Qui serait assez fou pour s’aligner dans une compétition face à deux millions d’adversaires, avec près de neuf chances sur dix de ne jamais voir la ligne d’arrivée ? C’est pourtant à ce défi insensé que se mesurent tous les éditeurs d’applications mobiles quand ils s’engagent dans la jungle des stores, l’environnement le plus concurrentiel qui soit. Cette inconscience a aussi été la nôtre lorsque nous avons créé Mood Messenger il y a quatre ans. Aujourd’hui, nous avons la chance de compter parmi les 1 % d’applications les plus téléchargées au monde. À défaut de carte et de boussole, voici quelques trucs que nous avons appris au fil d’une aventure mouvementée mais exaltante.
La grande difficulté des applications mobiles est que leur succès s’obtient au terme d’un parcours d’obstacle imposé à l’utilisateur, qui doit successivement aller sur le store, trouver l’application, décider de la télécharger, l’installer, l’utiliser et enfin la conserver. Or, pour abaisser chacune de ces barrières, un super produit ne suffit pas. Il faut aussi jouer avec adresse sur une multitude de freins et de leviers propres à chaque étape.
Pour inciter quelqu’un à se rendre sur le store, il n’y a que deux moyens : la publicité et le bouche à oreille. Et à moins de disposer de moyens colossaux, le premier est à exclure. Difficile en effet d’" acheter " plusieurs centaines de milliers d’utilisateurs par la publicité lorsqu’il faut généralement dépenser entre 1 $ et 1,50 $ par installation. Toutefois, annoncer sur des sites spécialisés ou recourir à de (coûteux) influenceurs demeure très efficace lorsqu’on cible une niche ou un public spécifique. Quant au bouche à oreille, toute la difficulté est de l’amorcer jusqu’au moment rêvé où la popularité de l’application se suffit à elle-même. Pour initier cette viralité sur les réseaux sociaux, il ne faut pas hésiter à solliciter son entourage, ses relations, et trouver autant que possible un moyen de créer un buzz positif. Au lancement de Mood Messenger, nous avons créé des petits messages qui utilisaient nos emojis animés et nous avons eu la chance que cela plaise. C’était vraiment l’équation idéale : investissement minimal, meme en rapport direct avec l’application et buzz spontané et bienveillant.
Une fois sur le store, la personne doit trouver votre application. Pour cela, comme avec les moteurs de recherche du web, il est essentiel de figurer parmi les premiers résultats. Les algorithmes qui déterminent ce classement prennent en compte le succès de l’application (nombre de téléchargements, note, taux de rétention…) mais aussi des paramètres sur lesquels on peut influer dès le départ, comme le contenu de la page de présentation ou les divers supports pris en charge. Le Graal est évidemment que l’application soit " featured ", c’est-à-dire mise en avant par le store, mais l’éditeur n’a aucune prise sur ces choix purement éditoriaux des plateformes.
Reste qu’à ce stade, votre visiteur n’a toujours pas installé l’application, et c’est là que les choses se corsent. En février dernier, nous avons ainsi enregistré 1,4 million de visites sur le store pour un taux de conversion d’à peine 20 %. Et c’est une bonne performance ! Trois éléments fondamentaux jouent ici un rôle décisif : la note, la présentation et les avis.
La note est la moyenne arithmétique des évaluations individuelles. Pour l’améliorer, il faut donc amener les utilisateurs satisfaits à noter l’application et, surtout, les inciter à le faire au moment opportun. Trop tôt, ils n’ont pas le recul nécessaire. En cours d’utilisation, l’intrusion risque d’être contre-productive. Et trop tard, ils auront peut-être déjà abandonné l’application ou, du moins, leur enthousiasme initial. Notre expérience a montré que l’optimum se situait au quatrième jour d’une utilisation quotidienne.
La présentation, quant à elle, doit faire la part belle aux captures d’écran, énoncer simplement les fonctionnalités et les bénéfices de l’application. Tous les détails comptent. L’icône, par exemple, joue un rôle capital. Nous avons ainsi amélioré de 20 % notre taux de conversion en modifiant légèrement la nôtre pour qu’elle nous identifie plus clairement comme un outil de messagerie. Pour ajuster cette vitrine, les stores offrent des possibilités d’A/B testing qu’il faut exploiter au maximum.
Enfin, les avis sont souvent l’argument décisif. Dès le départ, nous y avons accordé une très grande importance, en nous efforçant de répondre systématiquement. Cela nous a valu quelques nuits blanches mais aussi de nouer un lien fort avec nos utilisateurs et de très bien connaître leurs usages et leurs attentes. Grâce à cet investissement, nous avons tout à la fois construit la marque, la communauté et le produit. Malgré le caractère immatériel de l’activité, il ne faut jamais perdre de vue que ce sont des vrais gens qui choisissent ou non de vous faire confiance. Aujourd’hui, nos 4,3 millions de téléchargements nous ont permis de récolter 80 000 avis, soit un pour un peu plus de 50 utilisateurs. C’est un ratio excellent, qui permet d’atténuer l’influence des inévitables râleurs et de renvoyer une image positive et convaincante.
Une fois l’application installée, reste encore à persuader de son utilisation, de sa réutilisation et de son partage. En moyenne, 88 % des utilisateurs l’auront abandonnée au bout d’une journée : avec 35 % " seulement " de défection à J+1, Mood Messenger figure dans le top 100 mondial. L’expérience utilisateur doit non seulement être intuitive mais progressive, avec des fonctionnalités essentielles immédiates et une richesse de possibilités perceptible mais qui ne se dévoilera qu’au fur et à mesure de la prise en main. Pour encourager le partage, il faut que l’utilisateur trouve un bénéfice direct à recommander l’application. On lui proposera donc des bénéfices sociaux (partager avec plus de gens) et des récompenses dans une logique de gamification (déblocage de fonctionnalités, par exemple).
Pour entretenir l’usage, on s’appuiera sur les notifications, qu’il faut envoyer avec discernement : le bon message à la bonne personne, au bon moment. Pour cela, la solution passe par les données. S’il fallait ne retenir qu’un seul enseignement de notre expérience, c’est l’importance de se mettre d’emblée en position de recueillir et de traiter les données d’utilisation. Pour cibler les notifications, pour proposer les fonctionnalités qu’attendent les utilisateurs, pour améliorer leur expérience, pour piloter le business… Les données sont le carburant d’un développement perpétuel. Dans l’univers impitoyable des applications mobiles, s’arrêter, stagner, se reposer sur ses acquis, c’est mourir. En revanche, lorsque le mouvement est lancé, tout peut aller très vite, y compris le succès. Et c’est tout le mal qu’on peut souhaiter à celles et ceux qui ont l’inconscience se lancer.