Si le ministre de l'Économie Bruno Le Maire affirmait vouloir « une industrie qui fabrique en France, qui produit en France », force est de constater que la réalité souffre d’un certain décalage avec ces bonnes intentions, particulièrement dans le secteur textile. Un secteur qui connaît quelques difficultés : les faillites se multiplient récemment avec la fermeture de plus de 700 points de vente de chaînes indépendantes en 2023 selon l’Institut de la mode française (IFM). Et les perspectives ne sont pas forcément rassurantes, car 80 % des Français affirment vouloir diminuer leurs achats en matière d’habillement.
Pourtant la volonté des consommateurs est bien là : 9 Français sur 10 souhaitent plus consommer de Made in France, comme le révèle une étude, réalisée par OpinionWay pour la Chambre de commerce et d’industrie. Pour autant, 80 % placent le prix en haut des critères les plus importants. Mais selon Fabienne Delahaye, la fondatrice du salon Made In France, « le corollaire de la situation actuelle, c’est qu’il vaut mieux acheter moins mais mieux avec des produits plus durables et un SAV identifiable ». Est-ce vraiment ce qui va permettre au secteur textile Made in France, qui ne représente actuellement que 3 % du marché, de survivre, voire de prendre de l’ampleur ?
Miser sur la qualité et impliquer les clients
« Compte tenu des coûts de production en France, notamment celui de la main d’œuvre, il faut trouver un business model qui permette d’atteindre un niveau de rentabilité satisfaisant pour pérenniser l’entreprise », conseille Emmanuel Pradère, président de Experienced Capital. Premier levier : la qualité en s’appuyant sur des savoir-faire locaux, qui permet de justifier un prix plus élevé que la moyenne pour acquérir un bien plus durable. « Si vous voulez investir dans une entreprise qui fait du Made in France, vous devez mener des audits des sous-traitants pour s’assurer qu’ils ont bien la capacité de produire des biens de qualité sur des volumes importants » poursuit-il.
« Encore faut-il justifier et expliquer cette qualité qui n’est pas toujours lisible pour des produits parfois 1,5 à 2 fois plus cher », souligne Marie Nguyen, cofondatrice de WeDressFair. Ce site de vente en ligne de vêtements écoresponsables regroupe plus de 150 marques, à 21 % Made In France, pour beaucoup positionnées sur la lingerie. Coureur du dimanche et ses vêtements et accessoires de sport, fabriqués en France et éco-conçus à partir de matières recyclées, a d’ailleurs misé très tôt sur les réseaux sociaux dans le but de fonder une communauté et de mettre en place un système de co-création. « C’est gagnant gagnant : les clients sont plus impliqués et satisfaits avec un produit qui répond précisément à leur besoin et cela nous permet de notre côté de limiter le risque de casse industrielle », explique Maxime Marchal, cofondateur de la marque.
Travailler sur le coût de revient
Autre stratégie : travailler sur des volumes importants pour permettre un coût de revient moindre et donc proposer un prix plus attractif pour le consommateur sans rogner sur la marge. C’est l’approche que vient d’adopter Le Slip Français, après avoir déjà réduit ses tarifs sur 50 000 produits en 2023, via un système de précommande. « À 20 millions d'euros de chiffre d’affaires et avec le statut de plus grande marque textile 100 % Made in France, Le Slip Français dévoile aujourd’hui son projet Révolutionnaire : engager une production industrielle de 400.000 pièces pour être en mesure de diviser nos prix de vente par 2 et ainsi rendre le Made in France accessible au plus grand nombre », expliquait ainsi Guillaume Gibault, son président, au lancement de l’opération. Deux produits sont concernés : un caleçon et un slip au prix de 25 euros, contre environ 40 euros d’habitude, dont le design a été simplifié, sans « aucune concession sur la qualité ».
« On se rend compte qu'en fait aujourd'hui il n’y a aucun avantage à faire les choses bien, c'est à dire à fabriquer localement, à faire les choses de manière éthique », déplore néanmoins Maxime Marchal. Il y a bien le lancement du fonds de 50 millions d’euros de Bpifrance Amorçage Industrie et ou encore la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale pour lutter contre la fast fashion, avec notamment la mise en place d'un malus pour compenser l'impact environnemental de ces vêtements, mais les acteurs du secteur militent pour des gestes plus forts. Par exemple « pourquoi pas une TVA à 5,5% pour les marques Made in France comme dans l'alimentation ? », propose Maxime Marchal, convaincu « qu'on a besoin de tout le monde. Plus il y aura de marques qui fabriqueront en France, qui relocaliseront, plus on modernisera notre appareil productif, plus on se structurera, plus on arrivera à faire des économies d'échelle ».