Tribunes par Johan Schröder
25 juillet 2018
25 juillet 2018
Temps de lecture : 1 minute
1 min
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Allemagne VS France : qui a façonné la culture startup européenne ?

C'est un véritable jeu des sept erreurs entre les écosystèmes startup français et allemands auquel se prête Johan Schröder, investisseur allemand qui officie au sein du fonds français daphni.
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Post initialement publié sur la page Medium de Johan Schöder (en anglais)

Depuis que j’ai commencé à travailler dans le fonds français daphni, je ne cesse d'entendre combien il doit être excitant de vivre dans le plus dynamique et le plus hype des écosystèmes startup. En effet, le nombre d’occurrences médiatiques associant les termes « France » et « startup » a explosé depuis fin 2016, la France a connu plus de levées réalisées auprès de fonds que n’importe quel autre pays européen en 2017, Macron veut faire du pays une startup nation, le Brexit remet en question la position de l’écosystème britannique en tant que marché européen de référence pour les fonds, plus de 9400 startups sont basées en France, etc. La France a carrément rattrapé son retard avec le Royaume-Uni et l’Allemagne. Mais pourquoi la France était-elle en décalage ?

La France est le pays le plus touristique au monde et héberge 29 des 500 plus grandes entreprises mondiales (selon la liste établie par le magazine Forbes). Paris est une des places fortes de la finance, du commerce, de la mode, des sciences, de la musique et de la peinture en Europe et ce, depuis le 17ème siècle.

Mon immersion, en tant qu’analyste allemand, dans le « Sillicon Sentier » m’a conduit à découvrir et comprendre quelques différences entre mon pays d’origine, l’Allemagne, et la France.

Choisir Paris ou Berlin

Comparer les capitales de chaque pays signifie comparer ce qu’elles représentent en tant que hubs startup. Tandis que Paris est la deuxième ville la plus chère au monde dans laquelle vivre et génère 681 milliards d’euros de PIB, Berlin ne produit que 124 milliards d’euros de PIB, sans aucune industrie significative implantée sur son territoire. En effet, l’industrie allemande la plus importante, la production automobile, est basée dans le sud ; les services financiers ont leur berceau à Francfort ; la presse, l’assurance et la publicité se trouvent principalement à Hambourg. En fait, Berlin est la seule capitale européenne dont le PIB par habitant est plus faible que la moyenne nationale. Ce n’est pas surprenant puisque le logement, la nourriture et le travail sont moins chers à Berlin qu’à Paris, même si l’écart se réduit.

De plus, l’histoire de Berlin diffère grandement de celle de Paris. Carl Sagan disait qu’il faut " connaître le passé pour comprendre le présent ". L’histoire de Berlin est très variée. Paris est devenue la capitale de la France dès 900 et l’est depuis invariablement restée, alors que Berlin n’est devenue la capitale allemande qu’en 1871 puis en 1990 après la chute du mur de Berlin. A la fin de la seconde guerre mondiale, Berlin était complètement détruite, ce qui a nécessité une reconstruction rapide de la ville, sans pouvoir se préoccuper de son attractivité architecturale ; de quoi rendre la cité peu attrayante au premier abord. En-dehors de ces considérations esthétiques, Berlin a été séparée entre Est et Ouest jusqu’en 1989, constituant le coeur de la guerre froide. Tandis que la démocratie prévalait à l’Ouest, le communisme et la surveillance de la Stasi (les services étatiques de sécurité) prédominaient à l’Est. La Stasi a été l’une des institutions les plus haïes et les plus craintes de l’époque à l’Est, se constituant une base de 6 millions de dossiers sur les habitants et ayant plus de 100 000 informateurs officieux espionnant leurs voisins à ses ordres. Grandir dans de telles conditions développe un état d’esprit en totale opposition aux institutions, avec un désir de construire les choses différemment, de remettre en question les status quo et de créer un meilleur futur. Les gens voulaient donner de la vie et des couleurs à une ville terne et repoussante. Cette nouvelle scène créative et alternative qui en a émergé a attiré des pairs venus du monde entier. Ce qui a fait de Berlin une ville très cosmopolite.

En observant plus attentivement l’histoire de Berlin, vous comprenez donc pourquoi la ville avait une longueur d’avance dans la création d’un terreau propice aux startups. Non seulement ses habitants avaient un fort désir de changer et créer, dû aux circonstances historiques, mais le faible coût de la vie à Berlin a beaucoup aidé. Le coût d’opportunité de création d’une entreprise était bien moindre à Berlin qu’à Paris. Si de nombreuses personnes à Paris pouvaient au contraire s’offrir des études dans de bonnes universités et étaient au contact d’une industrie florissante dans des emplois confortables et bien payés, ces dernières étaient moins enclines à sortir de leur zone de confort pour créer de nouvelles opportunités. De plus, travailler sur votre propre projet à Paris durant disons trois ans peut devenir un gouffre financier.

Aujourd’hui, vous sentez l’énergie à Berlin et l’optimisme qui porte les Berlinois à vouloir créer un meilleur futur ; et ce, dès que vous arrivez dans la ville. Berlin célèbre son ouverture d’esprit, sa tolérance et sa sexytude. Il est difficile de mettre des mots sur l’esprit vibrant et dynamique de Berlin. Mais c’est une super ville pour les entrepreneurs.

L'ADN des fondateurs

Après avoir étudié l’histoire de Berlin, il n’est pas surprenant de constater qu’un dixième des fondateurs de startups en Allemagne sont nés à l’étranger et que 30% de leurs équipes sont étrangères. Même en adoptant un point de vue plus large, Berlin reste une ville très internationale, avec plus de 27% de ses habitants qui sont des étrangers. Mais ce ne sont pas les seules raisons qui font de Berlin une ville plus internationale que Paris : n’importe qui visite Berlin peut constater que les barmen ou les serveurs parlent très souvent anglais. Être une ville aussi ouverte attire les talents d’où qu’ils viennent et aide à générer de nouvelles idées qui peuvent être concrétisées. Au contraire, Paris m’apparaît, en-dehors des touristes, comme une ville très nationale où parler le français est une condition sine qua non pour avoir un emploi et une vie sociale. Ce qui implique que les étrangers puissent avoir des difficultés à s’adapter et être moins tentés de s’implanter de manière permanente en France. Néanmoins, la beauté et le charme de la ville sont hallucinants et offrent un attrait quasiment unique. Paris reste la cité de l’amour !

Autre chose qui distingue les fondateurs allemands et français : outre-Rhin, davantage de fondateurs sont diplômés d’écoles de commerce. C’était différent il y a quelques années, quand les startups étaient l’apanage de gens un peu dingues venus lancer leur projet à Berlin. Mais désormais, être entrepreneur est devenu tendance et vous pouvez avoir l’impression que c’est un prérequis pour faire partie des gens cool. Cela a mené beaucoup de gens différents vers l’écosystème startup, certains abordant la création d’entreprise avec une perspective très formelle. Avoir un état d’esprit très stratégique n’est pas forcément une mauvaise chose mais l’une des maximes de BlaBlaCar : " done is better than perfect " (" mieux vaut que ce soit fait que parfait ", français, NDLR) n’est pas forcément la devise idéale pour faire croître une startup. Hugo Amsellem, qui a lancé The Family à Berlin, croit que les diplômés d’écoles de commerce souffrent de la mauvaise habitude de lever des fonds trop tôt, collant beaucoup trop à un plan dont ils ne décrochent que lorsqu’il est déjà trop tard. C’est peut-être vrai mais je crois aussi qu’être diplômé d’une école de commerce n’est pas seulement une tare quand on parle de création d’entreprise. Il suffit de regarder N26, l’une des success stories allemandes les plus récentes : ses fondateurs, Valentin Stalf et Maximilian Tayenthal, ont étudié la gestion d’entreprise à St. Gallen et à l’université de Vienne.

En France, au contraire, j’ai découvert que les diplômés des universités travaillent le plus souvent dans une industrie spécifique et ont mis au jour un problème précis au sein de cette industrie qu’ils cherchent à résoudre avec leur startup. Prenons la startup Comet - qui fait partie du portfolio de daphni : son fondateur, Charles Thomas, est un ingénieur en éducation et a travaillé en tant que consultant tech pour aider les grands groupes à trouver les meilleurs experts tech. C’est à ce moment qu’il a découvert à quel point il était difficile pour les corporates de trouver des candidats valables. De plus, il a également identifié l’inefficacité des processus de recrutement des experts tech comme une autre pierre d’achoppement, les agences de consultant prenant des commissions relativement élevées. Son projet actuel, Comet, aide les entreprises à faire grossir leurs équipes tech et data à la demande, en connectant sans couture leurs divisions à un pipeline d’ingénieurs freelances qualifiés.

Rocket Internet, l’incubateur de l’écosystème

Une des institutions qui a eu une grande influence sur la formation de l’écosystème allemand et a rendu Berlin plus cosmopolite est l’entreprise très controversée Rocket Internet. La société basée à Berlin est souvent mentionnée comme un copycat, répliquant des entreprises qui ont connu ailleurs le succès - souvent aux États-Unis - et tuant ainsi l’idée même d’innovation. Après sa création en 2007, Rocket Internet a fondé Zalando en 2008, inspiré du vendeur américain zappos.com. Six ans à peine après l’introduction en Bourse de Zalando, l’entreprise était valorisée 5,3 milliards de dollars. Et ce n’est pas le seul succès de l’institution : HelloFresh, Delivery Hero ou plus récemment Home24 ont généré d’énormes revenus pour Rocket Internet lors de leurs introductions en Bourse. Au total, Rocket Internet a soutenu six licornes à ce jour et la plupart de ses revenus ont été réinvestis dans l’écosystème, une part significative des capitaux allemands venant de Rocket Internet. Je pense que c’est un facteur majeur du développement éclair de l’écosystème startup en Allemagne. Et rien de comparable n’existe en France…

Cependant, le succès de Rocket Internet n’a pas seulement apporté des capitaux mais a aussi attiré et produit des travailleurs qualifiés. Après avoir dupliqué les premières entreprises, Rocket Internet a embauché de jeunes loups très ambitieux, les débauchant d’entreprises comme McKinsey, Goldman Sachs pour les mettre à la tête de leurs pépites. Ces profils n’étaient pas forcément très attirés par Berlin mais ils ont découvert grâce à Rocket Internet une ville accueillante. Ce qui a permis à la capitale allemande de rattraper son retard sur Paris très rapidement.

De plus, nombreux sont ceux qui, après avoir d’abord travaillé pour Rocket Internet, sont devenus entrepreneurs eux-mêmes. Adrian Li estime que Rocket Internet a, indirectement, permis à de nombreux non-entrepreneurs de devenir entrepreneurs. Certains se considèrent même comme des " diplômés " de Rocket Internet. Andre Alpar (AKM3), Elias Russezki (DeltaMethod), Mario Suntanu (Bobobobo) et Dominik Wojcik (TrustAgents) en font partie. Suivant l’exemple de Rocket Internet, un important pourcentage des startups créées par des anciens employés de Rocket Internet sont devenues des succès et ont significativement marqué l’écosystème allemand de leur empreinte.

L’évidente décentralisation de l’Allemagne

Klaus Wowereit, l’ancien maire de Berlin, a un jour qualifié la ville de " pauvre mais sexy ". Étant donné que les industries traditionnelles sont toutes situées en-dehors de Berlin, c’est toujours vrai. Mais ce n’est pas le cas que pour l’industrie. Le paysage startup est lui aussi varié. Alors que Berlin reste le coeur de l’écosystème startup, concentrant les deux tiers des 100 levées de fonds les plus importantes en Allemagne, Hambourg et Munich ne sont pas loin derrière. Kreditech (Hambourg) a levé 497 millions d’euros, Westwing (Munich) 237 millions, Auxmoney (Dusseldorf) 198 millions, Lampenwelt (Shlitz) 191 millions, Lilium Aviation (Gilching) 101 millions, Sonnen (Wildpoldsried) 98 millions, Blue Yonder (Karlsruhe) 75 millions, Open-Xchange (Nuremberg) 68 millions et Arago (Francfort) 55 millions. Pour ne nommer que les entreprises les plus en verve en-dehors de Berlin.

Une des raisons de cette décentralisation tient à la dissémination sur le territoire des meilleures écoles d’ingénieurs. Alors que la plupart des gens ne connaissent que le TU Munich, d’autres universités technologiques comme le RWTH Aachen, le TU Berlin ou le KIT (Karlsruhe) sont moins connus mais ne manquent pas de qualités. Tobias Kollmann, professeur d’e-business à l’université de Duisbourg-Essen, résume bien le phénomène en disant que " l’Allemagne a plus d’une Silicon Valley ". En effet, la décentralisation de l’Allemagne peut constituer l’une de ses forces les plus importantes, que de nombreux étrangers lui envient.

Au contraire, Paris est le hub français. Non seulement les gens se définissent eux-mêmes clairement comme Parisiens ou provinciaux mais l’importance économique de Paris est immense. Sur les 29 entreprises françaises présentes dans la liste Fortune 500, 27 sont situées en région parisienne… Et alors que les entreprises technologiques situées à Paris ont réalisé 342 tours de financement en 2017, Lyon, qui arrive deuxième, n’en compte que… 26.

Malgré le fait que l’Allemagne puisse avoir un avantage historique et une bonne étoile nommée Rocket Internet, la France - et plus particulièrement Paris - connaît son moment de gloire. L’institut mondial de l’entrepreneuriat et du développement (GEDI) a publié le rapport 2018 sur l’entrepreneuriat mondial, qui classe 137 pays selon leur capacité à offrir un écosystème entrepreneurial sain. Après avoir été 13ème en 2017, la France est passée 10ème. De son côté, l’Allemagne est classée quinzième. Pourtant, ce ne sont pas les classements qui placent la France devant l’Allemagne. Étonnamment, Paris est plus tendance que Berlin, plus cool pour les entrepreneurs. Au final, j’ai personnellement ressenti la passion française pour l’innovation, la créativité et l’entrepreneuriat. Le mot " entrepreneur " n’est-il pas français ?

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