En 2012, Jules Delmas et Matthieu Géhin sortent tout juste de leurs études de commerce à l’Essec et ils ne tardent pas à se lancer ensemble dans une aventure entrepreneuriale. A l’époque, la French Tech n’est pas ce qu’elle est aujourd’hui et l’argent était très loin de couler à flots dans un écosystème de startups qui était bien plus modeste. 

Néanmoins, les deux entrepreneurs en herbe n’hésitent pas à voir grand et se fixent pour ambition de devenir un leader européen de la distribution en ligne de sous-vêtements masculins. Ils rêvent ainsi d’imiter le succès de Sarenza, qui a réussi à faire son nid sur le marché de la vente en ligne de chaussures. 

Le chiffre d’affaires grimpe avant de plafonner à partir de 2018 

Naturellement, pour monter en puissance, le tandem ouvre son capital à des investisseurs. C’est alors que Breega rejoint l’aventure en 2014, suivi par Internet Attitude en 2016 puis Phillimore en 2017. Avec l’appui de ces fonds, Solendro accélère sur le marché français et s’ouvre à l’international, notamment en se lançant au Royaume-Uni et en Allemagne. 

Au fil des années, la startup augmente la cadence, passant de 618 000 euros de revenus en 2014 à 6,5 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2018. Mais une fois ce palier atteint, les revenus de la société plafonnent les années suivantes : Solendro ne parvient pas à être rentable, selon les documents financiers que nous avons pu consulter. Ses pertes s’élèvent à 630 000 euros en 2016 avant de tomber à 114 000 euros en 2018, puis de remonter à 600 000 euros un an plus tard. 

Une rentabilité qui n’est pas au rendez-vous 

Le coup est rude pour l’entreprise, qui misait en 2014 sur une rentabilité dès 2016 avec un chiffre d’affaires de 6,8 millions d’euros, puis 24,5 millions d’euros en 2018. Un chiffre qui restera finalement très éloigné de la réalité. Certes, les dirigeants de Solendro ont affiné leur plan au fil du temps, notamment en tablant en 2017 sur 7,5 millions d’euros de revenus et un résultat net à l’équilibre l’année suivante, mais ces objectifs n’ont pas été atteints. 

«Solendro était rentable sur le marché français depuis 2018, marché qui représentait 80 % de son chiffre d’affaires. En parallèle, nous étions en phase de lancement en Espagne et d’accélération en Allemagne, avec des investissements en communication significatifs, et prévoyons d’arriver à l’équilibre, au global sur ces trois marchés, en 2020», précisent Jules Delmas et Matthieu Géhin, les fondateurs de Solendro.

Durant ces années, en dépit de résultats contrastés, les actionnaires de Solendro continuent de croire à la réussite de ce projet entrepreneurial. «Malgré des performances en dents de scie, nous avons continué à les soutenir», confie ainsi un représentant de Breega, qui a souhaité rester anonyme.

Pour donner un coup de pouce à cette jeune pousse du commerce en ligne, le fonds tricolore décide même de leur présenter un profil destiné à leur faire franchir un nouveau cap. «En 2015, nous leur avons présenté un spécialiste des médias. Les fondateurs ont souhaité l’intégrer, il a alors investi 200 000 euros dans l’entreprise et leur a ouvert les portes de l’investissement TV. Sans cela et sans Breega, ils n’auraient jamais atteint un tel chiffre d’affaires qui était issu de la pub télé à plus de 80 %», estime cette même source. Avant d’ajouter : «Ils prétendaient être un géant de l’e-commerce. Dans les faits, ce n’était pas le cas. Leur trajectoire était plutôt moyenne. Ils n’ont pas réussi à croître et à s’exporter avec succès à l’international, et n'ont jamais été rentables.»

Un processus de cession sous haute tension 

Comme les perspectives de croissance de Solendro ne semblent guère optimistes, l’idée d’une vente de la société commence à germer dans les esprits des fondateurs et des actionnaires durant l’année 2019. C’est à ce moment-là que la relation entre les deux camps va commencer à se tendre. Point de crispation majeur : la valorisation de l’entreprise pour laquelle un fossé les sépare. 

En 2019, les fondateurs de Solendro estiment que leur société est valorisée à hauteur de 10 millions d’euros. Un chiffre qui interpelle notre source chez Breega : «Leur valorisation de 10 millions d’euros, je ne sais pas d’où elle sort.» En se basant sur les comptes de l’entreprise entre 2014 et 2020, qui révèlent qu’elle n’a jamais atteint la rentabilité, et le fait que les sociétés e-commerce rentables se valorisent en général 0,25x à 0,5x le chiffre d’affaires, nous en déduisons que la valorisation de Solendro ne dépassait pas les 3,5 millions d’euros.

Cependant, les fondateurs du site de vente en ligne de sous-vêtements masculins présentent une lecture différente de la situation. «En 2019, nous entrons en pourparlers avec trois banques d’affaires, eCap, PAX et Acetis. Celles-ci présentent plusieurs estimations de la valorisation de Solendro, à l’issue de l’exercice 2019, tenant compte de la dynamique de la société et des résultats des exercices des années précédentes, de l’ordre de 6 à 10 millions d’euros. La fourchette haute de ces estimations pouvait être atteinte si le chiffre d’affaires continuait à croître au cours des exercices à venir», expliquent-ils. Avant d’ajouter : «L’ensemble des actionnaires de Solendro, à commencer par Breega, retient finalement la banque d’affaires Acetis. Et personne, à l’époque, ne remet en cause ces valorisations.»

La fidélisation des clients comme talon d’Achille ?

Si les versions des deux camps divergent en 2024, elles ne semblaient pas irréconciliables en 2019, puisque le processus de cession avançait tant bien que mal. «La clause de liquidité, ajoutée dans le pacte d’associés lors de notre seconde levée de fonds, fixait un objectif de liquidité des titres détenus par les fonds d’investissement au 31 décembre 2019 et prévoyait que nous mandations une banque d’affaires pour parvenir à cette liquidité. Ce pourquoi tous les actionnaires mandateront, collectivement, la banque d’affaires Acetis mi-2019», indiquent Jules Delmas et Matthieu Géhin.

Pourtant, la clause de liquidité de fin d’année 2019 ne semblerait pas être la raison principale de cette décision. En effet, dès le mois d’avril de cette même année, les deux dirigeants de Solendro avaient alerté Breega sur la nécessité et l’urgence de vendre rapidement l’entreprise, dans un mail dont a pu prendre connaissance Maddyness. Dans celui-ci, ils expliquent notamment que les prévisions pour l’année 2019 sont en demi-teinte et qu’il serait dans l’intérêt des actionnaires que la cession soit actée, avant que les chiffres (moins bons) de 2020 ne dégradent la situation. Faute de quoi le processus de vente se retrouverait fortement compromis.

En tout état de cause, le dossier patine (aucune offre n'a été remise, quelle que soit la valorisation), ce qui ne contribue pas à apaiser les tensions naissantes entre les dirigeants de Solendro et les actionnaires. «Le feedback de la banque d'affaires, c’est qu’il fallait plus de fidélisation. La machine d’acquisition était OK mais les clients n’étaient pas fidélisés. Les administrateurs de la société ont alors proposé de les aider à trouver un spécialiste e-commerce pour fidéliser leur clientèle, mais les fondateurs ont fermé la porte sur le sujet», assure un représentant du fonds parisien. «A ce moment-là, je pense qu’ils ont eu peur d’une bascule dans la gestion de la boîte. Il y avait la crainte d’un œil de Moscou. Je pense qu’il y a eu un shift dans leur tête…», ajoute ce dernier.

C’est dans ce contexte délicat que Solendro entame l’année 2020. Si celle-ci sera évidemment marquée par la pandémie de Covid-19, elle verra la tension entre les fondateurs et les actionnaires atteindre un point de non-retour pour d’autres raisons. A l’approche de l’été 2020, un bras de fer s’installe…

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