En pleine recomposition de l’échiquier politique à Bruxelles, France Digitale, avec l’appui de 32 organisations (Euratechnologies, Allied for Startups, Dutch Startup Association, Italian Tech Alliance, Startup Portugal…) défendant les intérêts des startups dans 20 pays européens, lève le voile sur la deuxième édition du LETS (Leading European Tech Scaleups). Cette cartographie met en avant les pépites européennes fondées après 2000 qui réalisent au moins 10 millions d’euros de chiffres d’affaires et commercialisent leurs produits et services innovants au-delà de leur marché d’origine. Cette année, ce sont 251 entreprises innovantes du Vieux Continent qui sont à l’honneur, contre 135 l’an passé pour le lancement de ce mapping.
Sur ce dernier, la délégation française est largement la plus représentée, avec 80 entreprises identifiées, dont des noms bien connus de la French Tech, comme BlaBlaCar, Back Market, Doctolib, Devialet, EcoVadis, Electra, Ledger, Mirakl, Malt, Swile, Withings ou encore Vestiaire Collective. Les Pays-Bas, avec 40 sociétés retenues, et le Royaume-Uni, avec 33 acteurs sélectionnés, complètent le podium. A noter que certains comme l’Allemagne sont sous-représentés en raison d’informations sur les revenus indisponibles dans le domaine public.
60 % des entreprises retenues sont rentables
Parmi les enseignements de cette deuxième cuvée du LETS, qui est basée sur des informations déclaratives et des informations publiquement disponibles (Dealroom, LinkedIn, presse, sites spécialisés, rapports d'entreprises…), on peut voir que 70 % des champions européens identifiés, soit 174 entreprises, ont des clients en dehors de l’Europe. Dans ce cadre, les États-Unis sont plébiscités, devant le Japon et l’Australie. En Europe, ce sont le Royaume-Uni et l’Allemagne qui sont principalement visés.
Pour se développer à l’international, deux voies sont privilégiées : soit en commençant par s’étendre aux pays voisins avant de traverser l’Atlantique, notamment dans les industries des logiciels, de la finance et de la santé, soit en passant directement du marché domestique aux États-Unis. Cette deuxième option est notamment courante dans les secteurs des jeux, de l’industrie et des services, où les entreprises sont par définition mondiales dès leur création. En revanche, les secteurs impliquant une logistique du dernier kilomètre, comme l’e-commerce, les transports et l'énergie, sont plus compliqués à exporter au-delà du Vieux Continent.
A l’heure où la crise du financement de la tech continue de sévir, sauf dans l’IA générative qui devient une véritable bulle, on notera que les sociétés retenues dans cette cartographie affichent une croissance assez saine et durable. En effet, 60 % d’entre elles sont déjà rentables, et les 40 % restants prévoient d’être profitables au cours des trois prochaines années. Une bonne santé financière qui se répercute sur le marché de l’emploi : les entreprises du LETS comptent en moyenne 415 salariés et la plupart d’entre elles souhaitent étoffer leurs effectifs dans les prochains mois.
La fragmentation, talon d’Achille des pépites de la tech européenne
Si ce mapping donne un aperçu positif des capacités de développement de 251 champions européens de la tech, il existe toutefois quelques bémols. Si la plupart arrivent à s’étendre dans plusieurs pays européens et même à tenter leur chance sur le marché américain, très peu parviennent à couvrir l’ensemble du Vieux Continent. Un échec partiel que France Digitale impute à la fragmentation de l’Europe, toujours composée de plus de 27 marchés différents, chacun avec ses propres règles.
Ainsi, les délais d’ouverture d’un pays européen varient considérablement : de 3 mois à 3 ans ! La finance et la santé sont les secteurs qui subissent les effets les plus négatifs de cette fragmentation. «Le marché européen est sous-exploité. Dans le même temps, il y a beaucoup moins de bureaucratie et moins de barrières culturelles et linguistiques aux États-Unis. C’est l’un des constats du rapport Draghi», analyse Agata Hidalgo, qui s’occupe des affaires européennes chez France Digitale.
Un 28e régime pour enfin mettre en place un marché unique européen ?
Devant ce constat, l’organisation tricolore espère que la nouvelle équipe de la Commission européenne prendra le problème à bras le corps. «Nous proposons l’introduction d’un 28e régime pour les entreprises innovantes afin qu’elles puissent scaler plus vite, partout en Europe. Pour rappel, c’est un marché de 480 millions d’habitants, plus gros que les États-Unis», relève Maya Noël, directrice générale de France Digitale. Une telle mesure permettrait en effet aux entreprises européennes d'effectuer des procédures administratives une seule fois pour l'ensemble du marché unique du Vieux Continent. L’élimination des coûts de transaction transfrontaliers pour les investissements en actions, de manière à faire grimper la liquidité des marchés financiers européens, est également une piste avancée par France Digitale.
Maintenant qu’Ursula von der Leyen a dévoilé la liste des nouveaux commissaires européens, France Digitale a désormais plus de visibilité pour préparer ses prochaines batailles à Bruxelles. Et si Thierry Breton, le commissaire au Marché intérieur, a quitté avec fracas la Commission européenne, en raison de sa relation houleuse avec Ursula von der Leyen, la France aura cependant un représentant influent en la personne de Stéphane Séjourné, ministre démissionnaire des Affaires étrangères, qui a obtenu un important portefeuille dédié à la prospérité et à la stratégie industrielle.
Néanmoins, France Digitale devra répartir ses efforts puisque les sujets touchant au numérique et à l’innovation ne seront pas réunis dans un seul portefeuille. «Ce n’est pas une mauvaise chose que les sujets soient répartis auprès de plusieurs personnes. Stéphane Séjourné détient l’économie et l’industrie, tandis que la data, l’IA et le quantique seront gérés par un autre commissaire. Cela permet d’avoir plusieurs canaux de communication. De manière générale, les choses évoluent dans le bon sens. Il y a eu une véritable prise de conscience. Il y a quelques années, les propos comme ceux de Mario Draghi n’étaient pas imaginables», se réjouit Maya Noël. En effet, l’ancien président de la Banque centrale européenne (BCE) n’a pas hésité à jeter un pavé dans la marre, en recommandant dans son rapport d’alléger les contraintes de la directive sur le reporting de la durabilité (CSRD) et celle sur le devoir de vigilance (CSDDD), qui constituent un fardeau administratif pour les entreprises à ses yeux. Des préconisations fortes pour renforcer une Europe qui se montre souvent trop timide face aux États-Unis et la Chine.