Difficile de freiner l'enthousiasme des fondateurs de startups qui, portés par leur enthousiasme et leur vision, peuvent avoir envie de révéler le potentiel de leur projet et, parfois même, de céder à la "folie des grandeurs" en sur-évaluant leur business.

Coralie Oger, Managing partner en charge du M&A chez Scotto Partners - un cabinet particulièrement reconnu en Management package notamment dans le LBO et dans les opérations de haut de bilan - conseillerait instinctivement d’en dire le moins possible en prenant en compte plusieurs types de considérations, à commencer par les considérations contractuelles. Et pour cause, avant de savoir s’il faut le faire, encore faut-il savoir si le droit nous y autorise. « Juridiquement rien ne contraint un entrepreneur à révéler sa valorisation. Mais il faut regarder les garanties contractuelles. La première question à se poser c’est “est ce que j’ai signé des accords de non divulgations (NDA) ? Que dit le protocole d’investissement et que me dit la clause de confidentialité ? Ai-je le droit de la révéler ?” »

Cet aspect contractuel vérifié, elle invite tout de même les dirigeants à la plus grandes précautions. « Malheureusement ces précautions ne vont pas de paire avec une bonne communication. C’est la raison pour laquelle, à l’occasion d’une levée on n’a généralement que le montant, explique-t-elle avant de poursuivre, il doit y avoir une granularité de l’info qui varie selon le degré de maturité. Il est crucial de ne pas susciter de fausses attentes. Que ce soit auprès des employés, des investisseurs ou des établissements financiers, il est évidemment primordial que chacun se sente respecté et informé de manière transparente, mais dans toute communication à grande échelle, la vigilance est de mise pour éviter de créer des espoirs déçus. »

En seed, privilégier le pourcentage de dilution

Plusieurs méthodes de calcul de la valorisation existent et chacune présente ses avantages et ses inconvénients. Il y a celles qui évaluent la valeur d'une entreprise en fonction de ses fondamentaux, c'est-à-dire de sa capacité à générer des cash-flows futurs, celles qui comparent la startup à des entreprises similaires cotées en bourse ou à des transactions récentes ou encore celles qui combinent les deux. Évidemment, le stade de développement de la startup, son potentiel de croissance, la taille du marché, la présence de barrières à l'entrée, la qualité de l’équipe ou encore le contexte économique, sont autant de facteurs extérieurs qui influent sur la valorisation.

De plus en plus présent dans l'écosystème des startups, The Moon Venture se positionne comme un accélérateur et un investisseur de premier plan pour les startups early stages. Chaque année, ce club d’investisseurs fondé par Matthieu Jarry à Rennes en 2018, sélectionne et accompagne sur-mesure une dizaine de startups parmi plus de 1.000 startups rencontrées : celles qui présentent le plus fort potentiel.

Flamine Deschamps, responsable analyse et sourcing chez The Moon Venture, souligne l'importance cruciale de la valorisation dès les premiers échanges : « Bien que les startups n'indiquent généralement pas leur valorisation sur leur pitch deck - et c’est une bonne chose, qui plus est lorsqu’on a encore rien de concret sur lequel baser ses calculs- , c'est une question que nous posons systématiquement. La réponse, exprimée souvent en termes de dilution (généralement entre 18 et 25 % à ce stade de seed), nous donne un premier indicateur. De plus, les études de marché, comme celles d'Avolta Partners, fournissent des benchmarks précieux en termes de multiples et de valorisation d'entrée en fonction des secteurs. Ces données nous permettent d'affiner notre analyse et d'engager un dialogue constructif avec les équipes. »

Adapter sa stratégie en fonction des interlocuteurs

Comme le souligne la responsable analyse et sourcing, la transparence dès les premiers échanges est essentielle pour engager une levée de fonds réussie. En communiquant une fourchette de valorisation ou un pourcentage de dilution dès le premier rendez-vous, la startup démontre une bonne maîtrise de son projet et facilite l'amorce de négociations constructives. « Au second rendez-vous, il faut rentrer dans le dur. Et pour cause, si on est pas capable de se mettre d’accord la-dessus, autant arrêter tout de suite les échanges. Nous négocions la valorisation pour le compte des investisseurs et la startup ne les rencontrera pas tant que nous ne nous sommes pas mis d’accord sur ce point. En revanche, révéler sa valorisation dans le cadre d’un pitch, d’un événement, devant un panel d’investisseurs ne me semble pas pertinent. La startup s’expose à des négociations hâtives et potentiellement désavantageuses. C’est prendre le risque de se voir déstabilisé et de perdre confiance. Il est préférable de créer un cadre privilégié pour discuter de manière personnalisée des attentes de chaque partie. »


Une vision partagée par Coralie Oger, « À l’occasion de pitchs ou face à un fonds, il faut être très vigilants et anticiper cette question. D’autant plus si vous avez déjà réalisé une belle levée et que le marché a rectifié. La startup va être challengée et doit pouvoir justifier son activité. C’est assez courant ces temps-ci. Tout l’enjeu de la révélation de la valorisation est là. Vous ne pourrez pas totalement l’occulter. En revanche, à l’occasion du due diligence, il faut bien l’encadrer pour que l’information ne sorte pas de partout. Être transparent sans griller ses futures cartouches. »

La Managing Partner ajoute qu’il est par ailleurs préférable de ne pas révéler cette information à son banquier : « Une levée de fonds peut instaurer un certain degré confiance chez votre banquier. Lui dire après coup que vos actionnaires voient finalement une valorisation moindre n’est pas un bon message si vous voulez aller ensuite chercher du non dilutif. Évidemment cette réalité varie en fonction du stade de développement de la startup. Grosso Modo, s’il vous la demande, mieux vaut être transparent, mais s’il ne vous la demande pas et que la tendance est baissière, il est préférable qu’il ne l’apprenne pas dans la presse. »

Outre la stratégie de communication envers ses potentiels actionnaires, la Managing partner de Scotto Partners invite également les dirigeants à réfléchir au message qu’ils souhaitent envoyer au marché. « En prévision d’une sortie, il est préférable de garder l’information secrète pour vendre un peu du rêve et faire une plus value. Les enjeux ont tendance à diminuer à mesure que la boite devient mature, mais j’éviterais tout de même de rendre cette information public même à stade mature. »

Les défis de la communication interne

Le jeu d’équilibriste se poursuit lorsque le dirigeant d’une startup doit faire face à la curiosité de ses employés. « La complexité ici, réside dans la croissance rapide des startups qui oblige souvent à recruter rapidement et limite de fait la connaissance approfondie de chaque employé. Ce contexte impose une double exigence : préserver la confidentialité tout en favorisant la transparence et indirectement la motivation, notamment lors de la mise en place de plans comme les BSPCE. Mais, rappelons-le, à un stade seed, la valorisation ne veut rien dire. »

Coralie Oger complète le propos : « Une belle valorisation peut créer des attentes chez certains salariés, bien que celle-ci ne soit pas crantée puisqu’il s’agit à priori d’une valorisation de levée de fonds et non pas de sortie. C’est donc une valorisation intermédiaire. Je pense à ceux qui ont levé des fonds en 2021, quand le marché était euphorique et qui ont ensuite vu leur valorisation réévaluée à la baisse. Conserver la motivation des employés qui avaient cette information n’a pas dû être évident. »