Memo Bank se distingue par son approche technologique intégrée et son engagement à offrir des solutions financières adaptées aux entreprises en croissance. Jean-Daniel Guyot, son cofondateur, partage sa vision avec Maddyness, se prononce sur les obstacles culturels et psychologiques à l'entrepreneuriat en Europe et plaide pour une combinaison de patience et de résilience pour surmonter les barrières dans les secteurs régulés.
Maddyness : pourquoi pensez-vous qu'il y ait si peu d'initiatives disruptives dans les secteurs à forte barrière à l'entrée, notamment dans la banque ?
Jean-Daniel Guyot : Je suis toujours étonné en effet, notamment quand je compare l’Europe et les États-Unis, du manque d’initiatives dans des secteurs qui sont fortement régulés. Il y a certainement deux effets qui se cumulent : d’une part des entrepreneurs qui considèrent qu’entreprendre est déjà assez complexe pour ne pas ajouter de contraintes supplémentaires, et d’autre part des investisseurs qui sur-pondèrent dans leur appréciation la vitesse d’exécution des équipes par rapport à leur capacité à ériger des barrières solides pour protéger leurs marges.
C’est la célèbre notion de « douve économique » (economic moat) dont parle Warren Buffet : les meilleurs business sont sans conteste ceux qui savent créer un avantage concurrentiel très difficilement attaquable. Or la vitesse d’exécution est évidemment nécessaire quand on crée une entreprise, mais elle protège très peu. Il y a fort à parier que si vous montrez le chemin et qu’il n’y a aucun obstacle pour l’emprunter, les concurrents seront très vite nombreux, et sauront même rapidement tirer les leçons de vos erreurs pour aller plus vite. On retrouve donc souvent des entreprises sur-financées sur les bases de bons indicateurs de croissance économique, souvent sur les bases d’une course « winner takes all », mais sans aucune protection.
Ces entreprises sont condamnées à dépenser sans compter pour gagner au plus vite le maximum de parts de marché, avec des coûts d’acquisition qui augmentent à mesure qu’ils ont de plus en plus de concurrents. A contrario, les entreprises qui pensent à créer des barrières solides sont un peu plus lentes à construire. C’est donc plus compliqué de se projeter pour un investisseur, qui la plupart du temps visera un horizon de sortie à 4-5 ans. Les initiatives de rupture sur des marchés régulés nécessitent donc un écosystème qui rassemble à la fois des entrepreneurs expérimentés, qui n’ont pas peur de passer des barrières et de créer les leurs, et des investisseurs qui acceptent d’être un peu plus patients pour créer quelque chose de véritablement ambitieux.
Quelles sont les principales barrières psychologiques ou culturelles qui empêchent les entrepreneurs de se montrer plus audacieux ? Comment les avez-vous personnellement surmontées dans vos entreprises ?
C’est le grand paradoxe de la France, non ? Un peuple d’anxieux qui vit dans le pays avec l'un des meilleurs filets de sécurité au monde. Si on se place sur la frise de l’Histoire, je nous perçois comme le joueur de poker qui a tout gagné de manière insolente depuis le début de la partie, et qui d’un coup se crispe, perd ses moyens, est incapable d’y voir clair, de se souvenir s’il en est arrivé là par chance ou par la qualité de ses décisions. Alors même qu’il a toutes les bonnes cartes en main.
J’aime énormément l’Histoire en ce sens où elle nous rappelle constamment que nous venons d'une civilisation d’audacieux. D’hommes et de femmes qui ne se posaient aucune question et avançaient, coûte que coûte. De personnes qui avaient une foi incommensurable dans le progrès et dans la science. Et qui nous ont amenés là, à ce niveau de confort, de culture et de richesse exceptionnel par rapport à d’autres endroits du monde. Un confort tel qu’il nous fait oublier comment nous en sommes arrivés là. Et du coup je suis toujours un peu consterné quand certains vont chercher des modèles comme Musk ou Thiel, des pseudo-libertariens à la profondeur de pensée douteuse qui ont fait leur fortune sur des contrats étatiques. Alors même que nous vivons dans le pays de Gustave Eiffel, des frères Péreire, et d’Aristide et Marguerite Boucicaut. Comme si l’entreprenariat ou l’investissement « venture » étaient nés outre-Atlantique… Comme si on avait attendu que les Américains nous expliquent comment faire.
Malgré notre histoire riche en entrepreneurs, il semble que notre société a oublié son passé et nous impose des barrières mentales assez fortes, qu’il faut sans cesse combattre ou, au minimum, ignorer. J’ai un petit avantage sur ce point à être né dans un milieu provincial très modeste, avec une forte culture du travail et des parents qui n’ont jamais mis de limite à mes ambitions (au contraire). Quand on part de rien, on ne peut jamais rien perdre. On ne peut pas se retrouver dans cette situation du joueur de poker crispé. Au pire, quoi ? Au pire on recommencera de zéro, ça n’est pas grave.
Concernant le manque de remise en question de l’écosystème entrepreneurial, quels sont les changements que vous jugeriez nécessaires pour favoriser une véritable évaluation des performances entrepreneuriales, au-delà de la communication ? Vous avez évoqué lors d'un précédent entretien la bienveillance qui pourrait parfois desservir l’écosystème entrepreneurial après avoir été un atout indispensable. Pouvez-vous expliquer comment cet aspect peut spécifiquement impacter notre milieu ?
Je suis un éternel optimiste. Les choses ont énormément changé depuis que je suis entré dans l’écosystème startup, en 2007. Nous allons dans la bonne direction : il suffit de voir le travail des fonds et de Bpifrance, la volonté politique à diriger les investissements vers les innovations de rupture, la prise de conscience plus globale de notre place dans le monde et de notre capacité à y jouer un rôle. Nous sommes en train de réaliser à nouveau, à l’échelle locale et européenne, qu’il est important d’être puissants, et qu’il n’y aura pas de sérénité dans nos sociétés sans un rapport de force au minimum équilibré. Nous sommes en train de reprendre nos esprits. Il ne faudrait pas imaginer cependant que les efforts que nous avons faits pour le moment sont suffisants. C’est loin d’être le cas. Il faudra encore beaucoup de travail, d’investissements, d’abnégation, de sueur. Mais dernièrement l’abondance d’argent en a fait dérailler beaucoup.
En 2009, quand je recrutais, il fallait que j’explique aux candidats ce qu’était une startup. Littéralement. On est passé à l’extrême inverse en 2021, où si tu n’avais pas mis un post LinkedIn pour dire que tu montais ta boîte et que tu avais levé 10 millions d'euros sur trois slides, tu étais un raté. Même chose sur le plan politique : en 2013, un certain Benoît Hamon avait eu pour projet d’anéantir l’écosystème startup. En 2023, les ministres veulent faire des selfies avec toi…
Tout le monde se comporte comme si nous avions rattrapé notre retard, comme si la France et l’Europe avaient retrouvé leur place sur l’échiquier du monde numérique. On m’a dit récemment que Paris était devenue la capitale mondiale de l’intelligence artificielle. Il faut vraiment être loin du terrain pour dire ce genre de choses. Il y a une sorte d’euphorie, même pendant ce trou d’air que nous sommes en train de traverser, qui m’agace autant que le manque de considération que nous pouvions subir il y a 10 ou 15 ans. Nous n’avons pas le droit de nous voir trop beaux. Nous devons continuer à construire, à transpirer, pour in fine créer des emplois, pour créer des richesses, et impérativement sortir de l’ornière de l’énergie carboné. Nous sommes loin du but, c’est un travail de longue haleine. Je reste donc optimiste, mais ne laissons pas nos premiers petits succès nous monter à la tête. Il faut rester concentré.
Après avoir réussi dans des domaines aussi complexes que les transports ferroviaires et la banque, y a-t-il d'autres secteurs à barrières élevées qui vous attirent ? Quelles opportunités y voyez-vous ?
Je trouve ça amusant que vous pensiez que j’ai réussi dans ces deux domaines. Il reste tellement de choses à faire. Quand j’ai vendu ma première boite, des personnes sont aussi venues me dire que j’avais complètement échoué. Chacun voit midi à sa porte. Je vois des possibilités de créer des entreprises dans à peu près tous les domaines, c’est souvent le problème des entrepreneurs ! J’aimerais bien qu’on me cite une seule industrie qui ne peut pas être améliorée… D’ailleurs, j’adore quand quelqu’un vient vers moi et me dit : « J’aimerais bien monter un truc mais il me manque juste une idée… ». Normalement au bout de 30 minutes la personne repart avec 5 boîtes à monter.
Il y a vraiment des opportunités partout, et souvent les idées les plus simples sont les meilleures. Les industries les plus vieilles, les moins sexys, sont une excellente source de projets. Les innovations n’ont pas besoin d’être des pures inventions. Dans la banque par exemple, le fait de tout refaire de zéro — l’organisation, les processus, la technologie — nous permet d’être incroyablement innovants et à terme de l’ordre de 100x plus performants que les banques traditionnelles. Mais pour cela nous n’avons pas eu besoin de déposer de brevet ou d’inventer quoi que ce soit. Nous avons refait une banque comme on devrait la penser aujourd’hui, et cela nous permet de fournir des produits qu’aucune autre banque au monde ne fait.