Certains gouvernements et institutions adoptent en effet vis-à-vis de l’IA une attitude qui semble inspirée avant tout par la crainte. Ainsi la dernière analyse du FMI, publiée en juin dernier, sur son impact économique et sociétal se focalise avant tout sur « les inquiétudes concernant les pertes d’emploi et le creusement des inégalités. » D’autres évoquent le risque d’aggravation de la fracture numérique, notamment entre générations… c’est profondément méconnaitre la nature même de l’IA, et la manière dont elle transforme notre rapport au travail, à la connaissance, et à la technologie.
Ces inquiétudes sont légitimes. Pour y répondre avec pertinence, nous devons éviter un piège : envisager la transformation induite par l’IA à l’aune des révolutions technologiques précédentes – l’automatisation des usines ou le développement de l’informatique de bureau – qui ont vu des machines remplacer certains métiers. Cette vision malthusienne est tout simplement caduque face à l’IA.
Première immense différence : ce sont les métiers dits de “prestations intellectuelles”, ceux des cols blancs, qui sont le plus impactés par l’IA. Dans la très grande majorité des cas, l’IA ne remplace pas le travail d’un humain, mais vient augmenter sa productivité et son niveau de qualification. On voit l’opportunité que cela constitue, notamment pour les salariés les moins qualifiés.
L’IA porte également une promesse démocratique et citoyenne inédite : faciliter l’accès de tous à la technologie. L'IA générative permet en effet de dialoguer en langage naturel avec un logiciel, créant une interface accessible à tous pour des systèmes jusqu'ici complexes à utiliser. Non seulement c'est une technologie facile à utiliser, mais elle facilite également l'usage d’autres technologies, l’accès à la connaissance ou aux services publics digitaux. En ce sens, l’IA est donc une « méta-technologie » profondément démocratique.
Contrairement aux vagues précédentes d'innovations, l’IA générative pourrait donc réduire la fracture numérique, en aidant ceux qui étaient jusqu’ici les plus démunis face à la technologie. Elle permettra en particulier aux seniors de s'adapter plus facilement aux évolutions technologiques, et de mieux se connecter avec les jeunes générations. La population française âgée 70 ans et plus doublera d'ici 2030 : il y a donc là un enjeu économique et sociétal majeur.
Ce vieillissement de la population, nous le constaterons dans les années à venir aussi au sein des entreprises. Avec plus de seniors et moins de jeunes salariés, l’IA sera un outil précieux, permettant l’automatisation de certaines tâches intellectuelles et un boost majeur de productivité, indispensable pour maintenir la croissance de la production de richesses.
Les grilles d'analyse d'hier, selon lesquelles la technologie vient systématiquement dévaloriser le travail et accroitre les inégalités sociales, ne peuvent pas s'appliquer à la rupture cognitive que constitue l’IA. Si on persiste à penser – contre toute évidence ! – que les gains de productivité marginaux sont toujours synonymes de destruction d'emplois, et non de création de richesses supplémentaires, nous risquons de passer à côté de ce qu'est la révolution de l'IA, qui ouvre la voie à une manière différente de travailler et de produire. Face à une technologie qui transforme tout – notre rapport au travail, à la connaissance, et à la technologie – nous devons mettre à jour, nous aussi, notre « logiciel intellectuel ».
Les méthodes d’hier – alourdir la fiscalité sur les entreprises innovantes ou la réglementation de l’innovation – ne peuvent que rendre l’Union Européenne moins attractive, et accélérer sa marginalisation technologique. L’annonce récente de Meta, qui depuis l’IA Act juge le risque juridique trop élevé en Europe, et décide de ne pas y déployer ses derniers modèles, est une alerte sérieuse.
Au contraire, embrassons cette transformation avec optimisme et pragmatisme, faisons de l’acculturation à l’IA une grande cause nationale et européenne, et investissons massivement dans la formation de tous à son usage éclairé.
Nous ne sommes encore qu’au début de cette transformation. Les bienfaits potentiels de l’IA sur les plans économiques et citoyens sont virtuellement sans limite, pourvu que nous sachions bien l’exploiter. Pour réaliser tout ce potentiel, il faut voir l’IA pour ce qu’elle est : une révolution méta-technologique, peut-être la plus rapide et la plus prometteuse de tous les temps.