Pratique actuelle : Une SPV constituée pour chaque investissement en club deal
Pour rappel, un « club deal » est une réunion de plusieurs investisseurs souhaitant mettre en commun leurs capitaux afin d’investir dans un ou plusieurs actifs mobiliers ou immobiliers qui leur seraient plus difficilement accessibles individuellement. Le club deal se différencie principalement des fonds d’investissement par le fait que chaque membre du club peut choisir les opérations proposées par sa communauté sur lesquels il souhaite ou non investir.
Juridiquement, chaque investisseur faisant partie d’un club deal et souhaitant participer à une opération présentée aux membres du club devient associé d’une société dédiée à cette opération (SPV) et prenant généralement la forme d’une société par actions simplifiée ou plus rarement d’une société civile. Après réalisation du tour de table auprès des investisseurs du club deal, la SPV va investir les fonds dans l’actif sélectionné, et dans le cas de financement de startups, principalement dans la souscription à une augmentation de capital. Du point de vue de la startup, l’avantage est d’éviter une trop grande dilution de sa table de capitalisation en ayant la SPV comme seul interlocuteur. Par la suite, la SPV est le plus souvent liquidée avec la cession de la participation de la société dans laquelle il a investi.
Si cette forme d’investissement apparait comme étant particulièrement efficace sur certaines levées de fonds, cette structuration se révèle peu adaptée sur d’autres opérations plus sélectives et confidentielles où la concurrence avec les fonds d’investissement pour l’allocation des souscriptions est importante (IA, deeptech etc.) et ce compte tenu notamment (i) du temps de constitution des SPV et (ii) des incertitudes quant au bouclage de son financement.
Alternative possible : L’émission d’actions reflétant chaque investissement réalisé par une société holding
Pour concurrencer les fonds d’investissement sur des levées ultra-sélectives, les club deal pourraient se professionnaliser et se structurer juridiquement au sein d’une seule et même entité afin d’être en mesure de mobiliser rapidement des fonds auprès de ses membres.
Comment ? Par l’émission d’actions de préférence qui vont reproduire uniquement la performance d’un investissement de la société holding. Autrement dit, la société holding pourrait servir de véhicule commun d’investissement à des membres d’un club deal, tout en permettant à ces derniers d’apporter uniquement leurs capitaux à un ou plusieurs investissements parmi ceux réalisés ou à réaliser par cette société (à la différence d’une holding « classique » où les actions détenues par les actionnaires reflètent la performance globale de l'entreprise et non d’un actif en particulier).
Dans cette hypothèse, un associé d’une société holding ayant déjà réalisé un investissement dans une société A pourrait proposer aux autres associés et/ou aux membres de son club deal de réaliser un autre investissement dans une société B, mais toujours par le biais de la même société holding et avec une liquidité uniquement tracée sur cet investissement. En cas de réalisation d’une plus-value de cession sur les titres détenus dans le capital de la société B, seuls les détenteurs des actions de préférence reflétant cette participation auront droit à en percevoir le montant.
Les modalités d’émission d’actions traçantes
Le concept de ces actions dites « traçantes » (tracking stocks) est apparu aux Etats-Unis dans les années 80 mais n’a jamais réellement trouvé sa place en droit français alors qu’il est en tout point conforme à l’esprit des principes généraux régissant le droit des sociétés français. Ces actions relèvent pourtant aujourd’hui de l’article L.228-11 du Code de commerce relatif aux actions de préférence et peuvent être ainsi créées selon les mêmes principes dans toute société par actions (SA, SAS, SCA).
Dans l’hypothèse d’une prise de participation dans le capital d’une startup, la définition du périmètre de l’activité tracée dans les statuts ou dans le contrat d’émission ne pose pas de difficultés particulières dès lors que cette activité se limite à une participation financière détenue par la société holding. La situation est simple car les actions traçantes de la société holding porteront sur la fraction détenue par cette dernière dans le capital de la startup.
Il est ainsi possible pour des membres d’un club deal de regrouper plusieurs opérations à financer au travers de la constitution d’une même société holding tout en permettant à chacun des membres de leur communauté de limiter leur investissement à une seule opération par le biais de l’émission d’actions traçant uniquement le résultat de cette dernière.
Emission d’actions traçantes et gouvernance
Dans une SPV club deal classique, le membre du club ayant proposé l’opération (« deal leader ») est souvent désigné comme mandataire social de la société. Les autres associés de la SPV se voient généralement accorder un droit de vote au niveau des différentes assemblées générales sur certaines décisions importantes comme (i) les modifications portant sur son capital, (ii) le réinvestissement de tout ou partie des gains réalisés par la SPV ou encore (iii) la cession des titres détenus par la SPV.
Un pacte d’actionnaires va utilement préciser la gouvernance de la SPV comme par exemple (i) les conditions de respect des droits anti-dilution détenu par la SPV au titre de sa participation, (ii) des engagements spécifiques du deal leader concernant l’exercice de son mandat social ou encore (iii) des engagements concernant la politique de distribution des profits réalisés.
En cas de constitution d’une société holding d’un club deal ayant investi dans plusieurs startups, l’émission d’actions traçantes crée potentiellement des conflits d’intérêts entre les multiples groupes d’actionnaires, car elles sont généralement dotées de droits différents et d’intérêts financiers divergents. Toutefois, le fait majoritaire dans les différentes prises de décision de la société holding pourra être utilement aménagé (i) par les statuts de la société, (ii) par le pacte d’actionnaires et le cas échéant des « mini pactes », ainsi que (iii) par les différentes assemblées spéciales représentant chaque catégorie d’actions traçantes de la SPV.
Vers une institutionnalisation des club deal ?
La pratique montre que ce qui fait l’attractivité des club deal, à savoir la possibilité pour un membre d’une communauté de choisir de réaliser un investissement « deal par deal » peut aussi se révéler être une faiblesse lorsqu’il s’agit de monter sur des opérations plus sélectives où le deal leader doit être extrêmement réactif. C’est précisément la force des fonds d’investissement qui ont la capacité d’engager rapidement des fonds qui, par définition, ont déjà été levés auprès de leurs propres investisseurs.
Lorsque le club deal est composé d’un nombre restreint d’investisseurs qui ont la capacité et la volonté commune de déployer un certain volume d’investissement par an par le biais de cette communauté réduite, la constitution d’un seul et même véhicule d’investissement pour réaliser plusieurs opérations mais tout en permettant une sélection « deal par deal » pourrait se révéler une structuration juridique efficiente en termes de coût et agile afin de répondre rapidement aux propositions d’investissement du deal leader.
Un membre du club ayant déjà investi par le biais d’une SPV sur une opération pourrait ainsi répondre favorablement sur une autre opération proposée par un autre associé de la SPV et mettre immédiatement les fonds à disposition de la SPV par le biais par exemple d’un apport en compte courant qui serait ultérieurement converti en action de préférence traçant uniquement le résultat de cet investissement. En permettant de reproduire le résultat d’un investissement en particulier, les actions traçantes pourraient ainsi permettre à certains types de club deal de s’institutionnaliser autour de une ou deux société(s) holding afin de déployer efficacement leurs investissements sur des deal très concurrentiels tout en continuant à laisser le choix de l’investissement aux membres du club. A faire ou à suivre donc…