Le made in France n’est pas un dogme. Ce qui compte, ce sont les circuits courts et la circularité, que l’on fabrique des vêtements, des véhicules ou des aliments.
« Si demain, je propose des scooters sur le marché espagnol, je ferai du made in Spain. C’est justement parce que l’on produit en France et que nous réemployons 78 % des composants de nos scooters électriques que nous sommes les plus compétitifs d’Europe » , partage Christian Bruère, Président de Mob-ion.
La réindustrialisation au plus proche des lieux de consommation : c’est de cela dont on parle ici. Mais la tâche est immense après 40 ans de démantèlement de notre industrie : rebâtir la souveraineté industrielle nécessaire représente un enchevêtrement bougrement ardu d’enjeux humains, économiques et technologiques.
On pense évidemment à la bouilloire de Kippit, 100 % française, réparable et recyclable, qui n’aura jamais vu le jour en magasin, malgré l’engouement qu’elle suscita. La faute à une des pièces en inox de l’appareil, qu’un sous-traitant se pensait en mesure de produire en série. Finalement non. Sacré tuile.
Des marques comme Lunii ont d’abord choisi de fabriquer leurs produits en Chine, espérant qu’un succès commercial suffisant leur permettrait à terme de réimplanter la production sur le sol français. Un défi relevé, quatre ans après la création de l’entreprise.
Pendant que nous nous creusons la tête pour réinventer l’économie fabricante, Shein, antithèse de la vertu en matière de production de vêtements, atteint presque 1 milliard d’euros de vente sur le territoire français en 2022. Les entreprises textiles françaises s’arrachent les cheveux et réclament une « remise en ordre dans la concurrence déloyale* » que les acteurs du fabriqué en France considèrent subir.
Une étude, réalisée fin 2023, montre que le made in France comme critère d'attribution d'une commande par les directions des achats des entreprises est passé de 61 % en 2022 à 47 % en 2024.
Les Echos titraient il y a quelques jours « Un combat au bord du précipice » évoquant le destin du Slip Français, emblème du renouveau du fabriqué en France. La marque, en déclin, divise ses prix par deux pour se relancer, amenant le prix d’un boxer à 25 euros. Je vous vois, qui lisez le chiffre « 25 » en vous disant que ça fait cher le slip. Et vous avez raison, ou du moins vous n’avez pas tort. Mais la véritable question demeure : cher par rapport à quoi ?
Notre logiciel de consommateur est complètement détraqué. Comment comparer quoi que ce soit dans un monde dans lequel le goodie sur votre bureau a tant pu être fabriqué dans une usine automatisée gigantesque en Pologne que dans une pièce sans fenêtre d’un bâtiment sécurisé du Xinjiang ? Un monde dans lequel le graphite de votre crayon à papier peut venir tant des Hautes-Alpes que du Mozambique ? Un monde dans lequel votre pull a tant pu être tissé par des manouvriers vosgiens que par des enfants turcs ?
D’ailleurs, est-ce bien au consommateur d’arbitrer entre le vertueux et le vicieux ?
« C’est dégueulasse de laisser au consommateur le choix entre des produits qui sont issus de l'esclavage et pas chers et des produits qui sont plus chers mais bien produits », partage énergiquement Julia Faure sur Franceinfo.
Même avec les meilleures intentions du monde, le consommateur n’endiguera pas la déferlante de produits « sales » sur notre continent. Encore moins avec les problématiques de pouvoir d’achat qui font grand bruit au cœur de nos sphères citoyennes. Shein, c’est 900.000 commandes chaque jour. 87 % du prêt-à-porter acheté par les Français est importé. 1 % du textile est recyclé. Bel euphémisme de dire que les chiffres ne sont pas de notre côté.
La rupture ne viendra pas des consommateurs. Pas sans fiscalité et législation réellement dissuasives pour les acteurs dont les pratiques erratiques ne font plus débat. La « politique des chèques exceptionnels » visant à soutenir les acteurs français vertueux (ou en phase de le devenir) est un atout français qui montre ses limites. La survie du made in France dépend de lois abouties, courageuses, applicables et appliquées, ainsi que du soutien inconditionnel de la commande publique.
Parce que quelle qu’en soit la raison, on ne peut pas accepter que les fonctionnaires d’une métropole française soient équipés (après appel d’offres) de doudounes made in Bangladesh, quand une PME à 30 kilomètres propose les mêmes produits, en bien mieux. Le made in France ira mieux quand il ne sera plus une prouesse d’en fabriquer, et quand il ne sera plus un acte militant d’en acheter.
—
*Les mots de Julia Faure, fondatrice de Loom et co-présidente du Mouvement Impact France, sur le plateau de BFM Business en février 2024