Le marché du travail évolue de plus en plus vite sous l’effet des deux grandes transitions : le numérique et l’intelligence artificielle d’une part, la transition vers une économie décarbonée d’autre part. L’une comme l’autre font apparaître de nouveaux métiers - spécialistes en cybersécurité, chefs de projet en rénovation énergétique, techniciens de maintenance des véhicules électriques… - et opèrent une contraction de l’emploi sur d’autres métiers - caissiers, traders, installateurs de chaudières fioul…

Dans le même temps, les aspirations des individus se déplacent : la quête de sens, le désir d’un travail aux résultats tangibles où l’on se sent « utile », la recherche de plus d’autonomie.

Ainsi en 2024, plus de la moitié des actifs pensent à changer d’emploi, et 20% sont persuadés qu’ils exerceront un autre métier d’ici 5 ans.

Mais la reconversion peut apparaître comme anxiogène : le sentiment de repartir à zéro, de perdre une partie de son identité, la peur de l’échec. Il me semble au contraire que c’est une formidable opportunité. L’occasion pour certains de quitter un emploi qui les épanouit peu (« bullshit job », management toxique…). L’occasion d’un renouveau personnel, la prise de recul sur ses désirs profonds, la rencontre de nouvelles personnes. L’occasion d’amener à un secteur toute la richesse de son histoire et de son bagage professionnel. Et enfin, un moyen d’en finir avec la pression qu’on a coutume de faire peser en France sur la formation initiale - un choix qu’on fait entre 16 et 20 ans et qui devrait déterminer les 40 années de notre vie professionnelle.

Si un actif sur trois dit avoir connu une transition professionnelle dans l’année, le fait marquant des dernières années est le recours croissant à la formation : chaque année désormais, près d’un actif sur dix se forme dans le cadre d’une reconversion.

Mais pour que chacun puisse régulièrement se reconvertir au cours de sa carrière, il faut repenser les modèles de formation. Des adultes - qui ont une famille à faire vivre, des emprunts à rembourser – peuvent difficilement se permettre d’y passer plusieurs années. Et pour beaucoup, l’idée de revenir « sur les bancs de l’école » est plutôt un repoussoir, soit que l’enseignement scolaire leur ait laissé des souvenirs épidermiques, soit qu’ils sentent que leur cerveau n’a plus la plasticité de ses 20 ans.

Il faut donc des formations courtes, ultra professionnalisantes, aux pédagogies adaptées.

L’innovation est d’abord venue de la tech, dans un contexte de pénurie de développeurs. Les premiers « bootcamps » de code sont nés aux US et en Europe en 2012-2013, reprenant le nom de ces préparations physiques et mentales des militaires pour traduire d’une part l’idée d’un format ultra intensif, et d’autre part l’idée qu’on y apprend surtout à s’adapter aux situations futures. On y apprend à apprendre. Depuis 2013, Le Wagon propose par exemple un cursus de 9 semaines pour apprendre à coder. La pédagogie repose sur des exercices, collectifs et guidés, qui permettent de comprendre en faisant. L’expérience exceptionnelle est saluée par les retours dithyrambiques des apprenants.

Ce modèle nous a inspirés avec Côme pour répondre à la pénurie de centaines de milliers de professionnels dans la rénovation énergétique des bâtiments. En quelques mois, La Solive forme des adultes à des métiers techniques, et 9 sur 10 ont un emploi à la sortie. Cela suppose de travailler avec les entreprises du secteur pour concentrer l’apprentissage sur les compétences indispensables. Puis de s’assurer que chaque heure de formation est vraiment utile à l’apprenant. Ainsi un futur chef de projet en rénovation énergétique va enquêter sur la cause d’une déperdition de la toiture dans une maison particulière, pour remonter progressivement vers les principes de la thermique du bâtiment - là où la pédagogie déductive à la française conduit souvent à faire l’inverse. Avec des promos soudées d’une quinzaine de personnes, nous faisons de la reconversion une expérience collective : chacun y tisse déjà son nouveau réseau professionnel.

D’autres acteurs de la formation ont privilégié le tout digital. Par exemple, Youschool propose des CAP réalisables intégralement sur leur application (cuisine, petite enfance…). L’interface proche des réseaux sociaux maximise les échanges entre apprenants, leur permettant de rester dans un environnement familier et stimulant, loin des stéréotypes de l’école.

Ces approches innovantes de formation ont le pouvoir de changer profondément notre rapport au travail : et si plus personne ne se sentait bloqué ?

Il y a quelques obstacles encore à lever.

D’abord, il faut aider chacun à bien s’orienter. Pas avec les bilans de compétences à l’ancienne, mais en prenant du recul sur leurs moteurs, leurs forces, et les métiers qui pourraient leur correspondre. Si possible en s’appuyant sur l’IA, comme le fait la start-up Chance.

Enfin, de nombreux financements existent : le CPF est maintenant bien identifié, le « contrat de transition pro » permet aux salariés de financer intégralement leur reconversion, France Travail revoit les dispositifs destinés aux demandeurs d’emploi. Mais pour être efficaces du point de vue de l’intérêt général, il est fondamental que les budgets soient sanctuarisés, les règles stables dans le temps, et l’accès réservé aux formations qui mènent réellement à des emplois pérennes.