Ledger fête ses 10 ans en 2024. Il y a quelques semaines, l’entreprise a annoncé livrer ses premiers Ledger Stax, ce portefeuille crypto sécurisé avec un écran tactile et sécurisé. Ce produit marque un vrai tournant pour Ledger. Imaginé avec Tony Fadell, le designer de l’iPod, le Ledger Stax pourrait devenir un objet de la vie quotidienne pour sécuriser les données de santé, l’identité numérique et… les actifs.
Ledger est née d’une vision qui combine hardware, sécurité et transparence. La startup a été fondée par Eric Larchevêque, aujourd’hui en retrait de tout rôle opérationnel. À l’époque, il fallait être visionnaire pour comprendre le besoin de sécurité des cryptomonnaies alors qu’elles émergeaient à peine. Aujourd’hui, il faut être convaincu de l’explosion des usages du web3 pour piloter Ledger. C’est le cas de Pascal Gauthier, investisseur de la première heure devenu CEO il y a cinq ans. Il livre à Maddyness en exclusivité sa vision pour et sa roadmap pour les cinq prochaines années.
Maddyness : Comment a démarré votre aventure avec Ledger ?
Pascal Gauthier : Je suis arrivé en tant qu’investisseur de Ledger et dans ce cadre, j'ai demandé tout de suite à être board member non-exécutif. Cela faisait partie de mes conditions. Ma première motivation était d’investir dans l’industrie du Bitcoin.
J’ai commencé à suivre cette crypto-monnaie en 2014, l’industrie était vraiment naissante. D’expérience, dès lors que la technologie est au centre d’une industrie, on peut apprendre sur le tas. Le Bitcoin était vraiment à ses débuts, nous étions très peu à travailler dessus.
C’est d'ailleurs à cette époque que j’ai rencontré Ledger. Hong Kong était considéré comme le berceau de la cryptomonnaie. J’étais en train de quitter Criteo et je voulais déjà construire une nouvelle entreprise, dont la valorisation dépasserait plusieurs milliards ! Mon niveau d’ambition était survitaminé par la réussite de Criteo.
Je voulais répondre aux besoins du secteurs de la crypto.Premièrement, il n'y avait pas assez de données, d'informations, de data, etc. Donc, j’ai commencé par créer Challenger Deep (qui est maintenant devenue Kaiko), sur la donnée financière issue des marchés des cryptomonnaies et des blockchains.
Deuxièmement, il y avait un sujet de sécurité lié aux clés privées. À mes débuts dans le Bitcoin, la première chose c'était de faire une transaction et de recevoir des Bitcoins. J'ai testé tout un tas de systèmes pour envoyer et recevoir des Bitcoins, mais l’expérience n’a jamais convaincu.. Ma rencontre avec Ledger est une sorte de coup de cœur : “c'est ça la bonne invention et elle est française”.
L’équipe fondatrice était composée d’entrepreneurs expérimentés et très intelligents, avec une bonne compréhension du système des cartes à puces, appliquées à la sécurité pour le Bitcoin. Et à titre personnel, je pouvais apporter mon savoir-faire autour de la scalabilité de l’entreprise, éprouvée au cours de mon passage Criteo. Nous avions une bonne complémentarité de talents !
Vous êtes CEO depuis maintenant cinq ans, quel était votre trajectoire et votre objectif ?
Il faut donner le temps au temps et le temps est long. Quand on crée une entreprise, et c’était il y a dix ans pour Ledger, toutes les étapes sont importantes. C’est comme regarder grandir son enfant, on ne l'aime pas plus à 5 ans qu'à 10 ans mais il est différent.
Une entreprise, c'est un peu pareil, chaque étape est intéressante et a son lot de succès et de challenges.
Nous, les entrepreneurs, sommes tellement impatients. Parfois, on oublie d’en profiter. Ces cinq dernières années, nous avons connu plein de succès et plein de challenges, il y a des choses dont je suis très fier. Quand on devient CEO de Ledger, il faut bien évidemment proposer au board un plan stratégique et tout s’est déroulé à peu près selon ce plan.
«Le Ledger Stax est la première pierre des prochaines années»
Le but de la première partie de mon mandat était d’assurer les fondamentaux de l'entreprise, bien l’équilibrer avec un pôle de R&D fort, recruter des managers de talent et de bien maîtriser les dépenses pour pouvoir naviguer dans cet univers crypto où les marchés sont très volatiles. Faire grandir son business dans un univers qui n'arrête pas de monter et de descendre, c’est difficile !
La deuxième partie de mandat devait nous permettre de refaire de la R&D, d'accélérer en innovation sur le hardware. Nous ne voulions pas toucher aux produits hardwares pendant la première partie de ce mandat.
C’est bien comme cela que ces cinq années se sont déroulées. Nous avons sorti, il y a peu, le Ledger Stax. C'est un produit sur lequel nous avons eu beaucoup de retard. Nous avons collaboré avec Tony Fadell (le designer de l’iPod, ndlr). Nous avons réussi à créer un produit vraiment nouveau et extraordinaire. Il va marquer le marché de la crypto et Ledger.
Le Ledger Stax fonctionne avec les mêmes bases fondamentales de sécurité que tous les autres produits que nous avons pu faire. L’interface utilisateur et l'expérience sont vraiment supérieures à nos précédents produits. Il est largement à la hauteur des attentes.
D’une certaine manière, c’est une conclusion de mon premier quinquennat. Je perçois vraiment l'histoire de Ledger par tranche de cinq ans. Nous nous apprêtons à ouvrir une nouvelle tranche.
Vous repartez pour cinq ans à la tête de Ledger. Quelles sont les grandes lignes de votre plan ?
La dernière pierre des cinq dernières années, c’est le Ledger Stax. C’est la première pierre des cinq prochaines années.
Le Ledger Stax prend en compte l’évolution des usages crypto. Il y a cinq ans, il n’y avait pas encore la variété de crypto-monnaies que l’on connaît aujourd’hui. En 2024, nous avons des usages complexes avec l'émergence des smart contracts, des NFT… Les transactions deviennent de plus en plus importantes, de plus en plus lourdes, et donc nous avons besoin de plus en plus d’espace pour pouvoir montrer à l’utilisateur ce qu’il se passe, ce qu’il possède. C’est tout l'intérêt de ce hardware wallet : avoir un écran sécurisé qui montre la réalité. Cet écran sécurisé est notre première pierre pour les cinq prochaines années.
Les usages des blockchains publiques et des technologies de cryptomonnaie vont continuer à se complexifier. Nous allons vers des usages de plus en plus précis. Il faut réfléchir à leur utilité : À faire du paiement ? À faire de l'art ? Quels sont les cas d'usage ? Est-ce que c'est pour faire un réseau social décentralisé ? Du jeu vidéo ?
Chez Ledger, nous pensons que les cinq prochaines années vont accélérer la mise à l'échelle de ces cas d'usage. Ils ne pourront exister que si on possède des clés privées et que si on a un hardware sécurisé Ledger, avec un grand écran, pour pouvoir voir ce qui se passe, et pouvoir utiliser la blockchain et les cryptos en toute sécurité. Voilà, notre roadmap pour les cinq prochaines années.
Sécurité et transparence
Comment Ledger s’adapte aux différents cycles du Bitcoin ?
Ces mouvements de marché impactent l'utilisation que les gens font de la cryptomonnaie, et donc l'usage qu’ils font de leur Ledger. Cela influe même leur envie de posséder un wallet Ledger.
Mais cette spéculation va également guider, d’une certaine manière, notre stratégie. Il y a cinq ans, quand j'ai pris mon job de CEO, avoir un Ledger, ça voulait dire pouvoir conserver ses clés privées sur un portefeuille physique. Le cas d’usage était ce qu’on appelle le “buy&hold”, j'achète et je garde.
Aujourd'hui, nous avons développé toute une couche de software par-dessus Ledger. Nous avons commencé par les services de base des cryptomonnaies et nous avons élargi nos solutions. Ledger Live, c'est le compagnon software de Ledger.
Nous avons développé notre software sur une base open source et qui permet aux développeurs tiers de venir coder, directement sur Ledger, et de proposer leurs services aux utilisateurs via Ledger Live.
Notre business model a évolué : on vend du hardware et des services associés, que ce soit des services traditionnels ou le Ledger Recover.
Sécurité et transparence, voilà comment nous pourrions résumer votre philosophie en tant que CEO de Ledger. Comment traduisez-vous ces notions dans votre vision ?
Nous publions régulièrement notre roadmap open source. Nous proposons des outils technologiques qui permettent aux utilisateurs, très concernés par leur vie privée, de garder leurs données privées, de ne les partager avec personne. La sécurité, c'est la base de Ledger. S'il n'y a pas de sécurité, il n'y a pas de Ledger. Donc, on ne fait pas de compromis sur la sécurité du futur.
«L’Europe a du mal à créer des champions technologiques»
Quel est votre rêve avec Ledger ?
Ledger ne peut pas exprimer son potentiel maximum sans un gros effort d’éducation. Je dis cela de manière très positive, nous sommes en train de vivre une vraie révolution technologique. Tout d'un coup, on peut posséder ses actifs digitaux.
Le Bitcoin, c'est l'invention d'un token digital unique. C'est comme votre secret et il n’appartient à personne d'autre.
C'est la première fois dans l'histoire de l'humanité que nous vivons plusieurs choses. D’abord, nous sommes témoins de la naissance d’une nouvelle classe d’actifs. C'est assez fascinant. Ensuite,l’argent digital existait, mais l’argent digital de pair à pair, grâce aux blockchains publiques, n'existait pas. Le monde entier peut accéder à un réseau digital qui ne peut pas être censuré, qui est ultra démocratique, etc., depuis un téléphone, depuis un ordinateur et avec un Ledger de préférence pour la sécurité.
Nous pouvons échanger de la valeur entre pairs sans intermédiaire, ce qui, avant, nous était complètement interdit. C’est une vraie révolution technologique. C'est de la liberté qui est rendue à l'utilisateur.
Mon rêve, ce serait que les gens soient mieux éduqués sur ces sujets et qu'ils puissent ensuite, en conscience, procéder vers les actifs digitaux. Aujourd'hui, on parle de cryptomonnaie, mais demain, cela sera nos données d'identité, de santé…
Comment faites-vous avancer Ledger ? Est-ce que vous êtes rentable ? Projetez-vous une IPO ?
Dès que les marchés sont rentables, Ledger peut faire des marges importantes. Il y a toujours cet effet de ciseaux. Quand les cryptos montent, on investit, on recrute des gens pour développer notre prochaine version. Puis, les marchés baissent, et nous supportons avec un maximum de dépenses avec des revenus à la baisse. C’est ce qui est difficile à piloter. Mais structurellement, Ledger est faite pour être rentable.
Notre ambition est de devenir la plus grande société technologique qui n’ait jamais été créée en Europe. D'ailleurs, l'Europe a beaucoup de mal à créer des leaders technologiques mondiaux.
Aujourd'hui, Ledger est déjà une marque mondiale. Ledger représente une des rares possibilités pour la France et l'Europe de créer un leader mondial B2C. Ce serait une première pour la France et c’est notre ambition.
Vous êtes aussi restaurateur puisqu’avec deux associés vous êtes propriétaire d’ISTR, un “oyster bar” dans le Marais. Quelle est l'histoire derrière ce projet ? Quels liens existent entre votre poste de CEO et la restauration ?
Quelque part, la crypto et ISTR ont pas mal à voir ensemble ! J’ai monté ISTR en 2014-2015, en même temps que le lancement de Challenger Deep et que mon investissement chez Ledger.
Le marché crypto était tellement faible à l'époque que j'avais pas mal de temps. Et avec la crypto, nous étions sûrs de rien. Donc il fallait que je me frotte à pas mal de business.
Ce projet, c’est un truc d’amitié. J’ai un ami très cher qui est dans la restauration et nous voulions avoir un projet ensemble depuis toujours.
La restauration, c’est un métier difficile. En tant qu'entrepreneur, ça apprend vraiment l'humilité. Il faut savoir tout faire. Il faut savoir faire du marketing. Il faut savoir tout demander. Il y a des similarités avec Ledger.
Faire du hardware, c'est un peu comme réussir à faire un plat. C'est-à-dire qu'il faut savoir commander les éléments, les assembler, il faut être attentif à sa marge, etc. De manière assez surprenante et inouïe, finalement, le business de la restauration m'a appris beaucoup de choses, notamment beaucoup d'humilité, qui m'ont permis d’être un meilleur CEO chez Ledger.