Qu’ont ManoMano, Alma, Skello, PayFit et Indy en commun ? Un board member indépendant à leur conseil d’administration, et en l'occurrence, le même : Philippe Vimard. 

Après une carrière d'entrepreneur dans la tech à l’étranger, Philippe Vimard arrive en France en 2017, appelé par Doctolib pour être leur CTO. Il deviendra rapidement COO et le restera jusqu’en 2022. 

Le canadien continuera d’accompagner Doctolib encore un an comme senior advisor. Depuis 2023, Philippe Vimard est board member de plusieurs entreprises de la French Tech ainsi que d'autres entreprises européennes cotées. Il en a fait un métier et son activité principale. «Je peux partager certaines erreurs que j’ai pu faire et les éviter à d’autres. J’apprécie vraiment ce côté de redonner à la communauté.»

L’essor timide des board members indépendants 

«J’ai pris un premier post de board member en 2017, c’est un chasseur de tête qui m’a contacté», retrace Philippe Vimard. Il rejoint alors le conseil d’administration de Schibsted, auquel il siège toujours,  un groupe de média norvégien coté en Bourse, propriétaire un temps du site Leboncoin. «C’était une entreprise qui savait très bien que la technologie allait disrupter leur modèle d'affaires. On voit beaucoup d’entreprises traditionnelles qui manquent de compétences Tech et Produit autour de la table.» Par la suite, Philippe Vimard devient également administrateur indépendant de Randstad au Pays-Bas, groupe coté à Euronext. Être membre d’un conseil d’administration d’une entreprise publique en Europe est rémunéré, cela peut varier entre 70 000 et 90 000 euros par an. «Mais en général, la rémunération n’influe absolument pas sur le fait d’accepter une place au board ou pas», insiste Philippe Vimard. Pour sa participation dans les boards de la French Tech, il y a un «intéressement sur la valeur», souvent sous la forme de participation à l’entreprise, «proportionnel à l’engagement.»

Aux boards de 5 pépites françaises, Philippe Vimard est une exception. Il y siège à chaque fois en toute indépendance. «Je ne suis pas investisseur et je ne représente par leurs intérêts. Parfois les startups me proposent d’investir mais de manière très minoritaire évidemment.» Aujourd’hui, de plus en plus d’entreprises de la French Tech accueillent des indépendants dans leurs conseils d’administration. Les CEO sont également de plus en plus coachés sur différents sujets : recrutement en hypercroissance, expansion à l’étranger, culture et mission etc. Mais quand Philippe Vimard arrive dans l’écosystème français en 2017, c’est encore une anomalie. Aujourd’hui, il estime à 20% la part du French Tech 120 qui accueille un board member indépendant à sa table, aux côtés des investisseurs traditionnellement toujours présents. Une part qui devrait augmenter. 

«Pourquoi ? Parce que les fondateurs réalisent que les fonds ont beaucoup à apporter mais au moment où les réflexions deviennent plus stratégiques et plus complexes, les discussions peuvent se compliquer. Il y a un travail de rapprochement à faire entre les fonds et les fondateurs», analyse le multi-board member. «Je le dis avec beaucoup d’humilité, il faut rapprocher les entrepreneurs-fondateurs et les investisseurs qui sont moins dans l’opérationnel. Il faut arriver avec des perspectives qui recoupent les deux visions.» 

Philippe Vimard a le profil idéal puisqu’il a été entrepreneur. Il a vendu sa première startup dans les années 90 à Expedia. Mais il est également investisseur. En tant qu’indépendant, il doit parfois, entre chaque boards, expliquer respectivement aux deux parties, les points de vue de l’autre. «Il y a un vrai travail de traduction !»

Un job à temps plein 

Pour être un board member efficace et pertinent, Philippe Vimard travaille évidemment hors des  conseils et est au maximum en contact avec les entrepreneurs. Une bonne session de board dépend d’abord de la préparation de ses membres et des documents transmis, en amont, par la startup. En moyenne, un board de startup se réunit 4 à 6 fois par an : une session par trimestre pour analyser les résultats obtenus, les chiffres des derniers mois etc, auxquels s’ajoutent deux sessions dans l’année consacrée à la définition des stratégies. 

«Une semaine avant le board, le management va partager aux membres les documents avec les informations qui seront discutées : chiffres du trimestre écoulé, objectifs pour le prochain trimestre, point d’étape sur la performance. Mais également quelques points stratégiques de fonds, des structures de marchés, des informations organisationnelles… » Ces informations sont bien sûr essentielles et «garantes de la qualité du board». 

Philippe Vimard consacre trois fois plus de temps à la préparation et au suivi d’un board que le temps effectivement passé en conseil. Si un conseil d’administration dure une demi-journée, il consacre à cet unique board une journée et demie, etc. 

Entre les réunions, le canadien est en contact avec les fondateurs, comme un coach. «Je travaille en amont du board pour choisir les sujets, identifier ce qui peut être fait, faire le suivi des points déjà remontés… Je les aide à réfléchir opérationnellement sur la manière de présenter et de livrer leurs résultats.» Ils travaillent également ensemble en dehors de ces points d’étapes. «Par exemple, avec Alma et Skello, nous nous voyons une fois par mois pour une session de travail sur un sujet opérationnel. Cela me permet d’être plus pertinent et les entrepreneurs peuvent profiter d’un regard extérieur sur des problématiques finalement assez récurrentes.» 

Les boards varient également en fonction de la période de l’année. «Souvent en juillet, nous nous concentrons sur les chiffres. Ce n’est pas le moment de lancer des nouveaux projets. En revanche, en septembre, octobre, nous abordons souvent le budget, c’est alors plus touffu et plus riche

Philippe Vimard apporte son expertise d’opérateur. Entrepreneur, investisseur, collaborateur dans des boîtes tech depuis plus de vingt ans, il a vécu beaucoup de situations notamment les périodes d’hypercroissance, de passage à l’échelle ou de course à la rentabilité, l’enjeu principal du moment. «Chaque entreprise est dans son secteur mais il y a beaucoup de challenges de transformation, de gestion de la trésorerie… qui sont extrêmement communs. Cela permet aussi aux entrepreneurs de ne pas les découvrir et d’aller un peu plus vite.» C’est bien l’expérience qui fait un bon board member. 

Bon board et mauvais board

Mais qu’est-ce qui fait un bon board ? Le conseil d’administration est là pour challenger le top management et l’entrepreneur-fondateur. Pour avoir des boards pertinents et utiles, il faut d’abord regarder sa composition. «Elle doit être un peu hétérogène», explique le board member professionnel. «Chez Payfit, je siège avec Marie Lalleman (par ailleurs au conseil d’administration de Criteo, ndlr). Ce qui est très intéressant, c’est qu’elle a une expertise très go-to-market, et de mon côté, je suis plus expert du produit, de l’opérationnel et de la tech.» Des profils qui se complètent et peuvent amener un regard différent de celui des investisseurs, souvent financier. C’est dans ce rôle que les indépendants peuvent apporter beaucoup de valeur ajoutée au board. 

«Un board où on ne fait que du reporting n’est pas très utile ni pour le management ni pour les investisseurs», analyse Philippe Vimard. La préparation des membres est également critique. Si les experts et investisseurs autour de la table restent en surface, le board sera gâché. Il ne faut pas oublier que c’est avant tout un outil pour les entrepreneurs qui doit leur permettre d’affiner leur plan stratégique, d’aller plus loin dans les réflexions et de s’appuyer sur l’expérience des membres. 

En parallèle de cette activité de conseil auprès de scaleups, Philippe Vimard est advisor pour de plus petites startups. «Elles ont entre 4 et 5 millions d’euros d’ARR et sont au démarrage. Elles se posent des questions comme ‘comment recruter mon premier poste au marketing?’ » Pour lui, le bon moment pour accueillir un indépendant dans son board est à partir de la série B, à partir de 10 millions d’euros d’ARR. 

Avec le retournement du contexte économique, les attentes plus fortes autour de la rentabilité et la fin de la course à l’hypercroissance, les startups vont avoir de plus en plus besoin d’experts du scale, de profils d’opérateurs comme Philippe Vimard. 

Il y a fort à parier que de plus en plus de boards accueillent des indépendants choisis en fonction de leur expérience, à la manière des fonds d’investissements qui recrutent de plus en plus d’operating partners. L’enjeu des prochains mois est bien le soutien opérationnel à fournir aux jeunes pousses.