Du sport à l’e-sport, il n’y a parfois qu’un pas. Face à l’engouement planétaire pour le sport virtuel, de nombreuses franchises sportives s’y sont intéressées ces dernières années, à l’image du Paris Saint-Germain, de l’Olympique Lyonnais ou encore de Manchester City. Il faut dire que l’e-sport a changé d’envergure durant la décennie écoulée et rassemble désormais des milliers de fans lors d’événements dédiés en Europe. En septembre 2023, le club d’e-sport Karmine Corp a ainsi réussi à attirer plus de 28 000 fans à Paris La Défense Arena, l’antre du Racing 92.
Si le club francilien n’a pas encore sauté le pas dans l’e-sport, c’est le cas en revanche de Grenoble. Malgré une saison sportive compliquée en 2019 qui a mené à sa relégation en PRO D2, le club des Alpes n’a pas renoncé à ses projets dans le sport virtuel. C’est ainsi un 2 avril 2019 que l’aventure du FC Grenoble Rugby (FCG) dans l’e-sport a débuté. «Nous avons préféré attendre un jour de plus, car nous avions peur que les gens pensent que c’est une blague», confie Héloïse Pierre, Social Media Manager du club de Grenoble, en référence aux fameuses blagues du 1er avril.
Une équipe créée à partir d’une annonce sur Facebook
Mais pour le coup, aucune blague à l’horizon dans l’engagement de Grenoble dans l’e-sport. Ce pari ambitieux dans un secteur qui détonne dans le monde du rugby est le fruit du travail mené par Thomas Bianchin et Olivier Spaeth, qui étaient alors respectivement directeur de la communication et community manager du FCG. «Ils ont passé un certain temps à se renseigner sur l’e-sport. Dans ce cadre, ils ont rencontré des gens pour prendre la température du milieu. C’est un domaine qui les intéressait mais dont ils n’avaient pas forcément les codes. Au bout d’un moment, ils ont décidé de se lancer en publiant une petite annonce sur le groupe Facebook Grenoble eSport pour recruter des joueurs», raconte Héloïse Pierre.
Cette annonce sur le réseau social a permis au FCG de mettre sur pied une équipe de six joueurs sur le jeu de combat Overwatch. «C’est un jeu accessible à tous les publics dans lequel le storytelling est très développé. De plus, c’est un jeu qui se joue avec deux postes par ligne, ce qui fait penser au rugby. Il y en a deux pour défendre, que l’on pourrait assimiler à des piliers dans le rugby, deux snipers qui agissent tels des trois-quarts, et deux personnages qui sont là pour soigner les autres. La finalité, c’est qu’on ne peut pas gagner seul, exactement comme au rugby», explique la Social Media Manager du FCG.
Après s’être aussi aventuré sur Valorant et Tekken, le club dispose aujourd’hui d’une équipe e-sport de cinq joueurs qui évoluent sur Hearthstone, Super Smash Bros ou encore Rocket League. Pour évoluer dans les meilleures conditions, les joueurs sont accompagnés par le club, au niveau de la communication mais aussi sur le plan physique (travail sur l’acuité visuelle, soins pour le dos et la nuque, conseils d’un diététicien…). En échange, ils portent les couleurs du club (rouge et bleu). «C’est un peu une médaille de représenter un club qui a 130 ans d’histoire», note Héloïse Pierre.
«Toucher la génération Z et les entreprises tech d’une autre manière»
La création de cette équipe e-sport a permis au FCG de toucher un nouveau public, tout en s’inscrivant comme un acteur sportif au cœur de l’innovation. «L’objectif du club est de toucher la génération Z d’une autre manière et séduire différemment des entreprises de la tech, où l’e-sport fait plus de sens que le rugby en matière de collaboration. C’est un plan sur plusieurs années, où l’idée est de se développer sur plusieurs jeux et d’organiser des événements», indique Héloïse Pierre. S’engager dans l’e-sport, c’est aussi un moyen d’engranger des revenus supplémentaires, notamment au travers de produits dérivés et de nouveaux sponsors, mais aussi de fidéliser davantage sa communauté et de faire connaître sa marque au-delà de l’Hexagone.
Le plan du FCG a pris une dimension encore plus forte pendant la pandémie de Covid-19, où le gaming a été particulièrement plébiscité par des centaines de millions de joueurs du monde entier coincés à domicile. «Lors d’un confinement, nous avons organisé une sorte de Z Event caritatif sur Twitch. Nous développons également la partie événementielle à destination d’entreprises demandeuses en matière de team building dans l’e-sport.»
Le FCG a notamment conçu des événements clés en main adaptés à ses partenaires, comme la Caisse d’Épargne. «On aimerait beaucoup développer cet axe événementiel à l’avenir. Nous avons une place particulière, puisque nous sommes un peu au milieu entre les grosses structures et les très petites», complète la Social Media Manager, qui a d’abord rejoint le FCG en tant que bénévole avant de devenir également responsable du pôle e-sport après le départ d’Olivier Spaeth pour le Montpellier Hérault Rugby.
«Une finale face à Oyonnax sur Super Smash Bros, ce serait génial !»
Si la démarche du FCG est évidemment à saluer dans un monde du rugby qui était jusque-là assez peu engagé dans l’e-sport, il n’est cependant pas simple d’y faire sa place face aux poids lourds du secteur. «Au bout de six mois, il y a eu des changements dans l’équipe. Il y a eu de l’étonnement dans les rangs du club que les gens ne restent pas, mais il n’y a pas eu de difficulté pour recruter. Le FCG avait aussi conscience qu’il existait des mastodontes comme Vitality à côté. Et le problème dans l’e-sport, c’est que ces méga-structures ont des budgets pharamineux. A notre niveau, nous avons des moyens, des sponsors… Mais l’e-sport n’est pas le métier de nos joueurs. Le fonctionnement actuel du secteur fait réfléchir», avoue Héloïse Pierre.
Si le pari n’est pas aisé, le FCG espère cependant crée de l’émulation dans le TOP 14 et la PRO D2 pour inciter d’autres clubs à se lancer dans l’e-sport. «Nous avons envie d’inspirer d’autres équipes de rugby. Dans ce sens, il y a eu des prises de contact avec des clubs mais ces démarches n’ont pas encore abouti», indique la Social Media Manager. Avant d’ajouter : «A l’heure actuelle, nous n’avons pas encore d’adversaire direct. On aimerait une régionalisation des affrontements dans ce domaine. Une finale face à Oyonnax sur Super Smash Bros, ce serait génial !» Dans un contexte où l’e-sport ne cesse de gagner du terrain dans le monde entier, il ne serait donc pas impossible dans les prochaines années d’assister à un «Classico» entre le Stade Français et le Stade Toulousain sur un terrain virtuel. En tout cas, Grenoble a montré la voie à suivre au reste du rugby français.