Maddyness : Qu'est-ce qui vous a motivé à opter pour une stratégie de build-up plutôt que de créer une entreprise de zéro, et quels bénéfices en avez-vous tirés ?

Mickaël Cabrol : Je suis entrepreneur depuis une quinzaine d’années et j’ai eu la chance de créer et revendre deux sociétés en partant d’une feuille blanche.

Créer une boite est une aventure absolument extraordinaire mais il ne faut pas sous-estimer l’inertie initiale quasiment incompressible pour que l’activité soit sur de bonnes bases : développement d’une V1 de l’offre ou du produit, recrutement de l’équipe clef, product market fit, premiers clients, etc.

Que ce soit sur les entreprises que j’ai lancées ou celles où j’ai pu investir, j’ai constaté qu’il faut en général entre 2 et 3 ans pour atteindre un modèle prêt à scaler (quand tout se passe bien !) Il est très rare de trouver la bonne formule en quelques mois et c’est pourtant ce que je recherchais pour ma nouvelle aventure entrepreneuriale.

J’ai donc commencé à m’intéresser à des modèles différents qui permettent d’arriver rapidement à une taille critique et la constitution d’un Groupe par croissance externe répond parfaitement à cette équation.

Dans le cas d’Enersweet nous parlons d’un « build-up » car nous avons pour ambition de réaliser 2 à 3 acquisitions par an sur les 5 prochaines années : notre modèle de développement repose donc sur l’acquisition et l’intégration de sociétés et nous avons déjà réalisé 3 opérations depuis notre lancement en juillet 2023. Ce modèle de développement a fait ses preuves et de nombreux groupes se sont historiquement constitués de cette façon : LVMH en est probablement le meilleur exemple !

Le principal avantage de cette stratégie réside je pense dans la capacité à créer des leaders sectoriels et atteindre beaucoup plus rapidement une taille critique. En d’autres termes, on peut faire en quelques années avec un build-up ce qui nécessiterait probablement une décennie en développement organique.

M : Quels sont les critères clés que vous utilisez pour identifier et sélectionner les entreprises à racheter dans le cadre de votre build-up ?

M.C : Avant de se lancer dans un build-up, il est primordial de bien choisir le secteur dans lequel on va réaliser des opérations de rachat. Il y a je pense deux critères très importants dans ce choix : la dynamique du marché et le nombre de cibles potentielles.

Le premier critère semble assez évident mais il n’est pas à sous-estimer. La réussite d’un build-up réside également dans la capacité à générer de la croissance organique avec les sociétés rachetées, raison pour laquelle il faut cibler des marchés qui offrent des perspectives de croissance à long terme.

Quant à la densité du marché c’est un critère essentiel : en partant du postulat que 95 % des sociétés approchées ne vont pas être intéressées par une opération de rachat, il vaut mieux adresser un marché avec un « réservoir » de cibles conséquent !

Pour ce qui est des critères utilisés pour sélectionner les entreprises à racheter, ils sont finalement assez proches de ceux utilisés dans le cadre d’un investissement : qualité de l’équipe, barrières à l’entrée et position sur le marché, diversité et rétention du portefeuille client, nature et récurrence des revenus, performances historiques, niveau d’Ebitda, etc.

Le seul critère vraiment spécifique dans notre approche est peut-être celui de l’actionnariat. Nous ciblons en effet des sociétés qui sont détenues majoritairement par leur dirigeant et idéalement sans présence de fonds d’investissement au capital. Nous n’avons rien contre eux, mais d’expérience, la relation directe avec le dirigeant fondateur facilite grandement les discussions et les intérêts sont plus rapidement alignés pour converger vers un deal.

Une fois que nous avons une vision claire sur les cibles à adresser, il n’y a plus qu’à chercher !

Nous privilégions naturellement les approches directes et il faut pour cela se constituer et maintenir à jour une base de cibles, en faisant des recherches sectorielles ou en utilisant par exemples les bases Sirene qui sont en libre accès.

Entretenir le réseau M&A (banques d’affaires, intermédiaires, etc.) est également un enjeu important quand on réalise un build-up et il faut être identifié sur le marché comme un acteur « à l’achat » sur son secteur.

M : Pouvez-vous partager des exemples concrets de défis rencontrés lors de l'intégration de nouvelles acquisitions et comment les avez-vous surmontés ?

L’intégration est clairement le principal défi que l’on va rencontrer dans un modèle de développement par croissance externe ! Il y a deux approches possibles à ce sujet : intégrer les sociétés à 100 % afin de ne constituer qu’une seule entité ou bien garder chaque société autonome et indépendante au sein du Groupe.

Nous avons de notre côté opté pour la seconde option, tout en ayant une démarche pro-active pour créer des ponts et des synergies entre les différentes sociétés du Groupe. La holding de contrôle a ainsi une responsabilité forte dans le processus d’intégration et nous avons fait le choix de constituer une équipe transverse (direction générale, commerciale, administrative et marketing) afin d’accompagner au quotidien les équipes opérationnelles des sociétés rachetées.

L’accès à la data et le reporting font en général partie des premiers chantiers à mener dans le cadre d’un build-up. On n’a en effet pas les mêmes besoins quand on dirige seul son entreprise depuis 10 ans et quand on souhaite constituer un Groupe constitué de plusieurs entités.
Il est donc très important de fiabiliser la data et s’assurer que tout le monde parle le même langage au sein du Groupe.

Et il y a évidemment l’enjeu de culture d’entreprise, chaque société étant par essence unique à ce sujet ! Le fait de garder les entités autonomes permet de conserver l’ADN des sociétés, mais il est important d’insuffler une culture « Groupe » afin de créer du liant et assurer une intégration réussie à long terme.

M : Comment financez-vous ces acquisitions et quels conseils donneriez-vous aux entrepreneurs pour lever des fonds pour un build-up ? Quels sont les modèles que vous utilisez ?

Cela semble assez évident, mais il est beaucoup plus simple de racheter des sociétés qui sont rentables. On peut ainsi mettre en place un modèle de financement de type LBO (leverage buy-out) et financer la dette avec les résultats futurs de la société rachetée.

Une règle communément admise sur le marché est que l’on peut s’endetter jusqu’à trois fois son Ebitda. Le solde nécessaire à la transaction est donc à apporter en fonds propres afin de boucler le financement des opérations. Dans le cadre d’Enersweet, nous n’avons pas fait appel à des partenaires financiers pour les fonds propres car nous avons les capacités de financer nos opérations. Mais le fait de ne pas disposer de fonds propres ne doit pas être un frein pour les entrepreneurs qui souhaitent réaliser un build-up ou reprendre une société !

Par exemple, il est possible de s’associer avec un fonds d’investissement qui apportera l’equity nécessaire au financement de l’opération en échange de la détention d’une partie du capital. Il faut alors s’accorder avec le partenaire financier sur un mécanisme de relution (par exemple un « management package ») qui permettra à l’entrepreneur de bénéficier d’un partage favorable de la création de valeur à la sortie en fonction des performances futures de la ou des cibles rachetées.

On peut également proposer au cédant un « crédit vendeur », afin de lui payer une partie de ses titres au bout de 5 ou 7 ans, moyennant un intérêt qui lui sera versé annuellement.

Quel que soit le mode de financement retenu, il est important pour l’entrepreneur de distinguer les multiples de valorisation retenus dans le rachat des cibles et celui appliqué au niveau du Groupe, qui sera nécessairement plus élevé compte tenu de la taille critique qui est atteinte.

Pour ce qui est du financement de la dette, il y a globalement deux options possibles.

La première consiste à faire appel à des partenaires bancaires traditionnels, qui peuvent notamment être la banque historique de la société cible. Les conditions de financement sont généralement assez favorables mais il faut renouveler la démarche pour chaque nouvelle opération, ce qui peut s’avérer très chronophage.

La seconde option est de faire appel à des « unitrancheurs », avec lesquels on va s’accorder sur le financement global du build-up. Le coût est nécessairement plus important, mais permet d’être beaucoup plus réactif pour chaque nouvelle opération et ne pas avoir de conditions suspensives de financement auprès des sociétés cibles, ce qui peut parfois s’avérer décisif pour emporter un deal !

Le choix de l’un ou l’autre des modèles va in fine dépendre du cadencement des rachats que souhaite réaliser l’entrepreneur, et il reste naturellement possible de basculer d’une option à l’autre en cours de route.

M : Quels sont, selon vous, les éléments essentiels pour réussir un build-up et créer de la valeur à long terme pour l'ensemble des parties prenantes ?

M.C : Comme je l’ai indiqué précédemment, il me semble très important de bien cibler son marché avant de lancer les premières acquisitions. Cela va de soi, mais si l’on s’aperçoit au bout de 2 opérations qu’il n’y a plus de cibles potentielles à adresser, on va avoir du mal à déployer son build-up !

Je pense qu’il faut également avoir une vision claire du projet capitalistique à long terme : on ne va pas avoir la même stratégie si l’on vise une sortie industrielle ou financière ou si l’on souhaite à contrario développer un projet patrimonial en gardant le contrôle du capital.

Enfin, il me semble essentiel d’accorder une grande importance à la relation avec les cédants des sociétés rachetées. Qu’ils restent ou non associés au capital de leur société, leur savoir-faire et accompagnement est clef dans la réussite des opérations et la création de valeur à long-terme.