Une des erreurs est de ne pas définir de CEO, de décideur dans le groupe de fondateurs. Je ne crois pas à la méthode “on décidera tous ensemble car on est très alignés”... Cela ne tient jamais”, insiste Jérôme Masurel, fondateur de 50 Partners quand on lui demande les erreurs à éviter en s’associant. 

Cet écueil, Alexandre Bellity et Emeric Arnoult en ont fait les frais au cours de leurs collaborations avec leurs anciens associés. Aujourd’hui, tous deux sont seuls aux commandes de leurs startups. Alexandre Bellity, CEO de Cleany, a coupé tout contact avec son cofondateur, un ami d’enfance. Emeric Ernoult, CEO d’Agorapulse, lui, s’est séparé en douceur de son associé après près de 25 ans de collaboration. 

Nous n’avons pas établi de hiérarchie au départ, on savait ce que chacun avait à faire et nous avons tout construit sur cette confiance mutuelle”, se souvient Alexandre Bellity des premières années de Cleany avec son associé. “Nous n’avons pas assez mutualisé et nous n’avions pas une bonne communication entre nous.” Petit à petit l’écart s’est creusé entre leurs visions et leurs ambitions respectives. Jusqu’à atteindre un fossé trop grand qui les a poussés à se séparer professionnellement. Cet éloignement entre plusieurs associés est souvent accentué avec la croissance de leur entreprise.

“Ce n’est pas normal que l’associé ne rapporte à personne” 

Emeric Ernoult a fait ce même constant. Au démarrage de AgoraPulse, ils n’ont pas défini de chef. “J’ai toujours eu le titre de CEO, mais je n’ai jamais été le patron de mon associé. Nous n’avons jamais réussi et cela a été un vrai problème.” Son cofondateur portait la tech et tout le développement produit, quand Emeric, lui, était chargé des questions business et corporate. Comme chez Cleany, les deux associés avaient chacun leur “pré carré” et n'interféraient pas dans le travail de l’autre. 

Pendant longtemps, cela n’a eu aucune importance. Et puis avec la croissance, la maturité et à partir d’une certaine taille, c’est devenu problématique.” Lorsqu’on démarre à parts financières égales et de zéro, il peut être difficile de séparer l’actionnariat de l’opérationnel et de casser cette égalité de départ. Pourtant, c’est indispensable pour garantir la croissance et la trajectoire de l’entreprise. “En tant que cofondateurs, nous serons toujours égaux et ce quelque soit le nombre de cofondateurs”, souligne Emeric Ernoult. “Mais il y a le rôle opérationnel. Et c'est là qu'il y a une confusion des genres qui, souvent, crée des conflits.” 

Au sein d’Agorapulse , le CTO également associé-fondateur n’a jamais rapporté à son associé CEO. Au point que cela interroge les équipes. Cette situation est remontée à Emeric Ernoult : “Ce n’est pas normal que le CTO ne te rapporte pas”. “Au moment de se réaligner, avec de la croissance, cela a posé problème.” Pour cette raison et d’autres, l’associé de Emeric Ernoult a fini par quitter AgoraPulse dans de bonnes conditions. 

Pas d’association sans CEO

S’il faut trancher et définir un CEO, l'association financière, elle, peut être à part égales comme l’explique David Bitton, operating partner au sein du fonds d'investissement Serena : “On peut s’associer à parts égales, responsabilités "équivalentes" mais avec un CEO et un pacte d'actionnaires qui prévoit le règlement des situations de blocage.” L’associé doit toujours rapporter au CEO. 

Alors comment définir celui qui endosse ce rôle déterminant ? Pour David Bitton, il doit faire avoir des hard skills pour gérer “le management des investisseurs, les relations presse, le service commercial grand comptes, porter la vision” et doit faire preuve d’ “une capacité à faire vivre l’équipe d’associés dans le temps.” 

Pas de tabou entre associés, au moment de lancer le projet, il faut mettre son égo de côté. Quand on s’associe en famille ou entre amis, cela peut être un moment sensible. “Il faut être conscient que s’associer fait porter une part de risque sur son amitié”, insiste Alexandre Bellity. “Si on ne veut pas prendre le risque de perdre quelqu’un d’important, il ne vaut mieux pas s’associer !” 

L’avis de l’avocat, Cédric Dubucq, associé au cabinet Bruzzo-Dubucq : Comment désamorcer une situation de conflit avec son associé ? 

"Pour filer la métaphore des explosifs, désamorcer une situation de conflit avec son associé suppose de jouer avec deux fils : celui de la suspicion, et celui de l’anticipation. Les deux doivent être manipulés avec précaution, parce qu’une trop grande anticipation peut conduire à une suspicion délétère et finalement à l’explosion. Dans tous les cas, on tentera d’éviter le juge et de trouver une solution à l’amiable.

Pour prendre quelques exemples, des clauses permettent d’interdire aux associés de concurrencer la société, les obligent à rester actionnaires pendant une certaine durée ou encore anticipent le prix de revente des actions en cas de départ. Mieux encore, il peut être stipulé que tout conflit entre associés donnera lieu à ce que l’on appelle un mode alternatif de règlement des différends (MARD) où le juge ne pourra être saisi qu’en cas d’échec d’une tentative de médiation ou de conciliation obligatoire. Le recours en justice doit être l’ultime recours. 

C’est pourquoi l’associé, accompagné de son conseil, devra trouver le juste équilibre d’un légitime besoin d’anticipation qui ne verse pas dans la suspicion délétère. Dans les affaires comme en politique, un acte doit être acceptable socialement. Et, ici comme ailleurs, le meilleur outil reste le dialogue et la transparence."