L’incroyable succès des startups américaines, une affaire d’argent avant tout ? Les chiffres, en tout cas, frappent l’esprit : entre 3 et 4 milliards d’euros ont été investis en 2018 dans les startups françaises contre environ… 100 milliards de dollars (89 milliards d’euros) aux États-Unis ! Un écart de 1 à 25 alors que l’économie américaine représente un peu plus de sept fois celle de la France. Il n’y a pas que les montants qui doivent nous interroger, il y a aussi la provenance des fonds. Aux États-Unis, presque deux dollars sur trois investis dans les startups proviennent d’investisseurs institutionnels (caisses de retraites, fondations, compagnies d’assurance…) contre moins d’un euro sur cinq en France. Dans l’Hexagone, le financement des jeunes pousses est assuré en premier lieu par le secteur public, bpifrance en tête, pour près d’un tiers ! Les institutionnels français arrivent même derrière les particuliers fortunés qui contribuent à travers leurs family offices...
Concrètement, cela signifie que les institutionnels américains ont financé les startups l’an dernier à hauteur de 56 milliards d’euros contre un petit 665 millions pour les " zinzins " français. Dans le même temps, les industriels US investissaient environ 7,1 milliards d’euros dans les jeunes pousses contre 525 millions pour les Français. L’écart le plus faible – toutes proportions gardées – se situe entre les riches Américains, qui contribuent à hauteur de 7 milliards d’euros, et les riches français qui apportent 735 millions.
Quelles leçons en tirer ? D’abord que, même dans le domaine de la nouvelle économie, la France ne parvient pas à se défaire de son éternel colbertisme. Qu’il s’agisse de mécano industriel ou d’innovation technologique, les pouvoirs publics estiment qu’ils doivent être aux manettes et ont les compétences pour décider. Car il ne faut pas se leurrer : même s’ils s’en défendent, les acteurs publics influent, via le financement, sur les stratégies d’investissement et les fonds privés financés par l’argent public, même de manière minoritaire, doivent respecter la grille de lecture des acteurs qui gèrent la manne de l’État.
Deuxième constat, qui est lié au premier : en France, l’État estime que le fléchage de l’épargne privée entre dans ses attributions. On pourrait croire que c’est la norme Solvabilité 2 qui dissuade les investisseurs institutionnels d’investir dans les startups en exigeant un montant de fonds propres trop élevé pour ce type d’actifs. La réalité est plus cynique : les investissements en actions ont toujours été limités en France, même avant l’instauration des nouvelles règles prudentielles. La libéralisation des marchés financiers a certes été menée dans les années 1980. Mais elle n’a pas empêché l’État de continuer à orienter l’argent de l’épargne, principalement vers le logement social et le financement de sa propre dette.
Une industrie financière qui ne joue pas son rôle
Après tout, les Français ont-ils vraiment besoin de gagner de l’argent grâce à leur épargne ? La question, aussi provocatrice qu’elle soit, renvoie à des organisations économiques et sociales extrêmement différentes de part et d’autre de l’Atlantique. Les Américains n’ont pas le choix : leur épargne doit impérativement leur rapporter s’ils veulent financer leurs frais de santé, les études de leurs enfants puis leur propre retraite. Sans rendement, le système s’effondre. En France, la santé et les études sont gratuites ou presque, et les retraites sont financées par un prélèvement sur les actifs.
Là où le bât blesse, c’est dans l’inégalité croissante entre les Français eux-mêmes. Aujourd’hui, avec les taux d’intérêt proche de zéro, l’épargnant ne gagne plus d’argent avec ses placements soi-disant sûrs, et peut même en perdre ! Le seul moyen de retrouver de la rentabilité, chacun le sait, est d’accepter davantage de risque, par exemple en investissant dans les startups comme aux États-Unis. Seulement, l’industrie financière ne joue pas son rôle de transformation en analysant la performance des gérants de fonds et les stratégies de gestion. Ce n’est pas sa culture et elle ne s’en donne pas les moyens. Du coup, ce type d’investissement est réservé aux plus fortunés qui peuvent accéder aux meilleurs fonds via les banques privées ou les family office. Au final, l’épargne des Français ne profite guère à l’économie réelle, ni à eux-mêmes, hormis pour les plus aisés. Étonnant, non ?