En tout cas, aux entrepreneurs en difficulté : parlez-en avec d’autres entrepreneurs et ne vous cachez pas, ce n’est pas agréable mais ça peut solutionner beaucoup de choses” Un dernier conseil : "Parlez à des entrepreneurs qui ont déjà vécu des échecs, ce sont eux qui savent le mieux ce qu'il ne faut pas reproduire."
Et en parlant de reproduction, s’il est facile de se relever d’un échec, la faillite en série laisse des traces indélébiles. Et n’oublions pas que le redressement judiciaire n’est pas une procédure anodine et que cela laisse souvent les collaborateurs et collaboratrices sur le carreau. Tout comme la pilule du lendemain n’est pas une méthode de contraception, les procédures de traitement des difficultés ne devraient être activées qu’en l’absence de toute autre solution. Avoir peur du redressement judiciaire non, mais monter en compétence pour l’éviter… oui.
Maddyness, partenaire média de Google