Il est encore difficile de comparer le marché américain et le marché européen pour les entreprises de la tech et du numérique : plus fractionné, moins homogène, plus réglementé… Sur les 100 plus grandes entreprises technologiques du monde, seulement dix sont européennes. Alors comment encourager l’explosion des pépites françaises et européennes et les pousser à atteindre un niveau de champion mondial ? Dix organisations professionnelles du secteur publient une liste de propositions dans le contexte du début de la nouvelle législature européenne. Les élections auront lieu le 9 juin prochain en France.
Parmi elles, on retrouve Numeum et France Digitale, qui labourent le terrain depuis plusieurs semaines pour convaincre les députés européens de porter leurs sujets, le Sell, la Fevad ou encore Talents du Numérique. Le collectif a identifié, dans son manifeste, quatre grandes priorités pour une «construire une Europe numérique et compétitive» : «passer de la réglementation à l’application ; développer un environnement favorable à l’innovation et aux investissements ; investir dans les compétences et allier innovation technologique et responsabilité environnementale». Avec pour chaque priorité, des mesures concrètes à appliquer. Des propositions qui s’appuient bien sûr sur les atouts européens : une recherche performante, un écosystème innovant et un vivier de talents important, notamment en intelligence artificielle.
Faire passer à l’échelle l’investissement dans les entreprises numériques
La France et, plus largement, les pays de l’Union européenne sont touchés par un fort ralentissement du financement des startups. Les montants investis sont encore trop éloignés des montants mobilisés outre-Atlantique. Plus pesant encore, les fonds de growth et de late-stage sont trop rares, le marché des IPO encore bloqué et bloquant les liquidités, les opérations M&A trop peu nombreuses à haut niveau…
Pourtant, l'Europe doit être indépendante et leader sur les technologies de pointe. Emmanuel Macron, dans son discours de la Sorbonne, jeudi 25 avril, identifie cinq secteurs stratégiques : «intelligence artificielle, informatique quantique, espace, biotechnologies et «nouvelles énergie (hydrogène, réacteurs modulaires et fusion nucléaire)». Il souhaite voir l'UE devenir un leader mondial sur ces sujets d'ici 2030 «avec des stratégies de financements dédiés».
L’une des propositions mises en avant par le collectif est de «finaliser l’Union des marchés des capitaux pour améliorer la liquidité des marchés en Europe et permettre l’émergence de champions européens.» Il prône également de «massifier les investissements d’investisseurs institutionnels vers l’innovation, en prenant exemple sur des initiatives lancées en Europe»,et cite Tibi et Wachstumsfond. Une solution soutenue par plusieurs acteurs mondiaux de l’investissement. Autre initiative française mise en avant : «Je choisis la French Tech». Le manifeste propose de réformer la commande publique au niveau européen pour «mettre en œuvre une politique de réindustrialisation ambitieuse via le secteur numérique, en favorisant par exemple les partenariats entre startups et grands groupes».
Soutenir l’innovation
Pour encourager cet investissement massif, il faut encourager l’innovation. Plusieurs pistes sont évoquées : favoriser l’open-source, indispensable, selon le manifeste, pour encourager cet écosystème innovant, et renforcer la résistance de l’Europe aux cyberattaques. Là aussi, il faut restaurer la confiance des citoyens dans le numérique et leur garantir une protection optimale. L’une des forces de l’Union Européenne sur le numérique, telle que soulignée, est sa législation «visant à harmoniser le marché unique» : on peut citer l’AI Act mais aussi le Digital Markets Act (DMA) et le Digital Services Actifs (DSA), le Cyber Résilience Act etc. Si l’UE a su réguler, il faut maintenant appliquer ces directives.
Pour cela, le manifeste préconise la mise en œuvre «d’une task force au sein de la Commission européenne» dédiée à cette bonne application «sans surtransposition». Il propose également de revoir le processus de législation en «soumettant chaque réglementation et révision à un test de compétitivité ex ante et une évaluation ex post : ceci permettra de comprendre les réalités des entreprises pour concevoir des règles qu'elles puissent respecter». En effet, certaines réglementations, bien que nécessaires, pèsent lourd sur le fonctionnement des scaleups qui doivent investir largement en temps et ressources pour se mettre en conformité. Autre proposition forte : «instaurer un vice-président de la Commission européenne dédié à l’innovation» !
Capitaliser sur les talents humains
L’Europe n’est pas seulement en concurrence avec les géants américains sur le financement. Elle l’est aussi sur le recrutement. L’Union européenne chiffre à 20 millions le nombre de spécialistes à former sur le secteur du numérique d’ici 2030. Un sujet préoccupant pour les entreprises bien que les universités et centres de formations européens et français soient reconnus dans le monde entier. Il s’agit aussi de garder ces talents sur le territoire européen. Là encore, les propositions des organisations professionnelles des métiers du numérique sont nombreuses : «harmoniser le plus possible certains dispositifs de partage de la valeur». Ce levier d’attractivité est également porté largement par le gouvernement français et le secrétariat du Numérique.
«Instaurer un passeport européen des compétences pour soutenir la mobilité, la recherche d’emploi et la reconnaissance des qualifications», renforcer l’agilité des entreprises grâce à «une plateforme d’information centrale, où les entreprises peuvent accéder à des contrats de travail standard, à un aperçu de la fiscalité et à des informations similaires pertinentes pour chaque État membre.» Ou encore communiquer largement auprès des citoyens pour une meilleure compréhension et une meilleure valorisation des métiers.
Relever le défi de la responsabilité environnementale
Plus question d’innover sans être responsable. «Convergences numériques» formule également des propositions pour s’assurer de la position de l’Europe tant sur l’innovation technologique que sur sa responsabilité environnementale. La France est là aussi leader sur le sujet. Pour le collectif, il faut «systématiser les approches « bilan », par le biais d’études d’impact, d’évaluation des résultats et d’analyse des cas d’usage, pour mieux mesurer le rôle du numérique en faveur de la transition écologique», «soutenir les entreprises et investisseurs dans leurs démarches déclaratives extra- financières», mais aussi réformer les règles de marchés publics dont la dernière révision date de 2014.
Le modèle français doit inspirer l’Union européenne : le texte propose de bâtir une «task force Green IT & IT for Green» qui rassemblerait les différentes DG de la Commission, les gouvernements et les écosystèmes numériques de chaque État Membre». Il faut aussi «encourager la France à promouvoir son référentiel d'éco-conception de services numériques auprès de ses homologues européens». Des propositions concrètes qui doivent permettre de dessiner une feuille de route claire pour les élus européens. Cependant, le secteur du numérique et de l’innovation aura sûrement du mal à se faire entendre dans le contexte d’instabilité géopolitique et économique que l’on connaît actuellement.