« Je transforme, tu transformes, il transforme… ». Le changement se conjugue désormais sous toutes les formes et à tout instant dans les entreprises, dans la société, en politique. Le changement est finalement devenu la seule constante à laquelle se rattacher face à des leaders martelant la nécessité de continuer à évoluer et enchainant les grands bouleversements en série comme on enchainerait les virages sur une piste de ski.
Pendant longtemps, ce changement a dû être incarné par des leaders « super-héros », formes de figures charismatiques et autorités naturelles capables de guider l'organisation grâce à une vision unique et une volonté sans faille. De cette vision presque romanesque, le leader se doit d’être le « fort », le « sachant » ou encore le « bon communiquant ». Dès le XIXème siècle, Thomas Carlyle développait sa théorie du « Grand Homme » partant du principe qu’un petit nombre de grands hommes avait cette aptitude innée à transformer et à être suivis par des masses sans opinion propres, rassurées par la figure du leader.
Or cette vision du leader oublie que le terme « changement » en français a pour origine première le terme latin « cambiare » (échanger, substituer à autre chose) qui par son étymologie même implique l’interaction et le fameux « autre » à qui s’adresse le leader. La capacité à changer, à transformer serait finalement plutôt un regard.
D’abord le regard que le leader porte sur lui-même : un regard lucide sur ses propres aptitudes. Transformer, c’est se focaliser sur ce que l’on peut contrôler, développer une vision optimiste mais réaliste. Bien plus qu'une ambition ou un volontarisme forcené, c'est l'humilité d'accepter la réalité, connaître et reconnaître ses limites comme ses erreurs. Ce regard peut d’ailleurs être lui-même nourri par les feedbacks des autres et la confrontation permanente aux faits.
Un regard actif aussi sur les autres. Ne pas penser que la transformation c’est venir, du jour au lendemain, dire à ses équipes ou ses concitoyens qu’ils ont eu tout faux jusqu’à présent et qu’on va leur apprendre à faire mieux. Au contraire, c’est détecter dans le groupe les forces individuelles et collectives, les moteurs profonds de chacun et construire avec eux un chemin auquel ils croient et qui les valorise. Cela ne signifie pas pour autant être démagogue et ne pas avoir à faire face à des décisions compliquées. Mais au contraire, savoir mieux les prendre, les expliquer et les exécuter car on s’est d’abord mis à la place de l’autre.
Enfin, le regard des autres sur le leader. Un regard dans lequel ils peuvent percevoir l’authenticité, la générosité mais aussi les doutes et les imperfections. Se rendre accessible, sortir de sa tour d’ivoire. Être perçu comme une personne « normale », à laquelle chacun peut s’identifier. Une normalité qui rend la transformation crédible et à portée.
Transformer, c’est regarder, littéralement « avoir de l’égard pour ». Voir l’extraordinaire chez les autres et admettre l’ordinaire chez soi. Alors, quand récemment, j’ai entendu au détour d’un couloir « en fait, la boss, elle est normale », j’ai souri et je me suis dit que c’était sans doute le plus beau compliment que l’on pouvait me faire.