Le secteur des startups françaises est en pleine mutation. Selon les données de la Banque de France, entre janvier 2023 et mai 2024, 5,6 % des startups matures ont fermé leurs portes. Selon ces mêmes données, complétées par le journal La Tribune en août 2024, 128 startups innovantes avaient fait faillite au cours des dix-huit derniers mois. Parmi les exemples les plus emblématiques, on retrouve ceux d’Iziwork, de Bioserenity, ou encore de Cityscoot.
Cette vague de faillites, bien que préoccupante, peut être vue comme un phénomène naturel dans un contexte économique post-Covid marqué par la hausse des taux d’intérêt, l’inflation et des changements dans les critères d'investissement. Mais comment en est-on arrivé là et que signifie réellement ce record de faillites ?
La fin des startups sous perfusion ?
Pour Claude Calmon, fondateur de la société de services financiers Calmon Partners, cette situation est la résultante de plusieurs années d’attentisme dans un secteur qui a été sous perfusion de cash pendant une trop longue période. « Trop d’entreprises ont levé des fonds considérables sans viser la rentabilité ni anticiper le retour sur investissement », analyse-t-il. « Tant que l’argent était accessible à bas coût, le modèle fonctionnait. Mais dès que les taux d’intérêt ont grimpé, le système s'est effondré », poursuit-il.
Jusqu’en 2022, les levées de fonds record se sont multipliées, conduisant certaines startups à des dépenses extravagantes, sans structure solide. « Le manque de bon sens a prévalu durant ces années fastes. Le recrutement s’est fait à outrance et les campagnes marketing coûteuses se sont multipliées, sans que l’on se soucie de construire une véritable culture d’entreprise », illustre Claude Calmon.
Depuis, les critères des fonds d’investissement se sont considérablement durcis. Autrefois séduits par des promesses de croissance rapide, les investisseurs sont désormais plus exigeants en matière de rentabilité. « Le modèle de financement a évolué. Les fonds doivent désormais gérer la casse dans leur portefeuille et deviennent plus sélectifs », explique Claude Calmon. Les startups, autrefois portées par des valorisations astronomiques, peinent à lever des fonds ou à se refinancer. D’après Socheat Chhay, directeur général de Sopra Steria Ventures, cet effet "ciseaux" touche particulièrement les jeunes pousses issues des années 2018-2020, souvent surendettées et sans trésorerie suffisante pour tenir jusqu'à leur prochaine levée de fonds.
Une correction nécessaire pour un écosystème plus sain
Cette vague de faillites peut être perçue sous l’angle de la sélection naturelle. Les entreprises les plus solides, celles qui ont su ajuster leur modèle économique et se recentrer sur la rentabilité, en sortent, elles, renforcées. « Dans la French Tech par exemple, on observe un nombre de défaillances important, mais en parallèle, les chiffres d’affaires et les fonds propres des sociétés qui sont toujours là se sont renforcés », observe Claude Calmon.
Socheat Chhay partage ce constat en insistant sur le fait que ces faillites ne sont pas alarmantes, mais plutôt révélatrices d’un cycle économique en mutation. « Nous sommes dans une phase post-Covid marquée par des événements exogènes, comme la guerre en Ukraine et les pressions inflationnistes, qui ont accéléré les cycles économiques » note-t-il. « Les startups, plus fragiles par nature, sont les premières à ressentir les effets de ces turbulences économiques », ajoute-t-il.
Si cette vague de faillites peut sembler inquiétante à première vue, elle pourrait donc en réalité ouvrir la voie à un écosystème plus sain et plus mature. « Les startups doivent désormais fonctionner avec une logique entrepreneuriale classique : la gestion de la trésorerie et la rentabilité doivent primer sur la croissance à tout prix », souligne Socheat Chhay. Ce réalignement des attentes pourrait en effet favoriser l’émergence de startups plus robustes, prêtes à affronter des cycles économiques de plus en plus rapides et imprévisibles.
Dans ce contexte, certains pourraient avoir également des opportunités sur le marché du M&A. « Nous voyons une augmentation des opérations de rachat, souvent par des entreprises qui cherchent à acquérir des technologies ou des talents à moindre coût », précise Socheat Chhay. « Ces opérations permettent de limiter la casse et d'offrir une porte de sortie, même si elles ne sont pas toujours idéales pour les fondateurs et investisseurs », conclut-il.