Quand on parle de l’engouement des Français pour Dubaï, c’est souvent (et malheureusement) pour évoquer les influenceurs qui s’exilent au soleil pour des raisons fiscales. Mais les entrepreneurs tricolores sont de plus en plus nombreux à faire le déplacement jusqu’à l’émirat, notamment dans le cadre du Gitex.
Dans le cadre de l’édition 2024 du salon émirati, une trentaine de jeunes pousses françaises se sont ainsi envolées pour Dubaï. L’occasion pour elles de mieux mesurer l’appétence grandissante des pays du Moyen-Orient pour l’innovation technologique et les opportunités commerciales qui peuvent en découler, avec des discussions pouvant déboucher sur d’éventuels deals très lucratifs. Ce n’est pas Pasqal, l’un des acteurs majeurs français dans le quantique, qui dira le contraire. Pour rappel, l’entreprise a signé un contrat avec Aramco, leader mondial de la production de pétrole, au printemps.
Pendant que certaines startups tricolores se sont aventurées au World Trade Centre, le parc des expositions de Dubaï qui accueille le Gitex, l’essentiel du contingent français de la tech était basé au Dubaï Harbour, où avait lieu l’Expand Northstar (ex-Gitex Future Stars), l’événement du Gitex spécialement dédié aux startups. Dans ce cadre, Zebox, l’accélérateur de CMA CGM, a emmené une dizaine de ses startups dans ses bagages.
«On vient tâter le marché»
Parmi elles, la société Aerleum, qui veut développer un nouveau procédé pour la production de carburants de synthèse grâce à la captation et la transformation du CO2, découvre la démesure du méga-salon dubaïote. «C’est assez gigantesque ! Par rapport à ce qu’on a fait jusque-là, c’est un niveau au-dessus», assure Sébastien Fiedorow, co-fondateur et CEO de l’entreprise. «C’est important d’être ici pour voir ce que l’on peut faire au Moyen-Orient. Beaucoup de compagnies pétrolières nous ont approché pour envisager des collaborations», ajoute-t-il. A l’occasion du Gitex, Aerleum en a profité pour annoncer une levée de fonds d’amorçage de 6 millions de dollars menée par 360 Capital et HTGF, avec la participation de Norrsken, Bpifrance et Marble. «Cela va nous permettre de passer du stade en laboratoire à celle de la pré-industrialisation», souligne Sébastien Fiedorow.
Autre entreprise présente pour la première fois Gitex, Delfox, originaire de Bordeaux, veut explorer les possibilités offertes par l’événement. «Dubaï est une portée d’entrée sur le marché au Moyen-Orient. On vient donc tâter le marché. Nous avons quelques rendez-vous avec des investisseurs, mais l’idée est surtout d’avoir des retours objectifs et agnostiques sur la valeur de l’entreprise à l’international», explique Maxime Rey, CEO de Delfox, spécialiste des intelligence artificielles autonomes dans les secteurs de l’aéronautique, du spatial et de La Défense. D’une certaine manière, la jeune pousse effectue une «Learning Expedition» à Dubaï pour mieux appréhender le marché dans la région.
«Dubaï ne me fait pas forcément rêver, mais nous ne sommes pas là pour le loisir»
Pendant que certains acteurs découvrent la démesure d’un tel salon, d’autres sont plus habitués, à l’image de Molluscan Eye, qui place des compteurs sur les mollusques pour surveiller la qualité de l’eau. Cette approche pourrait intéresser les Émirats arabes unis, puisque les huîtres perlières constituaient une grande source de richesse pour Dubaï et le reste du pays il y a encore quelques décennies avant que le pétrole et le gaz ne prennent le relais. Déjà présente au CES de Las Vegas en début d’année, l’entreprise tricolore place a donc bon espoir de séduire quelques acteurs majeurs dans la région. «Ici, ils sont très attachés à leurs huîtres, car c’est un symbole historique de leur passé. De plus, c’est le point le plus chaud au monde dans l’eau, dont la température monte jusqu’à 35 degrés», indique Jean-Charles Massabuau, co-fondateur de la société et chercheur au CNRS qui a fait notamment ses armes en surveillant la qualité de l’eau depuis les plateformes pétrolières avec Total à Abu Dhabi.
Comme les enjeux sur le sujet sont importants dans la région, Molluscan Eye a estimé qu’il était donc temps de participer au Gitex. «Nous avons fait plusieurs salons internationaux, comme le CES. Lors de tous tous ces événements, nous avons rencontré beaucoup de pays, mais quasiment aucun du Moyen-Orient. Être ici est donc une bonne occasion de comprendre l’appétence des acteurs régionaux pour notre technologie. Notre objectif est d’initier des contacts avec de potentiels clients», développe Ludovic Quinault, co-fondateur et CEO de Molluscan Eye. «Dubaï ne me fait pas forcément rêver, mais nous ne sommes pas là pour le loisir. Nous sommes là pour faire du business», ajoute Jean-Charles Massabuau. Et pas le temps de mouiller la nuque pour nos deux entrepreneurs français, puisque leur avion a atterri à Dubaï à 7h du matin le jour de l’ouverture d’Expand Northstar. Pas le temps de faire une sieste à l’hôtel, le business n’attend pas !
DTA veut prendre son envol avec son «Club des 20»
Également présent au CES de Las Vegas en début d’année, DTA, qui a conçu un engin volant à décollage vertical (VTOL), découvrait pour la première fois le Gitex ce mois-ci. «A Las Vegas, on testait le marché. Ici, nous avons deux objectifs : décrocher des pré-ventes et trouver des investisseurs», résument les représentants de la société sur leur stand, juste en face du plateau du BFM Business. DTA veut notamment en profiter pour faire décoller son initiative «Club des 20» : une levée de fonds avec 20 investisseurs qui mettent chacun 100 000 euros sur la table, contre 20 % du capital. En parallèle, la société a lancé une campagne de crowdfunding pour collecter entre 300 000 et 800 000 euros.
A l’heure où les Émirats arabes unis se passionnent pour les mobilités du futur, comme en témoigne le méga-stand d’Etisalat, opérateur télécoms historique du pays, qui proposait au Gitex plusieurs voitures volantes, il y a peut-être un coup à jouer pour DTA et son engin volant qui peut embarquer deux personnes à l’aide de ses quatre bras et ses huit moteurs électriques. Le tout en volant entre 150 et 1 000 mètres de hauteur à 150 km/h pour une autonomie de 300 km.
Footsider veut surfer sur l’engouement pour le sport de l’Arabie saoudite, du Qatar et des Émirats
Dans un autre registre, Footsider, qui ambitionne devenir le «LinkedIn du football» avec son application de mise en relation entre joueurs et clubs du ballon rond, estime qu’il y a de belles opportunités à saisir au Moyen-Orient. «Comme c’est notre premier Gitex, il est intéressant pour nous de comprendre la manière dont nous sommes perçus. Surtout que nous nous sommes rendus compte que l’Arabie saoudite, le Qatar et les Émirats arabes unis avaient une forte appétence pour le sport et l’e-sport, mais ils ne sont pas encore des acteurs à part entière», analyse Fouad Ouhssakou, directeur du développement de Footsider. Cela pourrait cependant changer rapidement avec l’organisation de la Coupe du monde de football 2034 en Arabie saoudite.
Dans ce contexte, l’entreprise, soutenue par Yacine Brahimi, ancien joueur du Stade Rennais, et Ronaldinho, légende brésilienne du football passée par le Paris Saint-Germain et le FC Barcelone, veut marquer quelques buts rapidement au Moyen-Orient. «Ces derniers mois, nous avons identifié des signaux positifs dans la région. Surtout qu’elle est à la croisée de beaucoup de continents, comme l’Afrique où il y a très peu de joueurs qui ont des licences. On peut donc constituer une solution pour leur permettre d’accéder à des licences digitales», ajoute-t-il. Dans ce cadre, Footsider lance sur l’élaboration d’un «passeport footballistique» pour «couper l’herbe sous le pied des faux agents».
Alors qu’elle compte 140 000 joueurs inscrits et 1 500 clubs partenaires, l’application pourrait à moyen terme être dupliquée dans d’autres sports. «Le rugby, le basket et le volley sont des sports que nous regardons. A terme, il y aura création d’une maison-mère : Sportsider. On pense également à élargir notre approche à l’ensemble du staff des sports professionnels pour interconnecter tous les acteurs. Mais chaque chose en son temps ! Pour être rentable, il faut être durable», conclut Fouad Ouhssakou.
CybelAngel en habitué
Si beaucoup de startups tricolores découvraient le Gitex cette année, certains sont désormais des habitués. C’est le cas de CybelAngel, spécialiste de la cybersécurité. C’est la quatrième année consécutive que la société se rend à Dubaï pour participer au salon. «Cette année, ils ont créé un pôle entier dédié à la cybersécurité. C’est beaucoup mieux ! Auparavant, ce n’était pas le cas et il n’y avait donc aucun lead qualifié», observe Camille Charaudeau, Chief Product Officer de CyberlAngel.
Néanmoins, la société est d’ores et déjà satisfaite de sa traction au Moyen-Orient. «Nous avons acquis nos premiers clients dans la région il y a trois ans. Quand on en aura entre cinq et dix, ouvrir un bureau ici aura du sens. A Dubaï, les gens prêtent une grosse attention à l’accompagnement. Ils ne veulent pas d’une relation par mail, mais de l’humain avec une véritable relation. C’est très consommateur de temps au départ mais ça vaut le coup», ajoute-t-il. A ce jour, le Moyen-Orient constitue ainsi 10 % de l’activité de CybelAngel, qui espère voir cette part progresser dans les prochaines années.
Dubaï, «le meilleur endroit au monde» pour le patron de la French Tech des Émirats
Si les entrepreneurs cherchent le meilleur angle d’attaque pour s’installer dans la région, certains acteurs sont déjà pleinement convaincus. C’est le cas par exemple de Stéphane Boukris, directeur de la French Tech Dubaï-Abu Dhabi aux Émirats arabes unis. «Je suis tombé amoureux de cette ville, de ce pays et de cette région. Je pense sincèrement que c’est le meilleur endroit au monde ! A la croisée des chemins entre l’Europe, l’Afrique et l’Asie, c’est la terre de tous les possibles», a-t-il lancé en guise de véritable déclaration d’amour devant les participants français au Gitex lors d’un meet-up à Dubaï organisé avec Bpifrance et Business France.
«Mon mandat repose sur trois priorités : connecter les entreprises tech françaises et locales, aider mes entreprises françaises à lever des fonds dans la région, et épauler les Français qui cherchent un emploi dans la tech au Moyen-Orient», a détaillé Stéphane Boukris. De quoi donner envie à des startups tricolores de sauter le pas l’an prochain pour partir à la conquête de la région ? Début de réponse lors de l’édition 2025 du Gitex.