Après les élections législatives, c’est un sentiment d'incertitude qui prédomine dans les rangs de la French Tech. « Les cartes sont rebattues », concède à l'AFP Maya Noël, directrice générale de France Digitale, une association représentant les jeunes entreprises "tech" et les fonds d'investissements spécialisés. « Après l'annonce de la dissolution et de la tenue d'élections législatives anticipées (où l'extrême droite faisait figure de favorite avec le Rassemblement national), on a reçu des messages d'entreprises qui disaient ''là, clairement, je suis en pause’’ ou ‘’aujourd'hui, mes investisseurs me disent qu'ils vont attendre’’ », explique-t-elle.
« On est dans une période de flou artistique », confirme Karima Ben Abdelmalek, patronne de l'application française de rencontre Happn, qui revendique près de 155 millions d'utilisateurs dans le monde. D'abord inquiètes de l'arrivée d'un gouvernement qui leur serait moins favorable, les entreprises de la French Tech, un label créé en 2013 pour aider au rayonnement international des entreprises françaises, attendent désormais du nouvel exécutif qu'il leur donne de la visibilité et, surtout, de la stabilité.
L'enjeu est de taille. Poussé par une conjoncture favorable et le soutien du gouvernement depuis une dizaine d'années, le secteur des startups compte désormais « plus de 20 000 entreprises » et a créé « plus d'un million d'emplois », selon France Digitale.
Pas de retour en arrière
Une politique aux effets « spectaculaires », portée par « des recettes qui fonctionnent, comme le soutien à l'investissement à travers la banque publique d'investissement, les crédits d'impôt recherche et des taux bas », détaille le président de l'Observatoire de la fintech (les start-ups françaises de la banque et de l'assurance), Mikaël Ptachek.
Un brusque changement des règles du jeu pourrait marquer un coup d'arrêt dans cette période faste pour les entreprises de la tech française, qui a vu naître des grands noms comme Doctolib ou Mistral AI. « Les décisions politiques peuvent impacter le financement et e financement, c'est le ‘’carburant" des entreprises », souligne Mikaël Ptachek. « Il faut qu'on milite pour qu'il n'y ait pas de retour en arrière ni de sacrifice de cette dynamique de l'innovation française », martèle Jérémy Jawish, directeur général et co-fondateur de Shift Technology, une "licorne"(start-up valorisée à plus d'un milliard de dollars) française qui aide les assureurs à automatiser leur activité avec l'intelligence artificielle.
La présidente d'Happn s'inquiète également de « l'absence de débat » sur la place du numérique au cours de la campagne électorale éclair. « Si on ne continue pas à innover, à favoriser l'entrepreneuriat (...), on risque de se faire oublier sur le plan international ». Elle estime que « pouvoir attirer des talents étrangers en France et en Europe doit aussi rester une priorité », notamment en préservant le "French Tech Visa", un titre de séjour pluriannuel créé en 2017 qui cible des recrues et facilite leur arrivée dans le pays.
Un écosystème résilient
Mais, face au fractionnement de l'Assemblée nationale nouvellement élue où aucune force politique majoritaire ne se dégage, l'attente pourrait bien se prolonger. « Pour des entreprises qui sont en phase de création ou dans leurs premières années de vie, trois mois, c'est long », met en garde Maya Noël, qui espère qu'un nouveau gouvernement se dessine rapidement.
S'il a accueilli avec soulagement les résultats des législatives dimanche, Aurélien de Meaux, fondateur d'Electra, un opérateur français de bornes de recharge électrique qui a levé plus de 600 millions d'euros, ne s'inquiète pas outre mesure d'un immobilisme temporaire. « Il faut qu'on continue à avancer et il ne faut pas qu'on remette en question nos projets », résume-t-il, philosophe.
Le monde de la tech n'en est pas à ses premiers soubresauts. L'an dernier, les start-ups françaises ont connu une année moins flamboyante, avec des levées de fonds en baisse de 38%. « L'écosystème est résilient et s'adaptera quoi qu'il arrive », estime Maya Noël.