Dans le paysage du capital-investissement, deux grandes structures de fonds se distinguent : les fonds evergreen et les fonds à capital fixe. Les premiers, sans durée de vie prédéfinie, offrent une flexibilité accrue et permettent un investissement au long cours. Les seconds, limités dans le temps, suivent un cycle d’investissement traditionnel basé sur une phase de levée, de déploiement, puis de sortie. Ces deux modèles coexistent, mais lequel privilégier en fonction des besoins des entrepreneurs et des investisseurs ?
Comprendre les différences : fonds evergreen et fonds à capital fixe
Les fonds à capital fixe, ou fonds fermés, sont le modèle le plus répandu dans l'industrie. Ils suivent un cycle d’une durée généralement comprise entre 10 et 12 ans : une période de souscription pour les investisseurs (12 à 24 mois), suivie d’une phase d’investissement dans les entreprises, puis d’une phase de cession des actifs pour restituer le capital aux investisseurs.
Les fonds evergreen, eux, n'ont pas de durée de vie définie. Souvent qualifiés de "véhicules perpétuels", ils permettent des entrées et sorties de capitaux de manière continue. Ces fonds offrent une flexibilité importante, notamment en termes de liquidité pour les investisseurs, et permettent aux entreprises financées d’être accompagnées sur des horizons temporels plus longs.
Le regard de Stéphanie Nizard : Partner chez Serena
Stéphanie Nizard, aujourd'hui Partner chez Serena, en charge des relations investisseurs, elle, défend les atouts des fonds à capital fixe. « La structure fermée garantit une discipline d’investissement et de désinvestissement. Cela permet d’aligner les intérêts des LP et de l’équipe de gestion tout en offrant une visibilité claire sur la performance », avance-t-elle. « Les LP institutionnels apprécient les formats standards des fonds fermés, car ils sont compatibles avec leurs mandats et leurs contraintes de liquidité à moyen terme », poursuit-elle.
Ayant travaillé par le passé pour un fonds evergreen, elle pointe les limites de ce modèle. « La souplesse apparente des fonds evergreen vient avec des contraintes. Il faut gérer un deal flow constant pour déployer les fonds disponibles, ce qui peut diluer les performances si le rythme d’investissement n’est pas maîtrisé », explique-t-elle. Elle ajoute que la semi-liquidité, souvent mise en avant comme un atout des fonds evergreen, peut s’avérer complexe. « Pour assurer la liquidité, il faut soit des actifs plus liquides, ce qui altère la pureté de la stratégie, soit mettre en place des mécanismes coûteux comme des gates ou des lignes d’attente », précise Stéphanie Nizard.
Le point de vue de Marie Ekeland : fondatrice du fonds evergreen 2050
Marie Ekeland, ancienne gestionnaire de fonds fermés pendant plus de 20 ans, a fondé le fonds evergreen 2050 avec l’ambition de créer un modèle plus adapté à la transformation durable de l’économie. « Le modèle du fonds fermé a été conçu pour accompagner la transformation digitale, où des cycles de croissance rapide suffisent à transformer une entreprise. Mais pour des projets de transformation durable, qui impliquent la bascule de chaînes de valeur entières, un temps plus long est nécessaire », partage-t-elle.
« La transformation durable demande non seulement du temps, mais aussi une approche holistique. On ne peut plus se limiter à la performance financière, il faut intégrer les performances environnementales et sociales. Cela ralentit nécessairement les processus, mais c’est essentiel pour créer de la résilience dans le temps », poursuit Marie Ekeland.
Selon elle, le modèle evergreen permet aux entrepreneurs de s’affranchir de contraintes temporelles artificielles. « Contrairement aux fonds fermés, les fonds evergreen permettent d’accompagner les entreprises jusqu’à ce qu’elles atteignent leur plein potentiel, sans imposer de contraintes artificielles de sortie liées à la durée de vie du fonds et de limiter les risques liés aux effets de cycle de marché », explique Marie Ekeland.
2050 est structuré comme un fonds evergreen, mais pour palier aux potentiels problèmes de liquidité, la société a mis en place des mécanismes de liquidité partielle. « Nous avons repensé le modèle pour offrir une liquidité aux investisseurs dès la sixième année tout en conservant un accompagnement long terme pour les entreprises », détaille-t-elle.
Des modèles complémentaires ?
Alignement des intérêts, temporalité, liquidité…autant de questions qui se posent lorsqu’on choisit de travailler avec l’une ou l’autre de ces structures. Francky Défossé, cofondateur d’Acheel, une startup de l’assurtech, a, lui, levé de l’argent auprès des deux types de fonds : Serena (fonds fermé) et de Xavier Niel (modèle evergreen). Pour lui, les deux modèles sont complémentaires. « Les fonds evergreen apportent une stabilité précieuse, tempérant les pressions pour des performances rapides imposées par les fonds fermés. Cela nous permet de combiner croissance rapide et gestion réfléchie », résume-t-il.
Il souligne toutefois les défis spécifiques des fonds fermés : « Ces fonds, en raison de leur horizon de sortie, ont besoin de résultats à court-moyen terme, ce qui pousse l’entreprise à avoir une efficience économique assez rapide, et à prouver ainsi la pérennité de son modèle ». Le choix entre fonds evergreen et fonds à capital fixe repose donc sur les priorités de chaque acteur. Si les fonds evergreen séduisent par leur flexibilité et leur alignement avec les ambitions long terme, les fonds fermés restent une norme bien établie, offrant un cadre structuré.