Republication du 20 février 2019
Fin 2015, j’ai lancé BlueBoard. Après 5 années passées comme product manager chez Withings j’avais acquis une certitude : les marques ne sont pas équipées pour savoir ce que leurs produits deviennent une fois qu’ils sont mis en vente, en particulier sur internet.
Je voyais mes collègues commerciaux passer plusieurs heures par jour à chercher les pages de leurs propres produits sur des dizaines de sites marchands. Certes les revendeurs avaient bien acheté la marchandise, mais comment s’assurer que les produits étaient bien notés sur BestBuy.com, toujours disponibles sur JD.com ou vendus au bon prix sur Amazon.de ?
J’ai commencé à développer une web app capable d’automatiser le suivi des pages produit : prix, dispo, notes, contenus… Mes commerciaux pouvaient voir tous les problèmes de distribution en un coup d’œil. Quand j’ai commencé à sentir de la traction, j’ai quitté Withings (en bons termes !) et ai lancé BlueBoard. Mes premiers clients étaient les marques tech de la place parisienne : Parrot, Netatmo, Withings… Mon prix de lancement : 290 euros par mois, pour suivre tous leurs produits dans le monde entier.
Rapidement, je me suis aperçu que mes clients recevaient des propositions de solutions concurrentes à plusieurs dizaines de milliers d’euros par an. J’ai compris que mon pricing devait être beaucoup plus ambitieux et je me suis mis en tête de signer des contrats à 6 chiffres. Pour y arriver, il a fallu régler quelques problèmes dans notre stratégie commerciale.
Passer au paiement annuel et upfront
Quand j’ai lancé BlueBoard, je n’avais pas d’expérience du SaaS B2B. Mes points de référence étaient plutôt les abonnements grand public type Spotify et Dropbox. J’avais donc proposé un tarif mensuel à mes premiers clients, avec 12 factures chaque année.
Mon conseil est de passer le plus vite possible à une facturation annuelle avec paiement upfront. Tous les grands SaaS (Salesforce, Google Suite, Slack…) poussent aujourd’hui vers ce type de facturation. Ça n’empêche pas de continuer à parler de tarif mensuel, et ça simplifie incroyablement la gestion. Impossible de se concentrer sur des deals importants si l’on doit s’occuper de 12 micro-renouvellements par compte et par an.
Instaurer un panier minimum
Spontanément, les équipes commerciales peuvent avoir tendance à signer des deals plus faciles et plus petits. Les grandes structures sont souvent décourageantes à aborder.
C’est vrai que l’effort nécessaire pour signer des deals importants est plus lourd. Ces comptes représentent également plus de travail pour toutes les autres équipes (opérations, account management, support…) mais au bout du compte, un deal à 100 000 euros est beaucoup plus rentable que 5 deals à 20 000 euros.
Il faut s’assurer que l’équipe commerciale partage bien cette vision. En particulier, se fixer un panier minimum nous a aidé à ne plus perdre de temps sur des deals trop petits et se concentrer sur les plus belles opportunités. Ensuite, je me suis beaucoup impliqué aux côtés des commerciaux sur les premières signatures de deals à 6 chiffres.
Ne pas capper le nombre d’utilisateurs
La plupart des SaaS ont une tarification à la licence ou à l’utilisateur. D’autres ont un plafond d’utilisateurs pour chaque price point de leur offre (jusqu’à 10 licences dans le pack Pro, par exemple). Le problème quand le produit n’est pas très " individualisé " (comme Slack peut l’être par exemple) c’est que les utilisateurs se partagent des licences. C’est difficile à endiguer, et cela rend très difficile le travail de l’équipe customer success : impossible de savoir qui est vraiment formé et quelles sont les problématiques de chacun.
Du coup, on a décidé de ne pas pricer à la licence. Mieux : pour tous nos contrats, même les plus petits, on a une politique d’utilisateurs illimités. Et d’ailleurs plus vous avez d’utilisateurs chez un client donné, plus le risque que le client ne renouvelle pas est faible.
Signer des deals mondiaux plutôt que nationaux
Pendant les premières années de BlueBoard, on ne savait pas tellement par quel bout prendre les multinationales. Est-ce que l’on contacte séparément les différents bureaux régionaux pour signer un maximum de contrats ? Ou alors vaut-il mieux démarcher directement le siège ? On s’est posé cette question un certain temps et on a expérimenté les deux options avant de trancher.
Désormais, quand on identifie que le QG mondial a la latitude de négocier pour le monde entier, on y va direct. Certes, à la place de 100 000 euros on aurait peut-être pu totaliser 150 000 euros en signant séparément pour EMEA, APAC et Americas. Mais ces entreprises ont des services achat qui se parlent entre eux et pourraient demander à rationaliser les contrats (en en réduisant la valeur totale). Signer 3 contrats, cela fait également 3 fois plus de négociations, de renouvellements à discuter, de fronts à défendre…
Il y a des exceptions, cependant. Chez L’Oréal, par exemple, on a compris qu’il fallait d’abord signer quelques contrats avec des branches locales et des sous-divisions avant que le siège n’accepte de négocier un contrat cadre mondial.
Se donner les moyens de parler aux vrais décideurs
Les prospects avec lesquels nous entrons en contact sont généralement nos futurs utilisateurs. Ce sont des e-commerce managers, des account managers, des responsables de support client ou de marketing… En général, ils ne sont pas décideurs et n’ont pas la latitude de souscrire eux-mêmes.
Pour les plus petits deals, le décideur est généralement le chef de notre utilisateur final. On peut se permettre d’aborder ce futur utilisateur et de grimper d’un niveau.
Pour les plus grandes entreprises, c’est beaucoup plus compliqué de remonter de l’utilisateur au décideur. Dans le meilleur des cas, le décideur est le N+4 de notre interlocuteur, et c’est long et ardu d’entrer en contact. Dans le pire des cas, le décideur est dans un autre pays ou une autre équipe et notre interlocuteur ne le connaît pas ! Compliqué dans ce cas-là de signer un contrat.
La solution que l’on a trouvée, c’est de s’entourer d’apporteurs d’affaires spécialistes du secteur. Pour signer des deals avec des géants de l’électronique, on a travaillé avec un ancien VP of sales du milieu. Il connaissait les organisations comme sa poche et certains des décideurs étaient d’anciens collègues. Cela a un coût (un pourcentage de la vente finale, sur plusieurs années), mais je ne pense pas que l’on aurait pu signer ce deal sans lui.
Se méfier des appels d’offres
Notre expérience des appels d’offres est plutôt négative. Personne ne fait des appels d’offres par plaisir, généralement c’est parce que c’est obligatoire passé un certain montant. Très souvent, il y a déjà un concurrent présent avant nous sur le dossier. Les exigences de l’appel d’offre sont alors calquées sur les capacités et le périmètre fonctionnel du concurrent en question et on n’a aucune chance. Le seul intérêt dans ces cas-là est d’apprendre à moindre coût ce que font les autres acteurs du secteur.
Si on ne renonce pas à répondre à tous les appels d’offres, on est juste plus méfiants qu’avant ! Pour certaines organisations, connaître le montant à partir duquel il y a appel d’offres est une information précieuse. L’objectif est de signer vite et d’éviter cela.
Faire des Statement of Work
Personne n’a envie de développer du software custom pour un seul client. C’est vraiment le meilleur moyen de se tirer une balle dans le pied. Dans l’autre sens, dire non à tout peut mettre en danger une négo.
La solution qui a marché pour nous, c’est de faire des statements of work (SoW) lorsque les demandes de features se rapprochaient de choses qui étaient déjà dans notre roadmap. Accepter les demandes du client revenait à prioriser nos développements différemment. On a donc signé des contrats supplémentaires où le client nous payait pour accélérer le développement de features que l’on allait faire de toute façon (et s’impliquer dans les itérations). Et l’avantage c’est que les beta-testeurs sont déjà tout trouvés !
En mettant progressivement en place ces différentes solutions entre 2015 et 2017, on a réussi à signer notre premier contrat à 100 000 euros tout pile en décembre 2017, 2 ans après notre lancement. Aujourd’hui, nous en avons signé plusieurs autres, notamment dans l’électronique grand public. On s’attaque maintenant aux secteurs de la puériculture et de la cosmétique !