Le 17 mars 2020 restera gravé dans nos mémoires comme le début d'une ère de confinement liée à la pandémie de Covid-19 en France. Ce moment a brusquement mis en lumière un sujet longtemps relégué aux marges des discussions publiques : la santé mentale. La solitude, l'anxiété, la perte de sens et les addictions ont soudainement envahi nos conversations quotidiennes.
Été 2024. Le Covid-19 semble derrière nous, mais les défis en matière de santé mentale persistent, voire s'aggravent. Un nombre croissant de Français, 48 %, déclare se trouver en détresse psychologique, selon le dernier baromètre Opinionway x Empreinte Humaine.
Il devient évident que les problématiques de santé mentale sont profondément enracinées dans notre société, bien au-delà des effets temporaires du Covid-19.
Notre santé mentale est l’équation de dizaines de facteurs : certains que l’on ne maîtrise pas, et d’autres sur lesquels nous avons le pouvoir - sans doute même le devoir - d’agir. Parmi ceux sur lesquels on a difficilement prise, on pourrait citer notre hérédité, les épreuves qui surviennent au cours de notre vie, les crises politiques, économiques, écologiques que nous traversons. À l’inverse, nos modes de vie et de travail sont à notre portée. Eux aussi ont un impact massif sur notre santé mentale. Récemment, trois phénomènes sociétaux sous-jacents ont particulièrement retenu mon attention dans le travail que nous menons chez moka.care. Je suis convaincu qu’une prise de conscience et des actions à la fois individuelles et collectives peuvent enrayer ces dynamiques délétères.
Sortir de l’abîme de nos écrans
Nous déverrouillons notre téléphone en moyenne 237 fois par jour, alimentant ainsi une consommation excessive d'écrans. Cette immersion constante impacte négativement notre santé mentale de plusieurs façons. Premièrement, elle peut insidieusement éroder la confiance en soi et nourrir des formes d’anxiété, de dépression, d’isolement, notamment chez les plus jeunes. Amnesty International notamment a mené pendant plusieurs mois un travail de recherche sur l’algorithme Tiktok et le fil “Pour Toi” qui aggrave et accélère le mal-être des utilisateurs en souffrance psychologique.
Deuxièmement, elle réduit notre temps disponible pour des activités réparatrices telles que le sport, les loisirs créatifs, les promenades et les interactions sociales, essentielles pour réduire le stress.
Redonner place au non-verbal
La pandémie a marqué une révolution dans nos méthodes de travail, avec une transition rapide vers le télétravail et une communication asynchrone. Or le télétravail, quand il est mal appréhendé, peut lui aussi affecter négativement notre santé mentale.
Premièrement, il a introduit une rupture avec les habitudes de travail traditionnelles, dominées par la communication orale et présentielle. Cette évolution a introduit des défis majeurs : seule une proportion réduite de notre communication repose sur le verbal (le sens des mots), environ 7 % d’après les travaux d’Albert Mehrabian. Le reste passe par le visuel (expression du visage, langage corporel) et le para-verbal (intonation, son de la voix, gestion des silences).
Conséquence : il devient de plus en plus difficile pour les managers de repérer les membres de leur équipe qui font face à des problèmes de charge de travail, de stress ou de santé mentale, et de maintenir leur engagement. Un défi non négligeable quand on sait que, pour 7 travailleurs sur 10, leur manager a un impact aussi significatif sur leur santé mentale que leur conjoint (et supérieur à celui de leur médecin ou psychologue).
Deuxièmement, le télétravail a brouillé les frontières entre vie professionnelle et personnelle : 31 % des employés envoient des emails après 20h plus de 50 fois par an, et un tiers des actifs consultent leurs notifications professionnelles dès le réveil – créant ainsi troubles du sommeil et problématiques familiales.
Reconnecter à nos fondamentaux physiologiques
“Un esprit sain dans un corps sain” : l’adage n’a rien de nouveau et est bien connu de tous. Pourtant, il semble qu’on le néglige. Nombreux sont les professionnels qui soulignent les effets du manque de sommeil, de la sédentarité, de nos modes d’alimentation, sur notre santé à la fois physique et mentale.
Un exemple m’a particulièrement marqué : celui de notre consommation de sucre.
En un siècle et demi, la consommation de sucre par habitant en France est passée de 3,5 kg à 35 kg par an. A l’échelle de l’humanité c’est beaucoup trop court pour laisser le temps à notre cerveau de s’adapter à cette sur-consommation. Les recherches de M. McDougle (2024) le montrent : cette consommation impacte massivement notre système nerveux. Les circuits de récompenses liés au sucre se raccourcissent. Comme toutes les drogues, il en faut alors de plus en plus pour satisfaire notre frustration.
Quel lien avec la santé mentale ?
Les chercheurs français de l’INRAE ont montré que l’insuline (n.b., hormone produite lorsque l’on consomme des sucres et qui agit sur divers organes dont le cerveau) module directement l’activité électrique des neurones sérotoninergiques du cerveau. Ces neurones qui libèrent la sérotonine, ou hormone de la « bonne humeur », ne fonctionnent plus correctement et ne sont plus en mesure de diminuer les états anxieux.
“Santé mentale : et si le pire était à venir ?”
Il est facile d’être moralisateur quand il s’agit de l’addiction aux écrans, de la consommation des réseaux sociaux, des changements de modes de travail, des habitudes alimentaires discutables. Plutôt que de culpabiliser, mon ambition est de sensibiliser, de partager ces chiffres qui m’ont frappé et qui invitent à réfléchir.
Les trois exemples que j’ai choisis sont particulièrement ancrés dans nos quotidiens. Ils sont la preuve que chacun peut, à son échelle, avec des actions concrètes, prendre soin de sa santé mentale et de celle de son entourage.