Selon les données de la Banque de France, entre janvier 2023 et mai 2024, 5,6 % des startups matures ont fermé leurs portes.  Ces derniers mois, le mot «faillite» a fait trembler plus d’un entrepreneur de la French Tech. Le «mur» tant redouté par Emmanuel Macron au moment de la crise du Covid arriverait-il pour la tech ?

Il est légitime de se poser la question : contraction des levées de fonds, difficultés à closer tant côté VC que côté jeunes pousses, instabilité politique qui n’arrange pas le climat des affaires, mutation RH etc. Mais la faillite n’est pas une fatalité, elle peut être évitée. Et ce notamment grâce à un panel d’outils administratifs dont les procédures collectives. 

Là encore, un frisson peut parcourir les founders à l’idée de devoir aller consulter un mandataire judiciaire ou de se rendre au tribunal de commerce. Pourtant, les différentes procédures peuvent permettre à l’entreprise de respirer, réorganiser sa dette puis de continuer sa route et sa croissance de manière saine. 60% des entreprises réussissent leurs procédures de sauvegarde ou de redressement judiciaire, d’après Christophe Basse, mandataire judiciaire et ancien président du Conseil National des Administrateurs et Mandataires Judiciaires. 

Quelles sont les procédures collectives ? 

Il existe trois types de procédures dites «collectives». Elles ont pour point commun de dépendre du tribunal de commerce et d’être publiques. La sauvegarde et le redressement sont des procédures très similaires, elles peuvent précéder une liquidation, mais dans la majorité des cas, elles permettent surtout de sauver l’entreprise. 

La sauvegarde diffère du redressement car elle ne nécessite pas d’être en cessation de paiements. Résultant toujours d’une démarche volontaire du dirigeant, elle est pertinente lorsque l’entreprise peut assumer ses dettes grâce à ses actifs mais anticipe des difficultés à venir. Le redressement judiciaire, comme la sauvegarde, permet aux entreprises en difficulté de mettre en pause leurs dettes et de renégocier avec leurs fournisseurs. Deux cas de figure entraînent majoritairement un redressement judiciaire, comme le raconte Christophe Basse : « Je vais en redressement car je sais que si on me donne du temps, je peux arriver à relancer mon entreprise et sortir des difficultés. Ou bien parce que je sais que je peux vendre mon entreprise et sauver des emplois. »

Dans les deux procédures, sauvegarde et redressement, l’activité continue avec une période d’observation, 12 mois maximum pour une sauvegarde, 18 mois pour un redressement. Au bout de cette période, le dirigeant, s’il est toujours en difficulté, peut présenter un plan de continuation, d’une durée maximum de 10 ans, c’est -à-dire qu’il a une dizaine d’années pour rembourser tous ses créanciers. Le tribunal valide alors ou non ce plan. En cas d’échec de la procédure, c’est la liquidation, synonyme d’arrêt de l’activité, de non remboursement des dettes et de fermeture de l’entreprise. 

Conciliation et standstill au service de la tech

Pour les entreprises innovantes, la situation n’est pas si rare mais les entrepreneurs cherchent de l’aide plus tôt. Deux procédures, confidentielles cette fois, existent avec le triptyque de collectives : la conciliation et le mandat ad hoc. Elles donnent pouvoirs aux mandataires judiciaires de négocier de manière confidentielle les dettes de l’entreprise. 

« Beaucoup de startups nous arrivent après avoir mené un certain nombre de tours de table. Elles sont à l’aube de la commercialisation et ont beaucoup moins de trésorerie. Nous faisons beaucoup de prévention », commente le mandataire judiciaire. « Ce que nous conseillons, c’est la suspension d’un certain nombre d’échéances et de charges courantes, ce qu’on appelle un standstill. » 

Cet anglicisme, c’est le canot de sauvetage des jeunes pousses. Le mandataire judiciaire impulse cet arrêt des paiements. « À l’Urssaf, aux impôts, à la banque, on leur dit, ‘on suspend les échéances jusqu’à deux ans’. Cela redonne de la respiration aux entrepreneurs. » Des investisseurs peuvent également être sollicités au cours de la procédure. « Il y a un texte de loi qui stipule que si vous investissez dans une entreprise en conciliation, s’il est en difficulté dans le futur, vous serez les premiers remboursés. C’est le privilège de ‘new money’ », explique Christophe Basse. 

« La trésorerie est le meilleur indicateur »

« Nous pouvons les accompagner, leur trouver des investisseurs. Nous allons leur faire payer le minimum et rassurer les caisses sociales, fiscales, les banques par notre présence et la tutelle du tribunal de commerce. L'accord qu'on va trouver avec les créanciers, nous le faisons valider par le tribunal. Ce n'est pas griffonné sur un coin de table. Pour ces startups, c’est déjà une bonne partie de la solution », conclut Christophe Basse. 

Lorsque les prévisions de trésorerie se tendent, il faut donc ne pas hésiter à aller chercher de l’aide. Le timing est essentiel. Un constat partagé par Solène de Boishebert, directrice générale adjointe de LER, Les Entrepreneurs Réunis. « Les entrepreneurs nous appellent quand il leur reste quelques mois de cash. La problématique n’est pas toujours la trésorerie, mais c’est la conséquence », explique-t-elle. LER est un cabinet de conseil créé et avec uniquement des entrepreneurs pour accompagner les dirigeants, les founders dans la gestion de leur startup et notamment dans les moments difficiles. 

LER reste à l’écoute des dirigeants et tente de trouver des solutions pour éviter d’avoir à toquer à la porte du tribunal de commerce. « Nous allons vraiment travailler en amont pour éviter les procédures collectives. La conciliation est un outil », commence Solène de Boishebert. Quand un entrepreneur s’adresse au cabinet de conseil, la première chose est de réduire ses coûts. « Nous allons regarder très vite l'ensemble des coûts avec le dirigeant pour analyser où il peut couper dans ses charges. Car, de temps en temps, le dirigeant a manqué de lucidité, c’est dur pour lui. » Le regard extérieur et expert est une aide dont il ne faut pas se priver. « Nous avons une vision plus tranchante tout en gardant ses intérêts, la viabilité de la boîte en tête. Nous allons nous occuper du cost killing pendant un moment. Ensuite, on regarde les dettes, les possibilités de négociations à l’amiable. Enfin, nous allons aider à trouver des solutions financières, sous forme d’obligations par exemple. » 

Solène de Boishébert a bien constaté que la situation se tendait de plus en plus pour les entrepreneurs de la tech. « Les 18 derniers mois, beaucoup de personnes nous ont appelés, souvent trop tard. Nous avons énormément d’entreprises dans le SaaS, d’ailleurs il y a un mouvement de consolidation dans ce secteur. Mais tous les secteurs ont été touchés. » Les difficultés vont se poursuivre dans les prochains mois, à mesure que les startups doivent devenir rentables et se confronter au marché. Le cash est le nerf de la guerre, les entrepreneurs doivent toujours avoir un œil dessus pour demander de l’aide au bon moment car les solutions existent. «La trésorerie est le meilleur indicateur», poursuit a DGA de LER. « Quand, sur le plan de trésorerie à 6 mois, il n’y a plus de cash, il est déjà tard pour se réveiller. »