Créée en 2012 sous le nom de Yoopies, la startup Worklife a été rebaptisée en 2020 à l’occasion d’un pivot stratégique et rachetée en mai 2023 par le Crédit Agricole. Comme beaucoup de startups ces dernières années, Worklife s’était lancé dans un dual track. « À l’origine, nous cherchions plutôt à lever des fonds, mais quand le marché s’est retourné, en 2022, et qu’il est devenu plus difficile de lever, nous avons commencé à considérer avec intérêt des propositions de rachat, dont celle du Crédit Agricole », partage Benjamin Suchar, CEO de Worklife.
Le fondateur de Worklife confie avoir eu quelques appréhensions à l’idée d’un rachat. Des appréhensions largement justifiées selon Romain Dehaussy, associé de la banque d’affaire Cambon Partners qui a notamment accompagné la startup. « Avec les rachats, il y a de belles histoires, mais il y a aussi beaucoup de cas de figure où les choses se passent mal post-intégration. Je connais plus d’un entrepreneur qui, suite à un rachat, veut partir plus vite que prévu, en raison d’une accumulation d’incompréhensions et de frustrations », confirme-t-il. Pour Benjamin Suchar, à l’aube du premier anniversaire de son rachat, le bilan est plus que positif. Alors quels sont les critères qui peuvent favoriser les belles histoires post-cession ?
Choisir le bon acheteur
Dans le cas de Worklife, la startup dépend en réalité de La Fabrique by CA, le startup studio du Crédit Agricole. « Le studio joue un rôle d’operating partner entre la dixième banque mondiale, et nous, la petite startup », commente Benjamin Suchar. « Quand deux entités ne parlent pas toujours le même langage, c’est important d’avoir un traducteur », confirme Romain Dehaussy. Benjamin Suchar a trouvé son traducteur en la personne de Laurent Darmon, le directeur de La Fabrique by CA, qui maîtrise aussi bien les codes de l’écosystème startups que les rouages du grand groupe bancaire.
« Il faut un respect mutuel : je respecte le travail des cadres du Crédit Agricole, mais on ne peut pas s’attendre à ce que je devienne un banquier en costume ! », ironise Benjamin Suchar. Au quotidien, il faut aussi éviter les écueils comme des process de validations ou des reportings trop lourds et non adaptés à la vie d’une startup. « Aujourd’hui, j’ai le même type de reporting qu’avec mon ancien board. Une fois par mois, je reporte des KPIs que je suis dans tous les cas. Cela me permet de rester concentré sur le business et d’assurer la croissance dans de bonnes conditions », se réjouit Benjamin Suchar.
Bien structurer son deal
Dans la structuration du deal, le choix des KPIs est crucial. C’est l’un des savoir-faire des banques d’affaires telles que Cambon Partners. Dans le deal passé avec le Crédit Agricole, Benjamin Suchar a un objectif de chiffre d’affaires, là où beaucoup d’acheteurs fixent des objectifs d’EBITDA. « L’EBITDA n’est pas toujours le meilleur indicateur. Il faut trouver l’indicateur le plus adapté en fonction de la taille et de la trajectoire de croissance attendue de l’entreprise », souligne Romain Dehaussy.
« Avoir un objectif de chiffre d’affaires change tout pour moi. Cela me permet de rester dans une dynamique startup. J’ai l’impression d’avoir le meilleur des deux mondes. Je bénéficie d’un accompagnement qui va bien au-delà de celui d’un fonds d’investissement, notamment grâce aux synergies industrielles créées avec le Crédit Agricole, sans avoir les mains liées comme dans un process d’acquisition où l’acheteur veut tout intégrer », partage Benjamin Suchar. Bien sûr, cela ne signifie pas dépenser sans compter. « J’ai des montants d’investissement définis et si je dois en avoir plus que prévu, j’ai un malus sur l’earn out », confie Benjamin Suchar.
Fixer des objectifs atteignables
La stratégie d’earn out est justement un autre paramètre à bien définir. Elle doit idéalement être ambitieuse et donner envie aux fondateurs de continuer à s’impliquer pleinement. « Certains grands groupes ne jouent pas le jeu, et fixent des objectifs inatteignables. Or des objectifs ambitieux et raisonnables sont plus intéressants pour la startup comme pour l’acquéreur, car ils vont permettre de maintenir la motivation de l’entrepreneur et des équipes, et donc d’obtenir de meilleurs résultats », commente Romain Dehaussy.
« J’ai des objectifs ambitieux, mais qui sont atteignables et auxquels je crois », avance Benjamin Suchar. Pour fixer des objectifs qui permettent d’aligner les intérêts, Romain Dehaussy conseille de préparer un business plan en commun avec le groupe qui rachète. « Cela permet notamment d’identifier les synergies à mettre en place, donc de calibrer les moyens à mettre en face des objectifs et ainsi d’éviter des désillusions », explique Romain Dehaussy. C’est ce travail d’alignement stratégique entre la startup et la banque qu’a effectué l’équipe d’investissement de La Fabrique by CA en amont de la vente.
Et il n’y a pas que les chiffres qui comptent. « J’ai l’exemple d’un deal qui s’est très mal passé, car le CEO avait des objectifs d’earn out raisonnables, mais en termes de management, il n’avait plus la main sur l’équipe commerciale et donc plus la main sur le futur de ses earn-outs », raconte Romain Dehaussy.
Prêter attention aux détails
Le diable est aussi dans les détails. « Il y a des détails qui peuvent changer la donne et permettre d’aligner les intérêts. Par exemple, avec le Crédit Agricole, j’ai un bonus sur le chiffre d’affaires généré par des synergies avec le groupe. Cela me pousse forcément à intégrer Worklife le mieux possible dans le groupe », partage Benjamin Suchar.
Au contraire, des éléments qui peuvent sembler anecdotiques et qui n’auraient pas été négociés, peuvent créer des situations compliquées post-cession. « J’ai vu une cession très mal se passer parce que l’acquéreur a demandé à tous les salariés de la startup qui étaient dans de beaux bureaux en plein centre de Paris de déménager dans leurs bureaux en banlieue », partage Romain Dehaussy.
« La valorisation et l’earn out prévus au moment de l’exit sont loin d’être les seuls critères importants dans un deal. Tout doit être passé au crible pour assurer un alignement des intérêts », conclut Benjamin Suchar.