Les chiffres liés au M&A sont souvent des indicateurs clés pour faire un constat des dynamiques en cours dans la tech. En effet, lorsque les niveaux de valorisation des startups sont revus à la baisse, les acquisitions et fusions ont tendance à se multiplier. Par exemple, lorsque la French Tech a dépassé les 11 milliards d'euros en capital-risque en 2021, le M&A a dénombré 308 opérations. Puis, lorsque la crise des financements s'est installée les années suivantes, les opérations de fusion-acquisition ont progressé : on en dénombrait 584 l'an passé tandis que les levées de fonds ont dépassé timidement la barre des 8 milliards d'euros.
« Le marché du M&A a connu plus de transactions en 2023 mais sur des montants plus bas, décrit Patrick Robin, Founding Partner chez Avolta. Les valorisations ont aussi chuté depuis le deuxième semestre de 2022, ce qui crée un moment propice au rachat d'entreprises ». Ainsi, les corporates et les scale-up peuvent mener des acquisitions à bas coût et certains entrepreneurs - qui ont parfois été très dilués lors des récents bridges ou qui réalisent qu’une série B sera très compliquée - sont de plus en plus tentés par le fait de revendre leur startup pour commencer une nouvelle aventure.
« La situation de crise des financements que traversent les startups pourrait bien se poursuivre dès la rentrée avec une situation politique incertaine », ajoute Patrick Robin. Maxime Eduardo, cofondateur et CEO de Naboo, une startup qui permet la réservation de séminaires d'entreprise tout-en-un (lieu, restauration, activités et transport), partage aussi ses inquiétudes vis-à-vis du contexte électoral et s'attend une baisse du soutien de la greentech dans l'optique d'une victoire du Rassemblement National aux prochaines législatives.
Définir les raisons d'une stratégie de croissance externe
En revanche, pour le monde corporate et des scale-up disposant d'une trésorerie solide, il s'agit du moment idéal pour poursuivre leur croissance externe en s'intéressant à des startups qui vont avoir du mal à se refinancer. Il y a d'ailleurs deux stratégies possibles : l'une consiste à avaler une succession de petits acteurs gravitant dans son propre écosystème et l'autre à racheter son plus gros concurrent sur le marché pour gagner en scalabilité. Cette dernière option a justement été choisie par Naboo, qui a levé 7,5 millions d'euros en février dernier et compte allouer une partie des fonds au rachat d'une agence événementielle d'envergure.
« Notre ambition est de créer un vrai leader industriel dans notre secteur, partage Maxime Eduardo, cofondateur et CEO de Naboo. Une intégration suppose de réussir une synergie à la fois commerciale, humaine et financière. C'est déjà assez complexe de se concentrer sur une seule acquisition ». Ce dernier ajoute également la nécessité de bien se faire accompagner en amont et de nommer au moins une personne en charge de la stratégie M&A.
Pour Patrick Robin, il est important de bien définir les raisons d'une stratégie de croissance externe : « est-ce pour faire l'acquisition de nouveaux talents, d'une nouvelle technologie ou bien de parts de marché ? Le but est-il d'élargir un portefeuille de client ou bien une proposition de valeur ? Enfin, est-ce simplement pour atteindre une taille critique ou éliminer un concurrent et cesser d'enrichir les GAFAM ? », suggère-t-il.
Quoi qu'il en soit, il est crucial d'identifier les cibles et de faire attention à « ne pas se fragiliser soi-même » dans un process d'acquisition mal préparé. « Trop d'entrepreneurs s'engagent dans des discussions pour une acquisition potentielle sans savoir comment la financer, déplore Patrick Robin. Il y a de nombreuses voies pour financer de la croissance externe, mais attention à ne pas plomber ses comptes et à s'assurer d'être soutenu par ses investisseurs historiques ou bien d'avoir une bonne capacité d'endettement ».
Autre point primordial : il faut aussi avoir une vision claire de la future gouvernance à déployer. « Une fusion réussie repose souvent sur une bonne gestion des égos, détaille Patrick Robin. Il faut parfois se demander ce que je suis prêt à lâcher pour le bon fonctionnement de l'entreprise ».
Les avantages et les risques de la croissance externe
Concernant les avantages d'une fusion-acquisition réussie, Maxime Eduardo évoque un gain de temps précieux sur l'intégration de nouveaux talents, de nouvelles fonctionnalités et en termes de développement commercial. « Cela permet aussi de booster rapidement le chiffre d'affaires avec une montée en gamme (upselling) de l'offre, complète-t-il. C'est aussi un moyen de mieux se faire connaître et certains acteurs mènent d'ailleurs ces stratégies uniquement pour des raisons médiatiques ».
En revanche, Maxime Eduardo tient à rappeler que ce n'est pas une solution miracle pour autant : « Deux startups en mauvaise passe ne créeront pas un leader ! De la même manière, une entreprise en bonne santé mais mal structurée peut mettre en péril toutes les parties prenantes ». En effet, il est vrai que la croissance externe peut permettre à une startup en perte de vitesse de créer de nouvelles opportunités de développement et de trouver des alternatives au financement en capital-risque. Mais ce n'est définitivement pas une stratégie à prendre à la légère car les risques sont aussi nombreux.
« Il faut être sûr d'avoir stabilisé son modèle économique avant de faire de la croissance externe, insiste Maxime Eduardo. Il ne faut donc pas le faire trop tôt et surtout éviter d'en faire une stratégie défensive qui viserait à pallier les lacunes en croissance organique ». À cela s'ajoutent aussi d'autres risques internes comme celui d'un éventuel choc culturel ou bien de création de doublons de postes.
Naboo a choisi de contacter directement ses cibles et de se faire accompagner sur les négociations, l'aspect juridique et l'audit. Mais il est aussi possible de recourir à une banque d'affaires dès le début pour mieux anticiper ou désamorcer les problèmes d'ego. C'est aussi un moyen de rester plus discret dès la première prise de contact car « si une entreprise apprend qu'un concurrent souhaite son rachat, cette dernière peut naturellement proposer un prix de transaction plus élevé ». Ce type d'accompagnement a un coût et il est nécessaire de prévoir une partie du budget en ce sens. C'est le même constat pour l'effort marketing destiné à se rendre visible et faire connaître ses intentions de rachat. À savoir par ailleurs que tous ces fonds engagés seront perdus dans le cas d'un échec de fusion-acquisition.