L’intelligence artificielle générative, démocratisée par l’outil ChatGPT d’OpenAI, suscite des craintes et interrogations dans de nombreux secteurs d’activité. “Les IA ne vont pas remplacer tous les métiers”, rappelle d’entrée de jeu Aurélie Jean, docteure en sciences, spécialisée dans la modélisation algorithmique, à l’occasion de l’événement Notar’IA, organisé jeudi 4 avril au Campus Cyber de La Défense.
“Il y a des intelligences que nous - humains - maîtrisons et que la machine ne maîtrisera jamais”, poursuit la scientifique, invitant à valoriser nos intelligences émotionnelles et créatives. Selon elle, il est indispensable de se pencher sur ce que seront capables de faire les outils d’IA dans le futur, mais aussi d’identifier ce qu’ils ne pourront jamais faire et ce que l’humain pourra toujours effectuer.
“C’est une chance et non une menace”
C’est justement ce à quoi s’attelle la profession des notaires. Elle s’interroge sur les transformations que l’IA générative va engendrer. Et sur le rôle que pourra jouer demain le notaire, face à des technologies capables de créer du texte et autres contenus après avoir été entraînés sur de vastes jeux de données.
“L’intelligence artificielle ne va pas remplacer les notaires. C’est une chance et non une menace”, souligne Pierre Tarrade, Premier vice-président de la Chambre des Notaires de Paris. “Notre métier a déjà connu des révolutions technologiques, ne serait-ce qu’avec l’avènement d’Internet et la dématérialisation des actes notariés.” La crise sanitaire a en outre favorisé l’essor de l’acte électronique réalisé à distance. La profession a donc toujours su s’adapter.
En son sein, des cas d’usage liés à l’IA générative devraient émerger. “L’intelligence artificielle est une opportunité pour repenser le travail. Mais elle n’intervient que sur des tâches en particulier, par sur l’ensemble d’un métier”, rappelle Aurélie Jean. D’où l’importance d’identifier ce qui peut être fait par une IA et ce qui ne peut pas l’être.
Chez les notaires, cette technologie pourrait effectuer certaines tâches, ou en faciliter d’autres, et dégager ainsi du temps pour les relations humaines.
Mieux accompagner les personnes
“L’intelligence artificielle doit nous permettre de nous concentrer sur l’humain et d’aller vers l’hyper personnalisation, en se débarrassant des aspects techniques et administratifs pour nous recentrer sur la personne”, estime Pierre Tarrade. L’IA va faciliter la collecte et la consultation d’informations (cadastre, états civils…) et permettra d’être mieux au fait de la doctrine juridique.
“Elle va favoriser le passage d’un notariat d’actes à un notariat d’accompagnement”, abonde Olivier Herrnberger, président de la section "Immobilier" de l'Institut d'études juridiques du Conseil supérieur du notariat. Une famille pourra par exemple faire l’objet d’un meilleur suivi dans le cadre d’un projet immobilier. L’objectif est de tendre vers une relation “plus sûre, plus fiable, plus précise”, ajoute Bertrand Savouré, premier vice-président du Conseil national du notariat.
Formation initiale et continue pour maîtriser l’outil
“Nous sommes peut-être un peu en avance, dans la mesure où les outils d’intelligence artificielle ne sont pas encore opérationnels pour notre profession”, confie Pierre Tarrade. “Mais pour conserver l’initiative, nous devons nous former, nous acculturer à l’IA”, ajoute-t-il.
“Il faut une formation initiale et continue car il y a un besoin de comprendre, de maîtriser l’outil pour pouvoir l’utiliser”, confirme Alexandra Bensamoun, professeur de droit à l’université Paris-Saclay et membre de la Commission interministérielle de l’IA. C’est pourquoi son établissement lance une formation qui permettra aux notaires d’assister à trois sessions constituées de quatre modules chacune. Au programme, des cours généraux et un volet juridique notamment.
Sorbonne Université va aussi proposer en parallèle deux sessions de formation. Là encore, des concepts généraux seront abordés avant de passer à des ateliers sur les cas d’usage et la rédaction de prompts. “La qualité des réponses d’une IA générative dépend de la qualité des questions posées”, rappelle Olivier Herrnberger.
Les données, un enjeu de confidentialité
Pour doper les performances d’un outil comme ChatGPT, et mieux l’adapter à la profession, l’idéal est de l’alimenter et de “l’entraîner” avec un maximum de données. Un véritable challenge pour les notaires, détenteurs de nombreuses informations confidentielles. “Les actes des notaires sont faits pour être conservés et non diffusés”, confie Pierre Tarrade.
“Il y a un enjeu de souveraineté sur les données que nous traitons, stockons et restituons”, assure Bertrand Savouré. “Nous devons être capable de les conserver, de les sécuriser et de les exploiter avec nos moteurs”, poursuit-il. Les notaires doivent donc s’approprier les outils d’IA générative tout en garantissant la préservation des données des clients, pour continuer à apporter leur expertise et une sécurité juridique aux transactions.