Si Soil Capital n’a pas commencé comme un produit tech, il l’est ensuite devenu. En effet, à partir de sa création en 2014 et jusqu’en 2019, l’entreprise gérait directement plusieurs hectares avec un mandat de conversion de ces terres vers de l’agriculture régénérative. « On gérait des fermes aussi bien en Argentine, au Brésil, en Afrique du Sud et aux Pays-Bas, explique Chuck de Liedekerke, CEO de Soil Capital. On voyait que l’on arrivait à protéger la productivité de ces exploitations, tout en arrivant à baisser les charges. On arrivait à créer un alignement entre productivité, rentabilité et performance environnementale. On gérait plusieurs hectares, mais on n’allait pas nécessairement réussir à avoir un impact global. »

Cet impact, il était pourtant au cœur des ambitions de Soil Capital lors de la rencontre entre un agronome (Nicolas Verschuere), un financier (Alejandro Trenor) et un entrepreneur (Chuck de Liedekerke). En 2019, ils décident donc d’opérer un pivot pour se saisir des enjeux tech afin d’utiliser la donnée dans le but de créer un modèle scalable. L’ambition étant de pousser l’agriculture régénérative comme une nouvelle norme. Pour cela, Soil Capital propose aux entreprises d’investir dans leur chaîne de valeur afin de compenser leur impact carbone. Les capitaux sont alors utilisés pour aider les agriculteurs à réduire leur empreinte environnementale.

Insetting plutôt que offsetting

Soil Capital est loin d’être le premier acteur à s’être intéressé à l’idée d’un crédit carbone, un certificat attestant de la séquestration ou de l’évitement d’une tonne de dioxyde de carbone équivalent. Ce système permet de récompenser les entreprises qui font des choix vertueux pour la planète. De nombreux acteurs se sont ainsi dirigés vers l’offsetting, qui permet à une entreprise de compenser les émissions carbone en finançant des projets de reforestation par exemple.

Dès le début, Soil Capital a fait, lui, le choix de l’insetting. Il s’agit cette fois d’investir dans des projets de contribution positive directement dans la chaîne de valeur de l’entreprise. Les deux faces de cette même pièce sont portées par des modes de pensée radicalement différents : « L’offsetting, c’est Air France qui va acheter des crédits carbone sur un projet de reforestation à Madagascar… mais qui ne doit rien changer à ses processus de production en interne, explique Chuck de Liedekerke. L’insetting, par contre, c’est un acteur de l’agroalimentaire qui va se mobiliser pour permettre aux agriculteurs de sa propre filière de se décarboner. »

L’entrepreneur reconnaît pourtant les limites du discours autour du carbone : « On le voit bien avec la quantité de données que l’on collecte, il y a des limites à ne parler que de carbone. Il y a aussi un impact sur des sujets comme la biodiversité, sur l’eau, sur la santé des sols, et donc de manière plus large sur la résilience climatique ainsi que sur le niveau de vie des agriculteurs. »

Soil Capital veut être un “compagnon digital d’un système alimentaire régénératif”

Pour les équipes de Soil Capital, l’agriculteur doit être au centre du système. Elles souhaitent ainsi lui apporter tous les outils pour l’aider au mieux à valoriser son action grâce à la technologie. Chuck de Liedekerke rappelle d’ailleurs combien la technologie est peu présente pour accompagner ce métier qui est aussi l’un des plus vieux du monde.

L’outil développé par l’entreprise permet aux agriculteurs de profiter de la période hivernale pour saisir leurs données en un minimum de temps, que ce soit des informations liées à leurs pratiques agricoles, mais aussi aux caractéristiques de leur sol qui vont être croisées avec des données climat et satellitaires.

« Grâce à l’ensemble de ces données, on va permettre à l’agriculteur de mesurer son impact gaz à effet de serre lié à l’utilisation de carburant ou de produits phytosanitaires, ainsi que le carbone qui va être stocké dans les sols grâce à la photosynthèse, à la décomposition de matière végétale dans les sols. Chaque année, on fait un bilan que l’on va restituer à l’agriculteur de manière interactive pour qu’il puisse apprendre par comparaison et voir les leviers à sa disposition pour améliorer son impact carbone. On veut se présenter comme le compagnon digital d’un système alimentaire régénératif. »

Premier bilan d’un nouveau modèle

Soil Capital a réussi à convaincre 1.600 agriculteurs qui représentent 350.000 hectares. Les 400 premiers agriculteurs à avoir rejoint le programme ont été payés collectivement 4,2 millions d’euros pour leurs services rendus à l’environnement. « 90 % des agriculteurs dans notre programme améliorent leurs pratiques dès la première année, rappelle Chuck de Liedekerke. Grâce à cet incitant financier, ces agriculteurs ont stocké ou réduit leur impact carbone de 180.000 tonnes, c'est-à-dire l'équivalent des émissions annuelles de 20.000 français. » De jolis chiffres qui restent pourtant une goutte d’eau à l’échelle de l’agriculture mondiale. L’entrepreneur se montre pourtant optimiste, persuadé de voir l’industrie agroalimentaire prendre la mesure du défi climatique.

« Quand on s’est lancé, on disait que notre mission, c’était de faire de l’agriculture régénérative la norme de notre vivant, confie le CEO de Soil Capital. Mais on a fait évoluer ça… on va le faire dans la décennie. Non seulement parce que l’urgence le justifie, mais surtout parce que c’est possible ! »