À l’occasion du Festival de Cannes, Maddyness a échangé avec Claude Lelouch sur l’intelligence artificielle et les bouleversements technologiques qui touchent le cinéma. Le réalisateur est, par ailleurs, président du jury de techCannes, initiative de sa fille, la productrice Sarah Lelouch, dont la première édition se lance ce vendredi 17 mai.
techCannes vise à réunir le monde du cinéma et les acteurs de l’innovation technologique pour trois jours de réflexion, notamment sur la façon dont la blockchain peut financer des films. Une remise de prix pour les startups les plus innovantes au service du cinéma aura lieu en juin. À 86 ans, le président du jury accueille l’intelligence artificielle avec enthousiasme.
Maddyness : Est-ce qu'il y a des entrepreneurs au festival de Cannes ?
Claude Lelouch : Oui, forcément. Nous sommes des entrepreneurs : il y a des producteurs, il y a des distributeurs, il y des gens qui essayent de placer de l'argent, qui sont intéressés par l'univers du cinéma.
Vous avez réalisé 51 films. Comment faîtes-vous pour vous réinventer à chaque film ? Comment trouver l’inspiration?
Le plus grand scénariste du monde, c'est la vie. Et j’en suis un observateur attentif. J'ai observé les hommes et les femmes, et ces observations, ce sont des histoires.
Je me suis intéressé à des hommes et des femmes qui étaient un peu moins dégueulasses que les autres, qui avaient l'air de tricher un peu moins que les autres. Il n'y a pas de super-héros, ni de super-savants, eux, ils n’existent que dans les films américains.
À chaque fois que je me suis lancé dans un film, c'est parce que j'étais amoureux de quelque chose, de l'histoire, et j'avais envie de la partager avec le plus grand nombre. Tout ce que j'ai fait dans ma vie, je l’ai fait au nom de l'amour.
«Apple va changer l'histoire du monde»
Quelque part, chacun des personnages de mes films, je les ai rencontrés, chaque dialogue, je l’ai entendu. Je n'ai pas été autre chose qu'un reporter de mon temps. Et aujourd'hui, avec ce 51e film, j'ai eu envie de faire un bilan.
Ces 60 ans de cinéma, c’est aussi pour essayer de dire que tout ce qui nous arrive dans la vie, c'est pour notre bien. Même si, cela peut faire très mal, et même surtout quand ça fait très mal. On ne dira jamais assez à quel point le mal est l'inventeur du bien. Tout ce qui nous a fait du mal nous a permis de faire des progrès.
Vous faites partie des premiers à avoir tourné un film entièrement à l'iPhone, c’était en 2019 pour Les plus belles années d’une vie. Qu’est-ce que cette technologie à changé pour vous ?
Je l’ai aussi utilisé pour d’autres films et notamment pour La vertu des impondérables ! Aujourd'hui, le portable est sûrement la plus belle caméra au monde. On peut tourner avec des caméras hyper sophistiquées, professionnelles. Mais il y a une profondeur de champ avec le portable qu'on ne trouve dans aucune autre caméra.
C’est un outil pour tout le monde ! Il y a 8 milliards de gens qui filment. Nous sommes tous des cinéastes même s’il y en a qui filment un peu mieux que d'autres. Ceux-là sortent dans les salles de cinéma. Mais, le cinéma est un véritable art populaire.
Avant, nous filmions avec nos yeux. Avec nos oreilles, on enregistrait des sons. Notre mémoire, c'est une salle de montage. Qu'est-ce que c'est que la mémoire ? C'est ce qui reste quand on a tout coupé. Le cinéma est un art naturel et à la disposition de tout le monde. Des riches et des pauvres. C'est pour ça que j'aime le cinéma.
Vous avez rencontré Tim Cook, directeur général d’Apple, en 2018. Que retenez-vous de cette rencontre ?
J’ai rencontré un homme qui a une responsabilité énorme parce qu’avec tout ce qu’Apple vend, la marque va changer l'histoire du monde. Ils vont aussi changer la façon d’inventer l'intelligence artificielle.
Aujourd’hui, le portable, c'est une intelligence artificielle. Tout ce que fait le portable, c'est absolument hallucinant ! Cet homme a des responsabilités absolument incroyables.
Je me rappelle quand je lui ai montré le film qu'on avait fait avec le portable. Il était très très impressionné. Lui-même ne pensait pas qu'on pouvait faire tout un film avec l’iPhone.
Quelles sont les innovations technologiques majeures dans le cinéma ?
Aujourd’hui, on peut tout faire avec les images de synthèse. Il n'y a pas de limite. Si on a de l'argent, on peut tout faire. On peut faire croire qu'il y a 20 000 personnes dans une arène. On peut tourner une course de char à Rome et remplir des tribunes sans aucun figurant… L'intelligence artificielle peut apporter beaucoup de choses.
«Aucune machine ne peut remplacer l'imagination»
Mais on ne peut pas remplacer les créateurs. On ne peut pas remplacer l'imagination. L'intelligence artificielle, c'est le sommet du savoir. Mais ce n'est pas le sommet de l'imagination. Albert Einstein disait : «Le savoir est moins important que l’imagination.»
Et l'intelligence artificielle, elle ne prend pas de risques. Elle se sert de ce qui existe. Alors que l'intelligence naturelle, elle invente ce qui n'existe pas. Aucune machine aujourd'hui ne peut remplacer l'imagination. C'est ce qui me rassure.
Avez-vous des craintes liées à la sophistication de l’intelligence artificielle ? Faut-il la maîtriser ?
Bien sûr. Mais de tout temps, les temps modernes se sont emparés de ce que nous faisons. Les machines ont permis à l'homme d'être un peu moins esclave. Aujourd'hui, on essaie de fabriquer un monde où le temps de vacances va être supérieur au temps de travail. C'est le rêve de l'humanité.
Toutes ces machines vont nous permettre de réduire le temps de travail. Donc, elles ne sont pas des techniques, mais il faut savoir s'en servir. C'est comme une voiture, il faut apprendre à la conduire. Je n'ai pas peur, pour l'instant, de toutes ces machines qui nous rendent de grands services.
Ce qui me fait peur, c’est s’il y avait une machine qui inventait l'imagination. Là, ça serait inquiétant. Pour l'instant, l'intelligence artificielle se sert du savoir et c’est déjà énorme. Mais l'imagination, c'est la force des cancres à l'école. L'intelligence artificielle, c'est les premiers de la classe. L'intelligence mentale, c'est le cancres. Et les cancres ont souvent plus réussi que les premiers en classe.
Qu'est-ce que le cinéma du futur ? Est-ce que vous avez un rêve cinématographique qui serait permis par la technologie ?
Je crois dans le cinéma comme d'autres en Dieu. Je pense qu'un jour, un film sera tellement beau, tellement réussi, qu’il pourra changer beaucoup de choses.
Aujourd'hui, quand un film marche dans le monde entier, il touche à peu près 10% de la population. Et c’est déjà un énorme succès. Mais il reste encore 90% de la population à aller chercher. Mais je crois au cinéma pour améliorer et changer le monde.