Face au dérapage du déficit public autour de 6 % du PIB en 2024, l’examen du projet de loi de finances 2025 (PLF 2025) s’annonce particulièrement explosif à l’Assemblée nationale. S’il faudra attendre le Conseil des ministres ce jeudi 10 octobre pour connaître les points saillants qui animent les débats parlementaires, nombreux sont les acteurs de la French Tech à ne pas avoir attendu cette échéance pour faire part de leurs inquiétudes alors que la fragmentation de l’hémicycle du Palais-Bourbon rend imprévisible la nouvelle trajectoire de la France en matière d’innovation.

Si l’écosystème tricolore des startups affiche ses inquiétudes au grand jour, c’est notamment parce que l’inspection générale des finances (IGF) propose de tailler 450 millions d'euros d’économies dans le crédit d'impôt recherche (CIR), qui a coûté 7,7 milliards d’euros à l’État en 2024. Une option qui donne des sueurs froides aux entrepreneurs, alors que d’autres outils clés comme le crédit d’impôt innovation (CII) et le statut de Jeune Entreprise Innovante (JEI) pourraient également pâtir d’un coup de rabot décidé par les parlementaires pour réduire les dépenses publiques.

CIR, CII et JEI, le triptyque incontournable dans la French Tech

L’enjeu est de taille pour l’écosystème tech français alors que 58 % des startups tricolores ont recours au CIR, rappelle France Digitale. Accessible aux entreprises de toute taille, et donc également aux grands groupes, ce dispositif permet de bénéficier d’un crédit d’impôt représentant 30 % des dépenses engagées jusqu’à 100 millions d’euros, et de 5 % au-delà des 100 millions d’euros. «Réduire le CIR, c’est ralentir le développement d’innovations. Dès lors que l’on touche à l’assiette du CIR, on impacte toutes les entreprises dès le premier euro», s’inquiète Frédéric Girard, le président de France Biotech. Et de poursuivre : «Parmi les healthtechs, 95 % ont recours au CIR, qui représente 10 à 20 % de leurs dépenses d’exploitation. Or nous observons qu’elles n’ont en moyenne que six à douze mois de trésorerie en moyenne. Par conséquent, le CIR représente deux mois de trésorerie. C’est un dispositif crucial.»

Outre le CIR, nombreuses sont les startups à s’appuyer également sur le crédit d’impôt innovation, qui s’élève à 30 % du montant des dépenses engagées (jusqu’à 400 000 euros) pour les PME cherchant à développer un prototype avant la phase de R&D. Cette disposition fiscale rencontre également un fort succès, avec 45 % des jeunes pousses qui en bénéficient d’après France Digitale. Quant au statut JEI, 49 % des startups françaises - celles qui ont moins de 250 salariés et moins de huit ans d’existence avec un chiffre d’affaires inférieur à 50 millions d’euros - y ont recours.

«Supprimer le CIR viendrait casser une dynamique d’attractivité d’une décennie»

Face au succès de ces dispositifs, France Digitale s’inquiète des conséquences d’une revue à la baisse de ces niches fiscales stratégiques pour la French Tech. «Si on remet en cause le CIR, le CII ou le JEI, cela veut dire que nous n’avons plus pour priorité de créer des pépites innovantes en France. Ces trois dispositifs ont largement contribué à faire de l’écosystème ce qu’il est aujourd’hui», souligne Marianne Tordeux Bitker, directrice des affaires publiques de l’association défendant les intérêts des startups françaises et européennes. «Remettre en cause les fondamentaux de la politique d’innovation comme le CIR, ce serait complètement improductif. Réduire les dépenses publiques n’a de sens que si nous avons des relais de croissance efficaces. Or en supprimant le CIR, cela viendrait casser une dynamique d’attractivité d’une décennie», ajoute-t-elle.

Pour Paul Midy, député Renaissance de l'Essonne (Paris-Saclay) et auteur d’un rapport sur le financement des startups et PME innovantes largement salué par l’écosystème, il est hors de question de sacrifier le CIR sur l’autel de l’austérité pour faire rentrer le dérapage du déficit public dans les clous réglementaires de Bruxelles. «En l'état, je ne pourrai pas voter un budget qui s'appuierait sur des hausses massives d'impôts sur les entreprises, au détriment de l'investissement dans l'innovation, les startups et les PME innovantes, qui sont notre premier moteur de création d’emplois», assure le parlementaire auprès de Maddyness. Avant d’approfondir sa pensée : «Une suppression des aides à l'innovation comme le dispositif Jeune Entreprise Innovante (JEI) serait une catastrophe pour tout l’écosystème de la French Tech. J’ai déjà alerté le gouvernement, et je serai extrêmement vigilant au Parlement sur ces enjeux.»

Un marathon parlementaire qui va débuter par un sprint

Dans une Assemblée nationale fragmentée comme jamais auparavant, Paul Midy et les 576 autres députés français se préparent à un automne long et particulièrement animé dans l’hémicyle, alors que l’examen de la première partie du budget, portant sur les recettes, doit débuter le 21 octobre prochain. Mais en réalité, c’est une véritable course contre la montre qui va s’engager dès cette semaine.

«Le timing est très serré. Après la présentation du projet de loi en conseil des ministres, il n’y aura que 48 à 72 heures pour préparer les amendements. Leur recevabilité sera examinée ce week-end et elles seront ensuite débattues au travers des différentes commissions dès la semaine prochaine», indique un observateur avisé de l’écosystème. «Historiquement, personne n’a voulu toucher au CIR car cela implique de resoumettre ce dispositif à l’approbation de l’Union européenne. Il vaut mieux une vraie réforme qu’un coup de rabot. Tout ce qu’on rabote aujourd’hui, c’est un retard que l’on prend demain et que nous ne pourrons jamais rattraper», ajoute cette même source.

France Digitale propose des pistes pour faire 850 millions d’économies

Néanmoins, conscient qu’il y a peu de chance que le CIR, le CII et le JEI soient des dispositifs épargnés par les réductions de dépenses publiques souhaitées par Matignon et le Palais-Bourbon, France Digitale a livré quelques pistes de réflexion pour aboutir à 850 millions d’euros d’économies. Si l’organisation souhaite évidemment qu’aucun de ces trois dispositifs ne soit supprimé, elle propose par exemple d’exclure la veille technologique des dépenses éligibles au CIR pour économiser 250 millions d’euros ou encore de supprimer le bénéfice du CIR pour les dépenses supérieures à 100 millions d’euros pour sauver 400 millions d’euros supplémentaires dans les caisses publiques.

Avec de telles mesures, France Digitale estime ainsi qu’il est possible de consentir un effort raisonnable pour réduire le déficit public, sans pour autant compromettre le potentiel de compétitivité et d’attractivité de l’écosystème tricolore. Mais il s’agit d’un équilibre subtil qui ne sera pas simple à conserver. «Le vrai risque pour l’écosystème, c’est la perte de boussole globale en matière de politique économique. Je n’ai pas vraiment compris quel était le fil rouge. Mais j’espère qu’il y aura une cohérence dans ce projet de loi de finances. Car si on maintient le CIR et que l’on supprime un autre dispositif, ce ne sera pas clair. Déshabiller Paul pour habiller Jacques, ça ne me paraît pas très judicieux», estime Marianne Tordeux Bitker, qui représente France Digitale au Conseil économique social et environnemental (CESE).

Vers un nouveau mouvement des Pigeons ?

En attendant l’issue incertaine de cet automne parlementaire agité, chaque camp affûte ses armes pour défendre son territoire. Et au-delà de ce projet de loi cruciale pour les dépenses publiques de l’État en 2025, c’est tout l’héritage du plan France 2030, fortement axé sur la deeptech et l’industrie, qui est en jeu.

Face à l’éventualité d’un changement de braquet brutal, certaines forces vives de la French Tech s’organisent. De là à imaginer la création d’un nouveau mouvement des Pigeons, douze ans après le premier, il n’y a qu’un petit pas à franchir au vu de la petite musique qui monte ces dernières semaines dans l’écosystème.