39 instituts de recherche publics, laboratoires ou consortium, sont labellisés Carnot sur le territoire français. Ce label d’Etat est attribué aux acteurs de la recherche partenariale. Pour faire partie du réseau, il faut donc collaborer avec un ou des industriels. Un sujet au coeur de notre économie.

Soutenir la recherche et la collaboration entre laboratoires et industriels, c’est «préparer l’avenir» comme le dit Alexandre Bounouh, président du Réseau des Carnot. Le chiffre d’affaires des Carnot est en augmentation : de 186 millions d’euros en 2006 au lancement du label, il atteint aujourd’hui les 600 millions d’euros. Preuve en est que la recherche est indispensable à nos industriels.

Le réseau est aussi une véritable pépinière : 110 startups en sont issues chaque année. Le palmarès 2024 des Prix Carnot de la recherche partenariale a d’ailleurs récompensé 4 chercheurs, le 16 septembre. Pour le prix soutenant la création d’une entreprise et le Grand Prix Carnot, un lauréat : Olivier de Almeida pour son idée de production en série de composants au service de la mobilité hydrogène. Lucile Cornu, a été récompensé par le Prix du partenariat mené par un jeune chercheur pour sa collaboration avec une entreprise de la défense sur des matériaux pare-balles. Ce projet a permis à Pangolin Défense de s’étendre aux Etats-Unis. Deux autre prix ont été remis à David Teixeira pour son innovation dans le stockage à grande échelle d’électricité et Robert Collet pour la longévité de son partenariat avec Bois Croisés de Bourgogne. Tous ces travaux reflètent bien la puissance du Réseau des Carnot. Les 39 instituts se positionnent dans tous les secteurs et créent les industries d’aujourd’hui et de demain.

À l’aube du renouvellement des labels du Réseau, son président Alexandre Bounouh rappelle à quel point il est crucial d’accélérer ces partenariats de recherche.

Comment êtes-vous devenu président du Réseau des Carnot ?

J’ai rejoint le CEA en 2019. De chef de laboratoire, j’ai ensuite évolué vers le poste de directeur d’institut, et mon institut, le CEA List, est labellisé Carnot.

L’année dernière, le bureau et la présidence ont été renouvelés, et j’ai été élu pour un mandat de trois ans. Ma mission est de promouvoir la recherche partenariale, notamment en soutenant l'innovation dans les PME, et de faire avancer certaines actions stratégiques en ce sens. Nous préparons actuellement le cinquième appel à projets pour 2025. Lancé en 2006, le label Carnot est renouvelé tous les trois à quatre ans, et mon rôle est de m’assurer que ce dispositif se poursuive avec les meilleures structures pour garantir son efficacité. En matière de R&D, il est considéré comme l'un des dispositifs les plus impactants de l'État.

Quelle est votre roadmap pour les deux prochaines années ? Quel est votre premier bilan ?

Nos priorités sont, avant tout, de mieux faire connaître le Label Carnot. Ce dispositif étatique sélectionne des organismes de recherche, comme le CEA List, des instituts, et des consortiums rassemblant une trentaine de laboratoires qui collaborent déjà avec des partenaires industriels dans le cadre de projets de R&D. C’est l’essence même du Label Carnot.

Au minimum, 10 % de notre budget consolidé doit provenir de partenariats industriels. Depuis 2006, nous avons travaillé à accroître l’impact de ces collaborations public-privé. Nous sommes passés d’un chiffre d’affaires de 186 millions d’euros en 2006 à 600 millions d’euros aujourd’hui, soit une multiplication par trois. Nous attachons également une grande importance à l’innovation avec les PME, et nous avons multiplié par huit les partenariats recherche-PME.

Notre premier objectif est donc de renforcer l’image du Label Carnot, un label de qualité qui offre un fonctionnement simple et efficace. Depuis 2020, le soutien annuel de l'État s’élève à 116 millions d’euros, répartis entre tous les instituts Carnot en fonction de leurs performances.

Ces fonds servent deux objectifs : d’une part, professionnaliser les équipes des organismes de recherche du réseau, notamment dans les domaines commercial, juridique et de gestion des relations industrielles. D’autre part, ils financent des projets de recherche autonomes, qui préparent l’avenir en permettant de faire mûrir certaines technologies sans partenariat industriel immédiat. Cela nous permet d’être prêts à proposer ces technologies aux industriels dans deux ou trois ans. Les industriels, quant à eux, bénéficient du Crédit d'Impôt Recherche (CIR) lorsqu’ils collaborent avec des laboratoires publics.

Pour promouvoir notre label, nous menons des actions de communication, organisons les Rendez-vous Carnot et entretenons des relations étroites avec nos tutelles. Le Réseau Carnot comprend 39 instituts, mais représente en réalité 400 laboratoires et 200 entités tutélaires, comme le CNRS, le CEA, des universités, et des grandes écoles.

Nous nous engageons aussi à renforcer notre impact auprès des PME en collaborant avec les régions pour coordonner différents dispositifs et amener davantage de PME vers le réseau Carnot.

Le Réseau Carnot représente environ 60 % de la recherche partenariale en France, avec un chiffre d'affaires de 600 millions d’euros, à comparer aux 1 milliard d’euros que les entreprises investissent annuellement dans la recherche publique par le biais de partenariats. Avec environ 35 000 collaborateurs, soit 20 % des effectifs de la recherche publique, nous avons un impact significatif : nous créons 110 startups et déposons 1 100 brevets chaque année.

Quels sont les critères pour obtenir le label, en plus de la collaboration avec un industriel ?

Les collaborations avec des industriels sont, en effet, le premier critère. Ensuite, il faut répondre à des critères de projet : pour être labellisé, un organisme doit présenter un projet de développement clair. Cela inclut la thématique scientifique choisie, les ambitions du projet, et son impact potentiel sur les acteurs sociaux et économiques.

En plus de ces éléments, il est essentiel de démontrer une inclusion dans les écosystèmes de recherche à travers des collaborations, ainsi qu'un haut niveau d’excellence. Ce label repose donc à la fois sur des critères d’excellence scientifique et sur une forte orientation vers la recherche partenariale.

Une démarche inédite tournée vers l’application directe

Une partie des fonds sert à financer des projets de recherche en propre. Quels sont-ils et comment sont-ils sélectionnés ?

Les relations bilatérales avec les industriels nous apportent de nombreux avantages. Elles nous donnent accès à leur vision de l’évolution de leur marché, de leurs domaines et secteurs d’activité.

En tant que chercheurs, nous avons une perspective sur l’évolution des technologies et anticipons les besoins futurs. Nous tenons compte des évolutions de la société et de l'industrie pour combler les lacunes éventuelles.

Par exemple, en 2018, au CEA List, nous avons identifié la blockchain comme une technologie émergente au fort potentiel. Nous avons donc lancé un laboratoire dédié à la blockchain, qui compte aujourd'hui 25 personnes. Plusieurs projets en ont découlé, avec des partenaires comme EDF ou Orange, grâce aux ressources du label Carnot. Tous les laboratoires du réseau fonctionnent ainsi dans leurs domaines respectifs, que ce soit l’agroalimentaire, l’agriculture, la santé, etc.

En fonction des ressources disponibles, les projets financés au sein du réseau Carnot peuvent recevoir entre 50 000 et 100 000 euros. Au CEA List, nous investissons en moyenne 1,5 million d’euros sur trois ans pour chaque projet sélectionné en interne. Cela permet aux chercheurs de travailler sur des innovations de long terme sans être uniquement dépendants des demandes des marchés et des industriels.

Le label Carnot est un label d’État, parmi beaucoup d’autres. Ne faudrait-il pas simplifier tous ces labels et rendre la recherche plus accessible en supprimant certaines étiquettes ?

Il existe d'autres labels, notamment dans le domaine de la santé, comme le label IHU. Cependant, ils ne fonctionnent pas du tout selon le même modèle que le Carnot.

Le label Carnot est un dispositif destiné à répondre à des besoins concrets et à préparer l’avenir, tout en reconnaissant une institution et son périmètre spécifique. Par exemple, tout le CEA n’est pas labellisé Carnot : seuls deux laboratoires le sont. Ce label va bien au-delà d’une simple reconnaissance de visibilité ; il implique un engagement continu et efficace pour l'innovation au service des entreprises. C’est une mission à part entière.

Contrairement à d’autres approches, le label Carnot impose une démarche tournée vers l'application pratique. Le chercheur, dans un cadre plus classique, peut se concentrer sur des sujets de passion et de création de savoir sans pression immédiate quant à l’application de ses travaux. Avec le Carnot, nous avons l’obligation de transformer nos activités en applications concrètes, générant des produits et services pour les entreprises. Pour cela, il est essentiel de combiner cette vision avec un cadre incitatif.

110 startups par an se créent au sein du réseau des Carnot

Les chercheurs peuvent-ils devenir des entrepreneurs ?

Absolument, et la preuve en est la French Tech, qui a démontré depuis dix ans une capacité remarquable à créer des entreprises. La plupart des startups sont fondées par des personnes issues de laboratoires de recherche.

Le CEA en est un excellent exemple, avec 260 startups à son actif. La majorité de ces jeunes entreprises sont portées par des chercheurs. Bien sûr, tous n'ont pas l'âme d’un entrepreneur ou d’un CEO, mais ce n’est pas le plus important. L’essentiel est qu’ils puissent s’associer avec des personnes capables de gérer une entreprise, de lever des fonds, et de piloter une aventure entrepreneuriale.

Aujourd’hui, la plupart des talents dans les startups proviennent des laboratoires, et c’est une excellente chose. 110 startups par an se créent au sein du réseau Carnot chaque année.

Un grand nombre d'entrepreneurs sont issus des mêmes grandes écoles : Centrale, Polytechnique, HEC, etc. Quel est votre regard sur cette concentration ?

Pour être tout à fait honnête, je trouve cela positif, et ce pour une raison simple.

En France, le postulat de base est que la culture du risque en entreprise reste assez limitée, notamment dans le domaine de la recherche, du développement, et de l’innovation. Cela se reflète dans les chiffres : la part de l’investissement des entreprises en R&D, en proportion du PIB, est inférieure à celle de nombreux autres pays de l’OCDE, et même de plusieurs pays européens.

Dans les entreprises françaises, les dirigeants de haut niveau n’ont pas toujours un parcours de recherche, contrairement à des pays comme l’Allemagne, où il est fréquent que les PDG, comme celui de Volkswagen, possèdent un doctorat.

Ainsi, la tendance à voir des entrepreneurs issus de grandes écoles, avec une solide compréhension de la technologie, est, selon moi, très positive. Ces entrepreneurs saisissent l’importance de l'innovation technologique non seulement pour créer de la valeur à court terme, mais aussi pour s’inscrire dans un cycle continu d’innovation, essentiel pour la pérennité de l'entreprise.

Cette tendance est bénéfique à deux égards : d’une part, entreprendre dès la sortie de l’école permet aux jeunes diplômés de se confronter rapidement aux réalités de l’entreprise ; d’autre part, cette formation initiale met l’accent sur l’innovation et la recherche, qui deviennent les moteurs de croissance de leurs entreprises. Cela reflète une évolution favorable de ces dix dernières années, où les liens entre public et privé, innovation et recherche, se renforcent.

« Il faut continuer à soutenir la recherche partenariale »

A-t-on encore besoin de soutenir ces transferts de technologies ? Comment accélérer la recherche partenariale ?

Il est essentiel de continuer à les soutenir, c’est indiscutable. La part du budget des entreprises consacrée à la R&D reste relativement faible, même pour celles du CAC 40, et la proportion de leur chiffre d'affaires affectée à la R&D est bien en deçà des standards internationaux, notamment ceux des États-Unis.

En conséquence, la recherche se fait ailleurs. Heureusement, l'État français dispose de moyens significatifs et de ressources humaines d’un très haut niveau. L'école et l'université françaises, ainsi que les laboratoires de recherche publique, sont une source d'innovation exceptionnelle dont les entreprises ne peuvent se priver.

Aujourd’hui, il s’agit d’accélérer ce processus. Une technologie deeptech nécessite environ dix ans pour arriver sur le marché, mais les besoins, eux, ne peuvent pas toujours attendre aussi longtemps. Nous travaillons donc sur des méthodes d’innovation pour accélérer ce transfert de compétences, par exemple avec les plateformes « lab to fab », du laboratoire à l’usine. Ces structures permettent d’intégrer des infrastructures de recherche quasiment industrielles, ce qui fait en sorte que nos technologies se développent en tenant compte des contraintes de déploiement industriel, permettant des applications plus rapides et directes.

Oui, il est donc crucial d’accélérer les liens entre recherche publique et privée. Sur un marché en constante évolution, nous ne pouvons pas attendre dix ans pour voir émerger de nouveaux produits et services.

Clara Chappaz a été nommée secrétaire d'État au numérique et à l'intelligence artificielle, rattachée pour la première fois au Ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Est-ce une bonne nouvelle ?

À mon avis, c’est une reconnaissance de l'importance du numérique et de l'intelligence artificielle comme piliers de l’avenir économique des entreprises, de la société et de l'Europe. Ces domaines sont essentiels pour accompagner la transition numérique.

Selon le rapport européen publié fin 2023 sur les « piliers de la décennie digitale » en Europe, la France a fait des progrès, mais nous restons en retard en matière de digitalisation des services et des entreprises. En ce sens, c’est donc une bonne nouvelle.

Cependant, il est important de rester vigilant : le numérique et l’IA nécessitent aussi une connexion forte avec Bercy, les finances, et les industriels. Il est crucial de maintenir ces liens pour maximiser l’impact de cette transition.