Maddyness : Que pensez-vous des premiers papiers de la série ? 

Ion Leahu Aluas : Plusieurs des constats établis dans les précédents papiers ont résonné en moi. Je pense notamment au fait que le software occupe le devant de la scène au détriment du hardware, à la nécessité de penser « Europe » très tôt dans sa phase de développement, et au retard que nous avons pris sur les Etats-Unis et la Chine en termes d’abondance de fonds dédiés à l’innovation. Mais c’est surtout la philosophie de la série qui m’a beaucoup plu ! Rendre vivant et passionnant un univers qui, jusqu’à présent, a pu en rebuter certains. A quand un « Hardware Maddy Club » ou un événement dédié pour continuer encore l’enchantement ?!

M : Comment percevez-vous le hardware aujourd'hui en France d'ailleurs ? Notamment sur votre secteur ?

I.L.A : C’est une véritable course d’obstacles. En Europe, à part quelques industriels pure-players, rares sont les investisseurs prêts à s’engager dans des longs cycles de développement et à prendre des risques technologiques. Pour une jeune entreprise, les options sont donc limitées. Soit elle dispose de capitaux personnels conséquents. Soit elle séduit un fonds infra qui a une vision long terme, mais qui sera néanmoins plus enclin à investir dans des technologies matures.

Ce qui m’a frappé dans le hardware, c’est le désalignement en matière d’horizon temporel entre l’entrepreneur et l’investisseur. Et pourtant c’est comme dans la « vraie vie », un mariage sera rarement heureux si on ne se met pas d’accord sur les grandes étapes à franchir. C’est donc la pédagogie qui est clé. Prendre le temps d’exposer ses enjeux, ses contraintes et ses leviers de croissance, sera déterminant pour ne pas s’unir avec un partenaire financier qui ne partage pas la « mentalité » hardware.

Si je zoome sur le secteur où Driveco évolue, le hardware est absolument crucial. Sans bornes fiables et performantes, la démocratisation des véhicules électriques est impossible. Pourtant, convaincre les investisseurs de l'importance de ces infrastructures a longtemps été un défi. A nos débuts, beaucoup préféraient les projets à cycles courts et retours sur investissement rapides, sous-estimant tant la complexité que le potentiel de nos technologies.

Nous avons ensuite eu la chance d'attirer des investisseurs remarquables comme Mirova, et plus récemment APG. Et aussi d’être soutenus par l'Europe grâce à des subventions pour l'innovation. Investir dans le hardware pour la mobilité électrique, ce n'est pas seulement une question de technologie, mais c’est surtout une vision : construire la mobilité de demain, décarbonée, électrique et accessible à tous, pour lutter contre le dérèglement climatique.

M : Comment re-vivifier notre tissu industriel selon vous ? Quels seraient les leviers pour notre pays ? 

I.L.A : Revitaliser notre industrie passe par une transformation culturelle où la prise de risque devient la norme. Ayant vécu en Europe et aux États-Unis, je suis frappé par la différence de culture entrepreneuriale entre les deux continents. En Europe, l'aversion au risque freine notre capacité à investir et à innover. Pourtant, le risque est sain, rémunérateur et atténué par de nombreuses options de sorties pour les entrepreneurs et les investisseurs.

Nous gagnerions à nous inspirer de nos voisins outre-Atlantique. Prenons Tesla par exemple : ils innovent et mettent leurs produits sur le marché à une vitesse record, acceptant l'imperfection initiale pour ensuite les améliorer grâce aux retours d'expérience des clients. Ils s'adaptent !
De manière générale, les entrepreneurs ont besoin d’un cadre clair, agile et constant. Assouplir certaines lourdeurs administratives serait bénéfique pour dynamiser notre tissu industriel. Des milliers d'Européens veulent construire des usines ou des infrastructures d’énergie renouvelable, mais comment répondre aux enjeux actuels si obtenir des autorisations prend des années ? On ne peut pas changer le monde en attendant 30 ans pour agir. Les entreprises américaines et chinoises l'ont bien compris et sont en train de nous distancer. Il est temps pour nous d'accélérer tout en gardant une approche équilibrée en considérant les dimensions environnementales et sociales.

Enfin, une fois de plus, je suis convaincu que la pédagogie est la clé. Chaque fois que nos responsables publics se rendent sur le terrain, confrontés aux réalités des entrepreneurs et des citoyens, ils comprennent mieux les enjeux et sont mieux armés pour agir. Je les encourage à poursuivre ces démarches !

M : Quels conseils pouvez-vous donner à un entrepreneur qui veut se lancer dans le hardware ?

I.L.A : Un mentor m’a conseillé un jour de suivre la stratégie des 3 P, et jusqu’à présent elle m’a plutôt bien réussi !

Patience, car le parcours dans le hardware est semé de défis techniques et de délais souvent imprévisibles. Construire quelque chose de tangible nécessite une grande tolérance à la frustration et une aptitude à se remettre en question.
Passion, car c'est le moteur qui m’a porté à travers les hauts et les bas de mon aventure entrepreneuriale. C'est cette flamme intérieure qui nous fait rester debout tard la nuit, résoudre des problèmes complexes et rester motivé même quand les choses semblent stagnantes. La passion est une source d’énergie inépuisable.
Et enfin, persévérance, car même les plus petits pas dans la bonne direction comptent. Comme en alpinisme, quand bien même le progrès est lent, chaque effort vous rapproche du sommet.
En bonus, je dirais qu’il est vital d’apprendre à naviguer dans l’administration européenne. L’Europe a montré des signes forts pour favoriser la réindustrialisation, ouvrant ainsi de nouvelles opportunités pour les entrepreneurs. Il existe une multitude de sources de financements et la principale difficulté est de savoir comment les obtenir. Comprendre ces mécanismes peut transformer une idée prometteuse en un projet viable !

M : Un message à faire passer à l’écosystème ? 

I.L.A : Depuis plusieurs années, nous assistons à une véritable révolution tech, avec un vent de fraicheur sur l’innovation en France. Je me réjouis de voir qu’on ne parle plus uniquement des grands groupes, mais aussi des nombreuses scale-ups, PME et ETI qui font la richesse de notre économie. Elles sont de solides viviers de talents, moteurs d’emploi et d’idées novatrices.
Pour tous les ingénieurs et entrepreneurs, la France est un terrain extrêmement fertile. Je suis persuadé que nous n’avons pas encore pleinement exploité notre potentiel technologique et industriel.
Alors que le luxe à la française est plébiscité aux quatre coins du globe et que ses entrepreneurs sont devenus des icônes, il est temps de faire rayonner notre modèle industriel de nouveau et d’inspirer à notre tour le monde entier.